La mésaventure qui a frappé le journal Valeurs actuelles rappelle, s’il était nécessaire, combien « l’extrême droite » peut être parfois idiote. Quelle candeur de pucelle (on comprendra bientôt pourquoi cette métaphore) que de croire que la récupération d’un spectacle mais aussi de quelques personnalités se fera sans un retour immédiat de flamme. Quelle stupidité ensuite que de répondre tel un « amoureux éconduit » (sic) pour se vautrer dans sa propre humiliation ! Vous cherchiez la paix pour sauver l’honneur, vous aurez la guerre et le déshonneur.
Tout commence avec la cérémonie d’ouverture du Mondial de Rugby dont les différents tableaux décrivent une France un peu passée voire mythifiée, certes, mais dont l’évocation réjouit le cœur – quoique de manière plutôt nostalgique et mélancolique quand on pense à la triste réalité :
Il n’en fallut pas davantage pour que les médias d’inspiration gauchiste (c’est-à-dire presque tous les médias) ne s’offusquassent d’une telle représentation d’un pays fantasmé et disparu qui, en plus de rappeler éventuellement les heures les plus sombres, occultait toute la diversité et la modernité de notre belle société actuelle (ici Libération) :
Ce tir de barrage choqua même le premier protagoniste de la cérémonie, Jean Dujardin, qui se fendit aussitôt d’un tweet :
Jean Dujardin vient de publier un long texte suite à sa participation à la cérémonie d’ouverture de la Coupe du Monde de Rugby pic.twitter.com/ffiLpAXlQ0
— Jean Dujardin (@FanJeanDujardin) September 14, 2023
Naïf
Transporté par la fougue du moment, Valeurs actuelles titra alors sur la « France rugby », illustrant sa Une des portraits de – Ô infamie – Jean Dujardin et Antoine Dupont. Imaginer que ces tartuffes (ou leur agent marketing en charge de leur personal branding) auraient pu laisser VA prendre en otage leur notoriété sans s’en indigner aussitôt relève au mieux de la naïveté.
Ainsi donc, Jean Dujardin, l’immense acteur d’un Gars une Fille, répondit du tac au tac, encore tout transpirant de peur qu’on pût le prendre pour un patriote un peu trop enthousiaste (publication aussitôt relayée par le zélé macroniste rugbyman Antoine Dupont) :
Pas de récupération, mais à géométrie variable :
D’ailleurs, on retrouvera notre champion dans la liste « des sportifs appell[ant] à voter Macron : "Défendre les valeurs sportives, c’est refuser l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite" ». On retrouvera tous ces patriotes du dimanche (seulement pour la coupe ou la médaille, en définitive) dans cet article de France Info.
Stupide
L’histoire aurait pu s’arrêter à cette petite humiliation sans surprise. Cependant le journal Valeurs actuelles préféra répondre. Mais sur un ton pas très extrême droite, celui d’ailleurs qu’on aurait attendu, c’est-à-dire un bras d’honneur bien senti, dans un style panache à la française, une façon d’envoyer bouler ces starlettes qui n’ont aucun courage, et même bien souvent simplement aucune conviction, aucune colonne vertébrale.
Mais voilà, le magazine Valeurs actuelles a choisi la stratégie du cocu qui en redemande. Pas très Valeurs, mais bien actuel.
En d’autres temps, un esprit taquin avait d’ailleurs appelé le journal avaleurs actuelles. C’était prophétique.
Messieurs,
Permettez-nous cette lettre pour vous dire à quel point nous vous aimons tous les deux. Vous avez manifesté publiquement votre réprobation à vous retrouver en Une de notre magazine cette semaine, où vous nous représentions sous le titre « La France rugby ».
Sur Instagram, Jean Dujardin, vous avez écrit tard vendredi soir, alors que la semaine de labeur touchait à sa fin pour laisser au week-end le soin d’alléger le temps, « La France rugby oui, vos valeurs non. Pas de récupération. Merci. » Votre ami Antoine Dupont a reposté votre message, car il était d’accord avec vous. Il a même pris soin d’effacer le nom de notre journal présent sur la Une, comme on cacherait un visage disgracieux. C’est dur. Et l’on n’ose imaginer que vous ayez besoin de mordre avec les loups, afin de demeurer dans un hypothétique camp du bien.
Mais nous vous aimions avant, nous vous aimerons après. Car nous vous aimons pour ce que vous faites, et ce que vous êtes.
Nous vous aimons sans savoir pour qui vous votez. Nous vous aimons sans nous préoccuper de votre éventuelle religion ou de votre couleur de peau. Nous vous aimons sans savoir si vous nous appréciez (maintenant nous savons). Nous vous aimons parce que vous dégagez chacun à votre manière, une part du génie de notre pays. Nous avons ri devant Chouchou et Loulou, frissonné devant The artist, souffert pour vous dans La French, et nous trouvons le troisième degré d’OSS 117 absolument délicieux.
Nous avons eu la chair de poule, Antoine, quand vous avez joué votre premier match de Top 14 sous le maillot de Castres à 17 ans, avec ce visage d’enfant résolu à rentrer dans la vie. Nous avons été fiers quand vous avez été sacré meilleur joueur du monde, nous trouvons que vous faites un excellent capitaine ; peu bavard certes, mais exemplaire.
Nous vous avons mis à la Une de notre journal car nous cherchons des modèles, et à fuir, autant que nécessaire, la complainte. Parce que nous voulons croire à la sentence de Sylvain Tesson (désolé de vous aimer aussi cher Sylvain) qui voit en la France un paradis peuplé de gens qui se croient en enfer. L’enfer existe, mais on imagine le paradis peuplé de gens comme vous.
Jean, vous a été scout et gardez un grand souvenir de votre service militaire. Nous gardons un grand souvenir de nos années de scoutisme, et regrettons d’être né trop tard pour pouvoir servir la France un an durant, entouré de gens que nous n’aurions sans doute jamais croisés auparavant.
Antoine, avec votre famille, vous élevez des porcs de Bigorre, et nous ne sommes jamais restés insensibles, lors de nos visites en pays béarnais, au spectacle de la chaîne des Pyrénées qui cadre l’horizon dans ce mélange de magnificence et de rassurance.
Antoine, vous avez appelé à faire barrage à Marine Le Pen, quand vous, Jean, vous êtes abstenu de toute consigne, arguant que ce choix prononcé relevait de la vie privée.
Quels que soient vos points communs ou divergences, il se trouve que tous deux parlez bien de votre pays, lorsque l’on vous interroge sur ce vaste sujet. Souffrez que nous l’apprécions.
Nous vous avons mis à la Une car le rugby dépasse ce sport aux règles incompréhensibles pour tangenter les rivages d’un art de vivre. Et nous vous avons mis à la Une pour dire que nous vous soutenions, à notre humble mesure, après les critiques reçues au sujet de la cérémonie d’ouverture. Nous n’avons pas d’expertise scénographique particulière, mais nous avons décelé ça et là, dans cette foire que l’on nomme débat public, la mauvaise foi de ceux qui veulent tout détruire, les procès d’intention de ceux qui sans cesse condamnent au nom de leur nouvelle morale. Nous ne souscrivons pas aux anathèmes paresseux sur « la France rance ». Comme vous, nous affirmons que la France est notamment « le pays du béret, de la gastronomie, de la culture, et de l’éducation ».
Vous évoquez le mot récupération. Parce que nous sommes (et resterons) génétiquement un journal de droite conservatrice ? On ne penserait jamais, croyez-nous, au mot récupération si nous voyions vos visages à la Une de Libération, de l’Humanité, ou de l’Obs. Parce que chacun a le droit de vous aimer, que chaque journal est libre de ses publications.
Parce que nous avons publié un témoignage de Stanislas Rigault, proche d’Eric Zemmour ? Son texte était aussi sincère que ceux, dans ces mêmes pages, de votre ami Patrick Sébastien, de l’ancien sélectionneur et ministre de Nicolas Sarkozy Bernard Laporte, de l’ancien ministre d’Emmanuel Macron Jean-Baptiste Djebbari, ou du si attachant Max Guazzini. Nous avions aussi sollicité, figurez-vous, le maire Rassemblement national de Perpignan Louis Aliot, mais il n’a pas eu le temps. Ainsi que le Répubicain du Lot Aurélien Pradié et l’Insoumis Alexis Corbière, mais ils n’ont pas répondu.
Cher Antoine, cher Jean, nous continuerons à regarder vos matches. vos films, à lire vos interviews. Nous continuerons à parler de vous, à nos lecteurs qui ne demandent que cela.
L’amour ne calcule pas. Nous voilà amoureux éconduits. Avec des sentiments dont nous ne voulons pas guérir. Pourquoi, en effet, se refuser ce délice d’aimer ?
Tugdual Denis
Directeur de la rédaction de Valeurs actuelles