Un sociologue est né. Il nous vient du Québec, et répond au nom très « pure laine » de Jean-Pierre Tremblay. Très jeune, puisqu’il est encore doctorant, il possède une maîtrise de sociologie de l’Université de Laval. Et pourtant la gloire académique lui est déjà ouverte, avec un formidable article dans la dernière parution de la revue Sociétés – sous-titrée « revue des sciences humaines et sociales » –, éditée par De Boeck Supérieur, et où publier permet d’inscrire son travail dans les bases de données professionnelles servant à la diffusion des connaissances mais aussi à évaluer les chercheurs. Une revue surtout dirigée par le sociologue Michel Maffesoli.
L’article de Jean-Pierre Tremblay a donc passé avec succès l’épreuve de la « revue par les pairs », du comité de lecture de la revue, gage de sérieux et de qualité scientifique. Son titre ? « Automobilités postmodernes : quand l’Autolib’ fait sensation à Paris ». En dix pages, il met à jour, affirme son résumé, « les soubassements imaginaires d’un objet socio-technique urbain contemporain : l’Autolib’. Sur la base d’une enquête de terrain approfondie, elle-même couplée à une phénoménologie herméneutique consistante, nous montrons que la petite voiture de location d’apparence anodine, mise en place à Paris en 2011, se révèle être un indicateur privilégié d’une dynamique macrosociale sous-jacente : soit le passage d’une épistémè “moderne” à une épistémè “postmoderne”(...) ».
Démonstration par l’absurde
Tout lecteur ayant réagi aux lignes qui précèdent avec le vague sentiment d’un foutage de gueule intégral a du flair. Du flair pour le canular. Le pastiche. La démonstration par l’absurde. Car, comme le révèlent dans un long et documenté article paru samedi dernier dans la revue Carnet Zilsel, « Le maffesolisme, une sociologie en roue libre », le sociologue Arnaud Saint-Martin (chercheur au CNRS et à l’Université Versailles Saint Quentin) et le doctorant Manuel Quinon (Université Denis Diderot), il s’agit bien d’un énorme canular dont ils sont les véritables auteurs. Un canular destiné à démontrer la totale absence de rigueur scientifique de la revue Sociétés et du courant sociologique maffesolien.
Jean-Pierre Tremblay n’existe pas. L’Université de Laval non plus (les Québecois ont eu d’emblée la puce l’oreille, car l’Université Laval, elle, existe). Et surtout, l’article envoyé par ses véritables auteurs, le duo Saint Martin/Quinon, est un condensé de maffesolisme. En résumé, explique Manuel Quinon : « absolument aucune enquête, pas de données expérimentales ou d’observation, une sociologie réduite à une conjecture, une vision de l’Homme mu par une force dionysiaque que la postmodernité libérerait et qu’il faut plaquer sur toute réalité sociale ».
Les deux compères n’ont pas trouvé la limite
Lire l’article permet de se dilater la rate. Les deux compères ont en effet cherché jusqu’où ils pouvaient aller trop loin. Et n’ont pas trouvé la limite. Malgré une avalanche de jeux de mots foireux, comme l’Autolib’ « dont l’existence précède l’essence ». Des photos nazes prises avec un smartphone comme seule trace d’une quelconque enquête de terrain après avoir annoncé qu’elle fut « approfondie ».