Le discours de Marine Le Pen séduit aussi les Français issus de l’immigration qui subissent l’insécurité des banlieues.
Zoubida est française depuis 2006 et membre du Front national depuis très peu. « Je me suis inscrite au FN il y a trois semaines, par Internet », dit-elle, assise en cette fin de mai à la table d’un café du XIVe arrondissement de Paris. Zoubida, musulmane, porte un voile de couleur rose sur ses cheveux. « Je fais mes prières et le ramadan », précise-t-elle, ajoutant ne pas se sentir visée par les attaques de Marine Le Pen contre les musulmans priant dans la rue : « J’aime cette femme battante, c’est pas du faux ce qu’elle dit, la France, c’est son pays. »
Agée d’une cinquantaine d’années, séparée de son mari depuis 14 ans, Zoubida vit dans une cité HLM du XIVe arrondissement. Elle partage un trois-pièces avec ses deux grands fils, 29 et 22 ans, et sa fille de 16 ans. Les deux derniers sont au courant de son adhésion au Front national. Ils l’ont apparemment bien pris. L’aîné, chauffeur de taxi, pas encore. « Il faut que tu le lui dises », l’encourage Kheira, une amie d’origine algérienne, présente lors de l’entretien, elle-même nouvelle adhérente du Front, mère de trois enfants également.
Marine a été le déclic
Les deux femmes, qui se connaissent depuis trente ans, ont pris leur carte au FN pour plusieurs raisons. Le départ – relatif – de Jean-Marie Le Pen, qui a laissé sa place à une femme, sa fille, a été un déclic. Mais, surtout, elles n’aiment pas les « casseurs », qu’elles associent d’une manière générale aux jeunes Arabes et Noirs des banlieues. « Ils renvoient une mauvaise image de moi. Ça me fait un peu peur et ça me fait honte », confie Zoubida.
Kheira, qui a eu trois compagnons dans la vie, dont l’un, harki (Algérien ayant servi les Français pendant la Guerre d’Algérie, ndlr), votait Front national, tient un discours assez radical : « C’est le laxisme qui m’insupporte. Si Marine Le Pen gagne la présidentielle en 2012, il y a aura peut-être une petite guerre pendant quelque temps dans les banlieues, mais au moins on aura fait le tri entre les bons et les mauvais. »
Zoubida a mal vécu l’interpellation par la police de son fils cadet, un soir de ramadan, en bas de son immeuble. Il n’avait pas ses papiers sur lui. « Ils l’ont emmené au commissariat, j’y suis allée et je leur ai demandé de le relâcher » Etre « mis dans le même sac » que les délinquants, voilà ce que Zoubida et Kheira ne veulent plus.
Contre les immigrés profiteurs
Elles ne veulent plus, non plus, d’une immigration qui, selon elles, « profite » des aides sociales, qui applique la formule en trois points : « Les mamans sont les porteuses, la rue éduque, les allocations paient. »
Zoubida, assistante maternelle, gagne 1500 euros par mois. Son loyer s’élève à 505 euros. Elle n’en paie que 200 grâce à l’aide personnalisée au logement. « J’en ai ras-le-bol de voir des étrangers obtenir un logement HLM trois ou quatre ans seulement après leur arrivée en France », s’insurge-t-elle.
Dans son programme de candidate à l’élection présidentielle, Marine Le Pen a inscrit la suppression de la double nationalité, mesure visant principalement les Français d’origine maghrébine et subsaharienne. Point de vague à l’âme chez les deux amies, l’Algérie pour l’une, le Maroc pour l’autre, ne leur ayant « rien apporté ».
Proportion surestimée
Le Front national, le parti des « Français d’abord », est-il en train de gagner à sa cause un pan non négligeable des « immigrés » ? Les statistiques font défaut. En France, des sondages réalisés lors de la présidentielle de 2002 indiquaient que 5% des Français musulmans, proportion équivalente chez les Français juifs, avaient voté pour Jean-Marie Le Pen.
François Vial, membre de la Fédération parisienne du Front national, affirme que son parti recrute parmi les Français arabes et noirs, en particulier des Franco-Ivoiriens pro-Gbagbo, déçus du soutien apporté par Nicolas Sarkozy à Alassane Ouattara. C’est le cas de Sonia, 39 ans, mère de deux enfants, habitant un quartier pavillonnaire aux Noues, en grande banlieue parisienne, soumis au bruit des avions décollant de l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle. « J’aime pas Sarko », dit-elle. Elle trouve Marine Le Pen « plus cool, plus relax » que son père sur la question de l’immigration. « Elle met l’accent sur les inégalités sociales, c’est ce qui me plaît. »
Sonia, qui dénonce les « injustices » et le « racisme » en France, semble être une erreur de casting au FN, dont elle déplore la présence en son sein des « têtes rasées », qui « salissent l’image du parti ». Elle a apprécié que Marine Le Pen, « contrairement aux autres », ait d’abord pensé à la « victime » dans l’affaire d’agression sexuelle présumée impliquant Dominique Strauss-Kahn. Sonia, de père ivoirien et de mère guadeloupéenne, n’a toutefois qu’un vœu : retourner vivre à Abidjan. Mais auparavant, elle aura glissé un bulletin FN dans l’urne.