Depuis le mois d’avril 2017, plusieurs représentants de la communauté juive – intellectuels, journalistes, avocats – tentent de surmédiatiser un crime. Un crime pas comme les autres, selon eux.
Le 4 avril 2017, Sarah Halimi, 65 ans, est défenestrée par un homme qu’on accuse d’antisémitisme. C’est un cas pour Maître Viguier, spécialiste des affaires délicates : est-on en présence d’un crime antisémite prémédité, la qualité de « juive » de la victime primant la qualité de victime « femme » ou « âgée », sinon simplement « voisine », ou d’un crime de voisinage comme il y en a malheureusement parfois (900 par an en moyenne) ?
Le travail des juges ne sera pas simple, sous la pression des sempiternelles associations qui montent au créneau et tonnent sans interruption dans les médias dominants. D’où l’intérêt de disposer de relais médiatiques puissants : ce faisant, on multiplie sa voix et on arrive à faire d’un cas parmi d’autres un cas unique et une affaire nationale.
Pourtant, si l’affaire « Sarah Halimi » prend dans la presse, elle ne prend pas dans l’opinion. Il est vrai que le crime a eu lieu début avril, en pleine campagne électorale de premier tour. Ce dont les soutiens médiatiques de la victime, enfin, de sa mémoire, se désolent. Ils multiplient donc les tribunes, prises de position, interventions. La presse relaye cet unique point de vue. Avec des titres très orientés : « Analyse d’un silence médiatique » (Le Figaro), « Sarah Halimi a-t-elle été tuée parce qu’elle était juive ? » (Le Monde), « Le meurtre de Sarah Halimi est-il antisémite ? » (Le Point), « Meurtre de Sarah Halimi : un appel pour que la lumière soit faite » (Le Point), « Je suis Sarah Halimi, jetée par la fenêtre par un musulman antisémite » (dreuz.info), « Meurtre de Sarah Halimi, enquête sur un massacre » (L’Express), « Femme défenestrée à Paris : le Consistoire se constitue partie civile » (Le Parisien), « Meurtre de Sarah Halimi, un silence de plus en plus pesant » (crif.org), « Y a-t-il une omerta médiatique sur le meurtre de Sarah Halimi ? » (fdesouche), « “Elle s’appelait Sarah”... Halimi » (HuffPost)... Le dernier titre reprenant le nom du film Elle s’appelait Sarah, film sorti en 2010 sur une journaliste américaine qui part à la recherche d’une petite fille dont les parents ont été déportés.
On souhaite bonne chance aux juges de cette affaire qui vont devoir subir cette intense pression.
Mais commençons par les faits, en essayant de nous hisser à la hauteur de Me Viguier. Le 4 avril, une retraitée de 65 ans est torturée et défenestrée par le fils des voisins, un malien de 27 ans au casier long comme le bras d’un lobbyiste. Leurs noms sont tout de suite balancés à la presse, car ils sont symboliques : Sarah Halimi et Kobili Traoré. Nous voilà aussitôt dans les traces de l’affaire Ilan Halimi et du gang des Barbares.
Les hurlements retentissent jusqu’au rez-de-chaussée de l’immeuble. Personne ne vient en aide à Sarah Halimi. En revanche, des voisins appellent la police, qui se rend sur place, mais n’intervient pas. (Le Figaro)
Vers 4h du matin, entré chez un voisin qui lui ouvre innocemment sa porte, Kobili enjambe la fenêtre, passe chez Sarah et la frappe. Un voisin l’entend crier des mots confus en français et en arabe, dont « j’ai tué le démon du quartier ». Après la mort de Sarah, Kobili est arrêté, chez qui des troubles manifestes sont détectés par les psychiatres. Kobili est à ce jour encore en HP. Le juge d’instruction n’a « pas retenu la circonstance aggravante du caractère antisémite de l’agression », selon le JDD. Ce à quoi l’avocat d’un des fils de Sarah, Me David-Olivier Kaminski, rétorque :
« Délinquance, drogue, prison… On retrouve tous les stigmates de l’islamisme radical. Il est incompréhensible que la qualification antisémite ne soit pas prise en compte. C’est un mépris pour la mémoire de Mme Halimi. »
La famille du criminel argue que Kobili était en train de basculer mentalement, les jours précédents l’agression. Ils ne le reconnaissaient plus. La justice tranchera.
Depuis deux mois, de nombreux intellectuels ou personnalités qui ont accès aux médias – ce n’est pas le cas de tout le monde – réclament la fameuse requalification en crime « antisémite », ce qui aggrave la peine encourue. Pour cela, il faut prouver que le meurtrier a agi par antisémitisme, ou qu’il était antisémite. Avant et/ou pendant les faits. Le 1er juin 2017, voyant que l’opinion ne s’intéresse pas à l’affaire, ou ne s’en émeut pas, ce sont 17 intellectuels qui lancent un appel dans Le Figaro, une habitude datant des temps sartriens. Voici la liste des signataires :
Élisabeth Badinter, philosophe ; Georges Bensoussan, historien ; Laurent Bouvet, professeur de sciences politiques ; Pascal Bruckner, philosophe ; Alain Finkielkraut, académicien ; Marcel Gauchet, philosophe ; Noémie Halioua journaliste à « Actualité juive », Jacques Julliard, historien ; Suzanne Julliard, professeur de lettres ; Alexandra Laignel-Lavastine, philosophe ; Barbara Lefebvre, professeur d’histoire-géographie ; Jean-Pierre Le Goff, sociologue ; Sonia Mabrouk, journaliste ; Michel Onfray, philosophe, Céline Pina, essayiste ; Michèle Tribalat, démographe et Paul Thibaud, philosophe et ancien président de l’Amitié judéo-chrétienne de France (AJCF).
Nous verrons dans les prochains jours si cette association spontanée pour requalifier cet homicide en crime antisémite sera couronnée de succès. Le procureur de Paris, François Molins, celui-là même qui apparaît après chaque attentat parisien pour délivrer le discours officiel, attend les premiers éléments de l’enquête pour juger de la chose.
Il y a 8 ans (29 avril 2009), la pression médiatico-politique avait été énorme pour requalifier le crime du gang des Barbares en crime antisémite et pour augmenter les peines infligées en appel, sur demande du ministre de l’Intérieur en personne, Michèle Alliot-Marie, ce qui ne s’était jamais vu. Les auteurs de l’enlèvement et du meurtre d’Ilan Halimi avaient pris cher, très cher. Les proches de Benoît Savéan, qui aura vécu le même calvaire qu’Ilan Halimi, un cadre de Peugeot, n’auront pas droit à la consolation de cette circonstance aggravante.
« On ne peut plus faire comme si ce crime s’était “noyé” dans la masse des crimes » (Philippe Bilger, magistrat honoraire)
En attendant, la campagne médiatique se poursuit sans relâche. Dans Le Point du 2 juin 2017, l’essayiste Céline Pina, que le grand public ignore complètement, bénéficie d’une interview au lendemain de la tribune des 17 intellectuels dans Le Figaro. Elle y martèle avec assurance une version des faits alors que l’enquête n’a pas été bouclée. Selon elle, le silence médiatique (!) autour du meurtre s’explique par la peur « que cette affaire ne fasse exploser les votes en faveurs du FN ».
Rappelons à ce stade que lors de la manifestation nationale en mémoire d’Ilan Halimi, dont tous les médias avaient battu le rappel, et qui n’avait réuni le 26 février 2006 que 30 000 personnes à Paris (chiffre officiel), toutes les formations politiques avaient été conviées au défilé, sauf une : le FN. Persona non grata dans l’arc républicain de l’époque. L’argument de l’essayiste ne tient pas. Mais cet illogisme ne l’arrête pas :
« Au fur et à mesure que l’enquête avance, la dimension antisémite se fait de plus en plus évidente. On est alors plusieurs à se dire que cette femme ne méritait pas de disparaître dans un silence aussi pesant. Fallait-il renoncer à qualifier cette réalité par peur de faire monter le FN ? »
Pourquoi battre le tambour pendant l’enquête, rendant les choses plus difficiles pour le juge en charge ? Pourquoi ne pas attendre ? Pourquoi ne pas laisser la justice faire son travail en toute sérénité ? Pourquoi lui souffler la solution, qui paraît à toutes les personnalités citées si évidente ? La justice n’aime pas le bruit, et le bruit n’aime pas la justice. Dernière question du Point : « Est-ce un meurtre à caractère antisémite ? Un acte terroriste ? Un coup de folie ? »
Réponse de Pina :
« Les éléments dont nous disposons aujourd’hui conduisent à penser qu’il s’agit d’un meurtre à caractère nettement antisémite. Le profil du meurtrier indique que cet antisémitisme semble avoir été cultivé par des islamistes qui, comme tous les radicaux, ont besoin d’ennemis pour exister... »
Céline Pina parle comme un enquêteur, ce qu’elle n’est pas. De notre côté, nous ne nous substituons pas à la justice, mais nous notons les parallèles entre les deux affaires Halimi, toutes proportions gardées. Si le gang des Barbares était une bande de crapules qui cherchait le fric à tout prix, quitte à tomber dans le cliché antisémite le plus vil et à cibler des victimes juives, censées être riches, Kobili Traoré a montré des signes inquiétants de perturbation mentale. S’il a tenu des propos antisémites (sa voix a été enregistrée la nuit du meurtre par un voisin), mais qu’il ne possède pas toute sa raison, alors comment juger ce cas ?
Dernière chose, et non des moindres : nous avions écrit, le 21 janvier 2016, à propos de l’affaire Ilan Halimi, la conclusion suivante :
Sans vouloir rejouer le passé, comment un État qui remet 13 millions d’euros à des groupes terroristes (en 2010 pour quatre otages français enlevés au Sahel), a-t-il pu jouer avec la vie d’un otage sur son propre sol pour 100 000 euros (Fofana avait baissé ses prétentions), alors que la valise et l’argent étaient prêts, dans les mains du père, prêt, lui, à les remettre aux ravisseurs, des ravisseurs si amateurs qu’ils auraient été rapidement confondus ? Pourquoi avoir pris ce risque ?
Dans les deux cas, la police n’est pas intervenue, ou est intervenue trop tard. Dans le cas Halimi en 2006, c’est la fermeté incompréhensible des négociateurs chapeautés par l’Intérieur qui a mené à la mort du jeune Ilan. Onze ans plus tard, les policiers, qui étaient pourtant prêts à intervenir, ne sont pas intervenus.