Moscou va expulser dans les jours qui viennent 23 diplomates britanniques et faire cesser les activités du British Council en Russie, en rétorsion aux mesures prises par Londres après l’empoisonnement en Grande-Bretagne d’un ex-espion russe et de sa fille.
Avec ces expulsions, une nouvelle étape est franchie dans la crise entre la Russie et la Grande-Bretagne, et par extension avec l’Occident, alors que Vladimir Poutine s’apprête à remporter sans surprise dimanche un quatrième mandat qui le maintiendra à la tête du pays jusqu’en 2024.
Dans ce contexte de quasi guerre froide, Moscou n’a même pas attendu que l’élection présidentielle soit passée pour annoncer ses mesures de rétorsion aux expulsions de diplomates russes, annoncées mercredi par le Premier ministre britannique Theresa May.
Le ministère russe des Affaires étrangères, qui avait convoqué un peu plus tôt l’ambassadeur britannique Laurie Bristow pour lui faire part de cette décision, a annoncé que « 23 membres du personnel diplomatique de l’ambassade britannique à Moscou » seraient déclarés persona non grata et « expulsés dans la semaine ».
Cette mesure est une réponse aux « actions de provocation » et aux « accusations sans fondement concernant l’évènement du 4 mars à Salisbury », précise le ministère, en référence à l’empoisonnement dans cette ville du sud de l’Angleterre de l’ancien agent double Sergueï Skripal et de sa fille Ioulia, par un agent innervant de conception militaire russe.
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Jeremy Corbyn refuse d’attribuer à Moscou l’empoisonnement de Salisbury
Dans un article publié dans la presse britannique, M. Corbyn met en garde contre le retour d’une « intolérance mccarthyste ».
Les éventuelles répercussions de l’affaire Skripal sur l’élection présidentielle russe du dimanche 18 mars seront scrutées, mais déjà, l’empoisonnement de l’ancien espion en exil provoque des remous dans la vie politique britannique. Vieux militant pacifiste et anti-OTAN, Jeremy Corbyn, chef du Labour, attise la discorde au sein de son parti en refusant de condamner la Russie pour ce que le Premier ministre Theresa May a qualifié d’« affront à l’interdiction de l’usage des armes chimiques ».
Critiqué par des élus travaillistes pour avoir dressé un parallèle entre le travail des services de renseignement britanniques sur l’empoisonnement de Salibury et les mensonges utilisés pour justifier l’entrée en guerre du Royaume-Uni en Irak en 2003, M. Corbyn vient d’aggraver son cas à leurs yeux.
Dans un article publié jeudi 15 mars par The Guardian, le leader chef de l’opposition estime que « se précipiter sans attendre les preuves réunies par la police dans une atmosphère parlementaire enfiévrée ne sert ni la justice ni notre intérêt national ». « Le Royaume-Uni doit demander des comptes aux auteurs de cet acte, poursuit-il. Mais pour autant, ce n’est pas le moment de porter des jugements hâtifs qui pourraient conduire à une nouvelle Guerre froide. »
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La punition démesurée que l’Angleterre veut infliger à la Russie
doit-elle vraiment nous surprendre ?
On n’a pas attendu d’en savoir long sur le scandale de l’espion russe empoisonné au Royaume-Uni – l’affaire très médiatisée a été immédiatement montée en épingle. Neuf jours seulement se sont écoulés entre l’incident survenu dans la ville de Salisbury et les terribles représailles internationales.
Reprenons maintenant notre souffle et revenons sur les épisodes de ce scandale supersonique.
Le soir du 4 mars, près d’une pizzeria dans la campagne britannique, un homme d’âge mûr et une jeune femme ont été retrouvés inconscients. Le 5 mars au matin, tout le monde savait que l’homme était Sergei Skripal, un ancien colonel du GRU et un ancien espion britannique, et la femme, sa fille.
Vingt-quatre heures plus tard, le 7 mars, alors que la police venait juste d’établir que Skripal avait été empoisonné par un « agent innervant », le ministre britannique des Affaires étrangères Boris Johnson avait déjà fait une déclaration pour dire qu’il y avait là comme un « écho » du meurtre d’Alexander Litvinenko, et menacer de réagir « avec fermeté » s’il « se trouvait que la Russie était impliquée ».
Quatre jours plus tard, le 12 mars, le Premier ministre britannique Theresa May annonçait que les scientifiques britanniques avaient identifié le poison : il ressemble au « Novichok » produit en URSS dans les années 1970. Personne d’autre que la Russie n’a la formule de ce poison, a-t-elle dit. Sans attendre, May a posé un ultimatum à la Russie pour qu’elle fournisse une explication complète et exhaustive de l’empoisonnement de Skripal avant le 13 mars à minuit. Et ensuite, a-t-elle dit, nous déciderons si la Russie est le mal incarné ou si elle a tout simplement perdu le contrôle de ses armes chimiques.
Si l’explication n’était pas jugée suffisamment convaincante, l’incident devait être considéré comme l’équivalent d’une attaque contre le Royaume-Uni – avec toutes les conséquences que cela comporte.
La Russie, à la surprise générale, n’a pas obtempéré, toutes affaires cessantes, à cette sommation publique et solennelle. Interviewé par la BBC, le président Vladimir Poutine a recommandé au Royaume-Uni de « démêler l’affaire » lui-même avant de déranger une importante puissance nucléaire. Le ministère russe des Affaires étrangères a poliment demandé aux autorités britanniques, conformément à la Convention sur les armes chimiques, de fournir aux autorités l’accès aux documents de l’enquête, à un échantillon de l’agent innervant et à, au moins, quelques informations concrètes.
Le Royaume-Uni a bien sûr totalement ignoré cette demande humiliante de se conformer aux normes internationales.
Pendant ce temps, le monde a découvert que May avait un peu menti. D’une part, la Russie a détruit son stock d’armes chimiques il y a longtemps, en avance sur le calendrier, (contrairement aux États-Unis, qui sont toujours en possession de leurs armes chimiques). Par ailleurs, l’inventeur de l’agent innervant Novichok a émigré aux États-Unis, il y a une vingtaine d’années ; il a publié, il y a 10 ans, un livre dans lequel il décrit les précurseurs de l’agent innervant. La substance est actuellement loin d’être un secret bien gardé. Et ainsi de suite.
Pendant ce temps, le Royaume-Uni a reçu des appuis ici et là : les premiers à la soutenir inconditionnellement furent les Tigres baltes et la Pologne (c’est le contraire qui aurait été surprenant !). Un peu plus tard – et moins inconditionnellement – la France et l’Allemagne « ont exprimé leur soutien. » Rex Tillerson, le secrétaire d’État américain, a été le dernier à apporter son soutien à la pauvre victime anglaise. Mais c’est sans importance, car il a été congédié quelques heures plus tard.
Pendant ce temps, le ministère britannique des Affaires étrangères a publié une subtile vidéo de propagande dont l’idée principale était que la Russie voulait « saper l’ordre mondial ».
Comme les sournois cosaques n’ont pas répondu à son ultimatum à minuit le 13 mars, May s’est rendue à son conseil de sécurité nationale.
Et mercredi, le monde a vu ce qu’il a vu.
Les jeux étaient faits : Skripal a été empoisonné par la Russie, a dit May. Nous avons donné à la Russie une chance de s’expliquer, mais elle ne l’a pas saisie. Le fait est que la Russie s’est ingérée partout à l’aide de ses pirates informatiques, ses forces armées et sa propagande (on peut presque entendre les députés s’écrier « sans oublier l’explosion de l’avion MH17 ! ») Il est temps d’apporter une réponse ferme et décisive, fulmina-t-elle. Nous allons expulser 23 diplomates russes (les députés : « Expulse aussi l’ambassadeur, il s’ingère et influence »). Nous annulerons également l’invitation adressée au ministre russe des Affaires étrangères Sergey Lavrov. Notre famille royale ne se rendra pas à la Coupe du Monde et il n’y aura pas de délégation gouvernementale (les députés : « Pourquoi ne pas retirer toute la Coupe du Monde à la Russie ? »). Non, ça, ce n’est pas possible.
Mais nous discuterons de notre indépendance énergétique mutuelle avec l’Europe (les députés : « Si Berlin est notre allié, il doit refuser le Nord Stream 2 ! »). Nous convoquerons une réunion de l’OTAN pour discuter de la question (« Tremble, Russie ! ») On pourrait même commencer à saisir les avoirs de l’État russe en disant qu’ils sont utilisés contre notre pays. L’économie russe n’est que la moitié de la nôtre, affaiblissons-la encore plus (nous sommes curieux de savoir où May a trouvé ces chiffres, étant donné que l’économie russe se monte aux deux-tiers de celle du Royaume-Uni en termes de PIB, et que, si l’on prend en compte la parité du pouvoir d’achat, elle est en fait deux fois plus grande que celle de la Grande-Bretagne). De toute façon, avec l’aide du monde entier, nous empêcherons les Russes de nous attaquer.
Applaudissements, ovations, les députés ont leur nouvelle Dame de Fer.
Je vous ai résumé les événements, mais je n’ai rien inventé.
Et maintenant, voilà mes premières conclusions.