La vision du président Mahmoud Abbas d’un État palestinien démilitarisé et dépourvu de souveraineté en dehors de ses frontières est considérée comme une concession humiliante par bon nombre de Palestiniens.
Il est à peine 2 h 30 le matin du 27 février lorsque des jeeps israéliennes entrent dans la ville cisjordanienne de Bir Zeit, encerclent la maison de la famille Washaha et ordonnent à tous ses occupants d’en sortir.
Ils sont venus pour arrêter Thaer Washaha, militant du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), qui avait déjà été emprisonné par les forces d’occupation. Son père raconte que les soldats ont ordonné aux hommes de retirer leurs chemises et les ont forcés à s’allonger sur le sol froid pendant deux heures. Le frère de Thaer Washaha, Ramiz, leur cousin Fadi Sedqi et un autre jeune homme, Samir Al Qaisi, ont été retenus captifs par l’armée.
Le troisième frère, prénommé Mutaz et âgé de 24 ans, a refusé de quitter la maison et de se rendre. Face à une impasse qui a duré plusieurs heures, l’armée israélienne a tiré des roquettes sur la maison avant d’y entrer et d’assassiner Mutaz Washaha en lui tirant dans la poitrine et la tête. Ils ont ensuite détruit une partie de la maison avant de se retirer au petit matin.
75 % du territoire de Bir Zeit relève des zones B définies dans les Accords d’Oslo où l’Autorité palestinienne (AP) est chargée des affaires civiles et où l’État d’Israël exerce un contrôle souverain en matière de sécurité.
Le reste du territoire est considéré comme faisant partie des zones C, placées sous le contrôle civil et militaire des forces d’occupation israéliennes. Les raisons pour lesquelles l’Autorité palestinienne est impuissante ou n’est pas autorisée à repousser activement les attaques israéliennes et les politiques d’occupation agressives – y compris dans les zones relevant de sa juridiction – demeurent un mystère.
Mutaz Washaha est le 45e Palestinien assassiné depuis que l’AP a repris les négociations publiques avec Israël sous l’égide des États-Unis fin juillet 2013. Selon un rapport publié par le International Middle East Media Center deux jours avant le meurtre de Mutaz Washaha, Israël a entamé la construction de 10 490 logements dans les colonies, procédé à l’arrestation de plus de 2 700 Palestiniens et détruit 154 de leurs maisons au cours de la même période.
Le 18 février, presque deux semaines avant le meurtre de Bir Zeit, près de 300 étudiants israéliens se sont rendus à Ramallah, capitale de l’AP dans les faits, où ils ont été accueillis par le président Mahmoud Abbas à la Muqata, qui abrite son quartier-général. Il s’agit d’un geste sans précédent sous la direction de l’AP. Un tel acte de normalisation aurait autrefois suscité une réaction indignée du peuple palestinien. Mais lorsque les étudiants, dont bon nombre avaient déjà effectué leurs trois années obligatoires au sein de l’armée israélienne, sont entrés dans la Muqata, une poignée de jeunes militants palestiniens sont restés dehors pour manifester en criant des slogans, sans grande conviction, pour dénoncer la délégation, avant que les forces de sécurité de l’AP ne les dispersent par la force.
Rama Amria, qui participait à la manifestation, raconte que les manifestants ont été totalement encerclés par les forces de sécurité de l’AP à qui l’on avait ordonné de ne laisser paraître aucun signe de contestation dans les rues.
Il a confié à Al-Monitor que les manifestants « criaient et chantaient pour dénoncer l’AP et la normalisation ». « Ils ont déchiré nos posters et ont passé certains manifestants à tabac. Ils ont même attaqué les médias qui étaient présents lors de la manifestation. Nous étions complètement cernés. »
Il est de notoriété publique que le simulacre de processus de paix, au cours duquel deux décennies de négociations grotesques entre l’AP et Israël se sont conclues par de véritables concessions uniquement de la part de l’AP, a été utilisé comme une couverture pour qu’Israël puisse poursuivre l’occupation sans avoir de comptes à rendre à la communauté internationale.
La volonté de l’AP de poursuivre la mascarade de ces négociations unilatérales constitue également un masque lui permettant de consolider son propre pouvoir et de promouvoir ses intérêts mercantiles. Le fait est que l’AP fonctionne ni plus ni moins comme sous-traitante des forces d’occupation israéliennes. En 1993, la signature des Accords d’Oslo, qui ont mis fin à la première Intifada, a marqué l’entrée non pas dans une ère de lutte pour la libération mais dans un business dédié à la construction institutionnalisée de l’État qui a œuvré au maintien de la sécurité d’Israël alors même que celui-ci poursuivait l’occupation.
En d’autres termes, l’AP a endossé le rôle d’occupant local en soulageant Israël de certains frais liés à l’occupation tout en étant fortement dépendante de l’aide de donateurs étrangers pour soutenir son business. Selon un rapport publié en 2004, les dépenses publiques ne représentent que 9,5 % des fonds de l’AP. Aujourd’hui, un tiers de son budget est consacré aux forces de sécurité, alors que moins de 2 % sont dédiés à l’agriculture et l’éducation supérieure. En 2013, son déficit budgétaire se montait à plus de 4 milliards de dollars, montant très inquiétant pour un budget qui repose sur l’aide internationale.
L’opposition aux négociations ne provient pas uniquement du rival de l’AP, le Hamas, qui a régulièrement condamné les négociations qui compromettent selon lui les principes nationaux palestiniens en octroyant par exemple des concessions foncières importantes et en traînassant pour mettre en sécurité les 6 millions de réfugiés. L’été dernier, le FPLP, un mouvement de gauche, a organisé une manifestation contre les négociations à Ramallah avant d’être attaqué par les forces antiémeutes de l’AP. En 2012, alors que l’AP entamait à nouveau des négociations avec Israël sans aucune condition préalable, un mouvement de jeunes se présentant sous le nom de « Palestiniens pour la Dignité » a protesté avec véhémence pour la première fois devant la Muqata.
Les négociations sont encadrées par le Secrétaire d’État américain John Kerry, dont l’objectif principal est d’amener l’AP à reconnaître Israël en tant qu’État juif ainsi que la majorité des colonies illégales en Cisjordanie en présence de l’armée israélienne dans la vallée du Jourdain.
Le mois dernier, Mahmoud Abbas a suggéré que les forces de l’OTAN restent stationnées indéfiniment dans le futur État de Palestine, reconnaissant que celui-ci sera démilitarisé et disposera uniquement de forces de police. Ceci illustre le fonctionnement caractéristique de l’AP et démontre une fois de plus à quel point elle a perdu la confiance du peuple palestinien en s’engageant obstinément dans l’impossible discours à deux États.
Mahmoud Abbas se satisfait d’un « État » démilitarisé dépourvu de toute souveraineté hors de ses frontières ou même de forces nationales armées – une ambition gênante, étant donné qu’en tant qu’occupant, Israël n’aurait pas à faire de telles concessions pour son propre avenir et sa sécurité.
Compte tenu des divergences de dynamiques de pouvoir entre Israéliens et Palestiniens, il est évident que la participation de l’AP à cette mascarade est une tactique de survie. Au départ, elle a été conçue comme un gouvernement provisoire de cinq ans, mais ses dirigeants désirent maintenir le statu quo afin d’harmoniser leur position de pouvoir et de tirer parti des négociations pour servir leurs propres intérêts.
Alors que l’AP feint l’indignation face aux propositions absurdes de John Kerry, comme par exemple de faire don de Beit Hanina, ville voisine de Jérusalem, pour en faire la future capitale de « l’État de Palestine » ou les hésitations quant à la reconnaissance d’Israël en tant qu’État juif, la frustration, la paralysie et la dépression assaillent les Palestiniens. Le meurtre d’un jeune homme ayant refusé de se rendre aux forces militaires israéliennes d’occupation à Bir Zeit rappelle que si les dirigeants palestiniens ont déclaré forfait, la génération d’Oslo soutient toujours cette cause.
Voir aussi, sur E&R : « Israël veut une nouvelle guerre contre Gaza »