“Place au peuple” ! “La France, la belle, la rebelle”... il était devenu difficile, depuis quelques semaines, de ne pas prêter attention à la bouille de Jean-Luc Mélenchon qui s’étalait, regard clair et slogans post-2005, sur les murs de mon quartier.
“Entrée gratuite”, m’avait dit une militante quinqua un peu terne croisée devant la supérette avant de me tendre un tract. Après l’avoir assurée que j’étais réceptif à une partie – une partie seulement – des idées de son champion, je lui fis part de mon scepticisme : quel crédit accorder à la critique du capitalisme formulée par un ancien “ouiste” de Maastricht et qui appellerait sans doute ses ouailles à se reporter sur Hollande au second tour ? Avec une mine désabusée, mon interlocutrice me répondit “qu’on verrait bien”, et qu’[F.H.] se verrait sans doute obligé de reprendre au moins une partie de leurs idées... “Bonne journée monsieur, et peut-être à mardi !”
On l’aura compris, c’est plus par curiosité que par conviction que le mardi suivant, je traversai la rue qui séparait mon immeuble du palais des sports de l’avenue Léo Lagrange où se donnait en meeting la bête de foire politique qui avait si bien su ringardiser le petit facteur à vélo. Premier constat, les 18-25 sont plutôt nombreux dans l’enceinte surchauffée, même si le gros des spectateurs est constitué de quadras et quinquas à casquettes à carreaux. Entre les deux, peanuts, zéro, nada ! Les trentenaires sont-ils dépolitisés, peu enclins à se déplacer trop loin du centre-ville, ou alors déjà acquis à des candidats plus eurolibertaires ? Les trois à la fois, je dirais... Agréable surprise tout de même, outre l’absence de bobos on repère dans la fosse un ou deux drapeaux tricolores au milieu de la marée rouge et verte, chose sans doute impensable dans un tel meeting il y a ne serait-ce que trois ou quatre ans...
Vite, pour chauffer encore un peu la salle avant l’arrivée des champions, l’animatrice reubeu de service monte sur scène, un mélange d’Afida Turner pour le physique et de Patrick Sébastien pour le texte et la gestuelle. On enchaîne sur deux-trois petits courts-métrages d’animation, en vrac, la dette publique expliquée à ma belle-mère (ou comment parler de la loi de 1973 mais en évitant d’évoquer la réserve fractionnaire et la FED...) et bien sûr l’inévitable Front (le National, cette fois-ci) et sa trompeuse métamorphose, Marine-qui-se-donne-un-visage-présentable mais qui reste (sans blague !) la fille de son père : morphing animé à l’appui, c’est tellement imparable et impartial que je m’accorde un instant d’absence, durant lequel je rêve du même traitement infligé à la mère Martine, vous savez l’élue de terrain du Nord-qui-représente-la-gauche-du-PS mais qu’en fait c’est toujours la fille de son eurolibéral de père, Jacques Delors...
Sans trop d’intérêt, les speechs inauguraux de la dame Hautain, un poil décalée avec sa coupe à la Parisot et sa vulgate soporifique tendance trotsko-féminisme, puis du lointain et bâtard successeur de Marchais à la tête du PCF, vous savez celui dont on oublie toujours le nom. Au milieu d’un discours falôt au cours duquel il mentionnera tout de même l’entrisme de Goldman Sachs au sein des gouvernements de la zone euro (quelle audace, quelle étape de franchie dans la marche vers la subversion ! Et tout ceci un bon mois après que des média on ne peut plus mainstream comme le Monde ou Rue 89 aient consacré des unes au sujet...) on aura évidemment droit glaviot antifasciste de rigueur, Pierrot Laurent (ça y est je me rappelle du nom) ayant salué l’”héroïque courage” (sic) du “camarade CFDTiste” (re-sic) qui avait refusé l’entrée des établissements de PSA à Marine Le Pen.
Mais ça y est voilà que le champion entre en scène ! Dans le contenu, rien qui puisse surprendre un spectateur bien au fait des réalités économiques de notre triste époque. Non, ce qui surprend toujours, et plus encore lorsqu’on est dans la salle, c’est l’incroyable aptitude de l’animal à se mettre en scène et à mettre ses talents de rhéteur et d’acteur au service d’une critique du capitalisme plutôt efficace, il faut bien l’avouer. Il tient en peu de lignes le secret de JLM : faire oublier son passé de sénateur PS et son passage au gouverment le plus privatiseur de la Vème République par sa verve, ses accents gaulois, ses éloges adressés aux ouvriers de PSA et d’Alstom, son hommage vibrant à la Franche-Comté qui l’a accueilli lorsqu’il était un môme fraichement débarqué du Maroc...le tout pour agrémenter l’annonce de tout une batterie de mesures destinées à “rallumer les feux de la consommation” façon nostalgique des 30 glorieuses. Les agences de notation en prennent pour leur grade, Flamby Gouda est gentiment titillé (“on ne combat pas la finance avec un pistolet à bouchon”), ça casse du banquier à tel point que l’on en oublie presque de taper sur Sarkozy... et la mayonnaise prend, même mes voisins de tribune plutôt réservés au début se mettent à applaudir.
Mais voilà qu’on délaisse les supers Marios Draghi et Monti pour une cible autrement plus sérieuse : l’autre, la blondasse, l’héritière quoi. L’argument massue : son breton de paternel était présent au mariage du nouveau ministre des transports grec, oui vous savez, celui qui officie dans le gouverment Papadémos ! Voilà bien la preuve de l’inféodation de toute la clique FN aux banquiers... Le ton vire au grave, Jean-Luc insiste, en plus d’être une chienne de garde du capital qui montera sur la table en piétinant les serfs à la fin du banquet, la Marine annoncerait des mesures économiques fumeuses : comme si les anciens de chez Lipp, les vieux prolos des quartiers nord de Besançon qui constituaient ce soir le gros de son auditoire attendaient quoi que ce soit de ses mesures sociales à lui, dont ils savent déjà qu’elles ne seront jamais mises en oeuvre...
Finalement c’est peut être ça qu’il faut retenir d’un meeting de Mélenchon : on flatte son auditoire, on fait semblant d’en être, et en dernière instance on brandit la menace fasciste, pour bien préconditionner ses électeurs et les faire se reporter, le moment venu, vers le candidat le plus mou et eurolibéral que la social-démocratie ait jamais porté... C’est maintenant le bouquet final, on se réclame de Jaurès, on parle de reconquérir “tête par tête” le terrain perdu face aux fascistes, on déterre même Victor Hugo, le bisontin de service qui n’avait rien demandé à JLM (lui qui aime faire étalage de ses références eût été plus inspiré de citer Proudhon), on entonne le refrain de l’Internationale puis la Marseillaise...
Je repars sous la flotte. Dehors les affiches sont déjà recouvertes par d’autres, plus sobres, annonçant le prochain grand meeting. Le 3 février, c’est le gugusse du NPA qui s’y colle. Ce soir là je crois que je resterai à la maison.