Olivier Rech, ancien responsable du pétrole, au sein de l’Agence internationale de l’Energie (AIE), démonte le rapport Maugeri, selon lequel le pic pétrolier n’est qu’une chimère. Données inédites et exclusives, à l’appui.
Qu’y a-t-il dans le rapport publié par Leonardo Maugeri, pour justifier la "révolution" qui, selon cet ancien dirigeant du groupe italien ENI, va dissiper le spectre d’un déclin imminent de la production mondiale d’or noir ? Absolument rien, selon le Français Olivier Rech, qui fut en charge de la prospective pétrolière à l’AIE de 2006 à 2009. Voici ses réponses, en sept points. Elles s’appuient notamment sur son analyse historique du rythme de déclin de la production pétrolière existante, présentée ici pour la première fois.
Olivier Rech dirige aujourd’hui Energy Funds Advisors, société qui conseille des fonds d’investissements pour le compte de La Française AM, un important gestionnaire d’actifs parisien. Il a déjà pronostiqué sur ce blog un déclin de la production du pétrole et de ses substituts quelque part entre 2015 et 2020. Olivier Rech :
- 1- "D’abord une remarque générale : l’analyse proposée par M. Leonardo Maugeri s’arrête en 2020. Il est très confortable de ne pas se préoccuper de ce qui pourrait se passer au-delà de cette date, notamment du point de vue du déclin de la production des champs existants.
- 2- Leonardo Maugeri indique que le taux de déclin de cette production existante est aujourd’hui de "2 à 3 % par an". (NDLR. : ce taux, aussi déterminant que le taux directeur des banques centrales en finance, est de 5 % par an selon Shell.)
Ce chiffre me paraît correct, tout au moins pour la production non-OPEP. Cependant M. Maugeri suppose, sans aucune justification, que ce taux restera constant au fil du temps. Là encore, l’hypothèse est confortable, mais très probablement fausse. L’analyse historique montre au contraire que le rythme de déclin s’accroît depuis au moins dix ans (voir graphiques exclusifs ci-dessous).
La remontée de la fin des années 90 est pour l’essentiel due à la reprise de la production de l’ex-URSS. Une telle accélération est cohérente avec l’évolution des ressources. Les nouveaux champs mis en production seront en tendance de taille de plus en plus réduite. Or, a priori, plus un champ est de taille réduite, plus la phase de déclin est marquée. D’autre part, une proportion croissante des nouveaux champs mis en production se situe au large.
L’expérience, notamment en mer du Nord (dont M. Maugeri admet que la production décline de façon "apparemment irréversible") montre que les champs offshore déclinent rapidement : les opérateurs cherchent à en accroître la production aussi vite que possible, afin de récupérer plus rapidement leurs lourds investissements. En faisant cela, ils accélèrent très souvent le déclin ultérieur.
- 3- M. Maugeri affirme que les nouvelles capacités de production pourraient atteindre 49 Mb/j d’ici à 2020, un chiffre qu’il ramène à 29 Mb/j une fois pris en compte, dit-il, certains "risques" et certaines "restrictions". Nulle part il n’explique comment il arrive à 49 Mb/j, et nul ne parvient à comprendre comment il a pu y aboutir. Le chiffre de 29 Mb/j, apparaît du coup tout autant sujet à caution.
Les champs nouveaux ont de plus en plus de mal à compenser le déclin des champs anciens. Rappel : selon le PDG de Shell, il faudrait développer l’équivalent de 4 Arabies Saoudites ou de 10 mers du Nord d’ici dix ans, rien que pour maintenir la production en l’état ! Cf. http://petrole.blog.lemonde.fr/peak...
- 4- Pour compenser le déclin de la production, M. Maugeri évoque un "accroissement des réserves" exploitables des champs matures, grâce aux progrès techniques et à de nouveaux investissements en cours. Il se fonde sur le cas de l’accroissement des réserves américaines, pour l’extrapoler à l’ensemble des réserves mondiales.
Certes, les techniques de récupération s’améliorent, et des nombreux investissements sur des champs anciens sont en cours. Toutefois, il est clairement établi que l’accroissement des réserves américaines au cours des dernières décennies correspond pour l’essentiel à une illusion statistique : la définition des réserves en vigueur aux Etats-Unis n’a longtemps permis de déclarer que les réserves effectivement en production, et non l’ensemble des réserves extractibles, ceci afin de protéger les intérêts des investisseurs. (NDLR : ce point a été détaillé sur ce blog par le pétrogéologue Jean Laherrère, dans sa critique des arguments de Daniel Yergin, d’IHS ; l’accroissement du montant déclaré des réserves américaines n’a en rien interrompu le déclin de la production conventionnelle aux Etats-Unis.)
- 5- M. Maugeri souligne que seul un tiers des bassins sédimentaires sur Terre a été exploré par l’industrie pétrolière. Si les autres bassins sédimentaires n’ont pas été explorés, c’est tout simplement parce que les géologues ont conclu qu’ils ne présentent pas les caractéristiques susceptibles d’avoir généré des hydrocarbures.
- 6- Pour évaluer l’ensemble des réserves de pétrole conventionnel et non-conventionnel encore récupérables, M. Maugeri se fonde sur les estimations de l’USGS (United States Geological Survey). Celle datant de l’an 2000 avance un chiffre de réserves ultimes de l’ordre 3500 milliards de barils d’hydrocarbures liquides conventionnels.
Cette estimation est largement considérée comme étant exagérément optimiste. D’ailleurs jusqu’ici, les découvertes localement très importantes de ressources au large de l’Afrique de l’Ouest et du Brésil ne comblent qu’une petite partie de l’écart entre cette estimation de l’an 2000 et les découvertes cumulées, qui à ce jour sont de l’ordre de 2500 Gb. Et même des réserves ultimes de 3500 milliards de barils ne suffiraient par à maintenir la production au-delà de 2025-2030.
(NDLR : voir le simulateur de la production future mis en ligne par le Shift Project de Jean-Marc Jancovici : http://www.tsp-data-portal.org/Oil-...
- 7- M. Maugeri affirme que le prix actuel du pétrole est très supérieur à ce qu’il devrait être, à cause de facteurs purement politiques et psychologiques. Une analyse publiée en mai par le Fonds monétaire international (http://www.imf.org/external/pubs/ca...) confirme au contraire que seule la contrainte exercée sur la demande par les limites d’une production de brut stagnante depuis 2005 permet d’expliquer l’envolée des cours constatée depuis. (NDLR : les experts du FMI tablent sur un quasi doublement des cours d’ici à 2020.)
Le rapport Maugeri prétend qu’il n’y a pas de pic de la production en vue, et conduit implicitement à envisager qu’il n’y aura pas de contrainte énergétique sur la croissance économique future. C’est là à mon sens répéter une erreur tragique, que de nombreux pays importateurs payent déjà par un endettement insoutenable."