Le Président de la BCE, Monsieur Mario Draghi, a déclaré être prêt à « tout faire pour sauver l’Euro ». Mais, la BCE a-t-elle réellement les moyens de sauver l’Euro ?
I. Les conséquences d’une action directe de la BCE
Admettons que la BCE puisse ou jeter par-dessus les moulins son statut ou trouver des compromis juridiques lui permettant de racheter massivement de la dette souveraine de pays en difficulté ; ceci serait-il une solution à la crise de la zone Euro ? Regardons les montants que la BCE devrait débourser.
Pour l’Espagne, les besoins s’élèveraient à 300 milliards d’Euros d’ici à la fin de l’année. Il est cependant clair que ce qui aurait été fait pour ce pays ne pourrait être refusé à d’autres. La Grèce viendrait au guichet pour un montant estimé à 60-80 milliards. L’Italie serait aussi un « client » potentiel, avec des besoins estimés (suivant la date de l’opération) entre 500 et 700 milliards. C’est donc de 860 à 1080 milliards que la BCE devrait racheter dans un délai assez court (moins de 6 mois).
Ces sommes représentent en 3 fois et 4 fois le montant (211 milliards) des achats de titres publics déjà réalisés par la BCE depuis le début de la crise en 2010.
Les conséquences sur le bilan de la BCE e seraient importantes. On verrait apparaître de 1071 milliards (860 + 211 déjà sur le bilan) à 1291 milliards (1080 + 211 déjà sur le bilan) de titres publics. Entre le tiers et la moitié de ces titres ne seront jamais remboursés dans le cadre de défauts soit « sauvage » soit ordonnés. La BCE devra soit admettre qu’elle a fait de la création monétaire ex-nihilo ou demander aux États de la zone Euro une recapitalisation comprise entre 330 et 650 milliards.
Le problème avec la création monétaire ex-nihilo est celui de la compatibilité du fonctionnement de la BCE avec la Constitution allemande. Cette dernière interdit à la Banque Centrale de procéder à ce type de création monétaire. Il faudrait donc soit modifier la Constitution allemande (ce qui pose des problèmes politiques et risque d’échouer) soit se résoudre à cette recapitalisation.
Pourtant, une telle intervention ne règlerait en rien la crise de l’Euro. Cette crise n’est pas en réalité une crise de la dette souveraine. La crise de liquidité qui se manifeste aujourd’hui est en fait issue de la crise de compétitivité. Celle-ci est liée aux structures économiques et démographiques hétérogènes des pays de la zone, hétérogénéité qui est exacerbée par le fonctionnement quotidien de la monnaie unique. C’est cette crise de compétitivité qui déclenche les inquiétudes qui font monter les taux d’intérêts et provoque la crise de liquidité.
La permanence de la crise de compétitivité provoquerait inévitablement la réapparition de la crise de liquidité. D’ailleurs, depuis que la BCE a procédé aux premiers rachats sur le marché secondaire en mai 2010, aucun des pays qui ont bénéficié de ces opérations n’est revenu sur les marchés financiers. La politique de la BCE illustre donc une erreur majeure de diagnostic.
Parce qu’elle est présentée comme une crise de la dette, les politiques se concentrent sur la restauration des équilibres économiques. Mais, les politiques alors mises en oeuvre aggravent la situation, en plongeant les pays dans une récession, voire une dépression. Cette dernière réduit les ressources fiscales, aggravant le déficit et la dette. De plus, ces politiques accroissent considérablement le chômage.
Mais, si l’on veut s’attaquer à la racine de la crise de compétitivité, il faut mesurer ce que cela implique pour les pays, ou en matière de coûts de transfert.
II. La crise fera soit éclater l’Euro, soit éclater l’Europe
Il n’est donc pas du pouvoir de la BCE de résoudre la crise de l’Euro, et même des actions combinées avec celles des États membres n’offrent guère d’alternative.
Des politiques de baisses des coûts salariaux ont d’ores et déjà été expérimentées dans des pays de la zone Euro (Grèce, Irlande, Portugal, Espagne, Italie) et leurs conséquences sont catastrophiques avec une contraction violente de la demande intérieure, qui provoque non seulement une forte hausse du chômage mais en sus une baisse de la productivité. Cette dernière implique alors de nouvelles mesures d’ajustement, dont les effets sur le chômage viennent se cumuler avec les premières mesures.
D’ici deux ans, il faut donc s’attendre à des taux de chômage de 52 % de la population active en Grèce, 35 % au Portugal, 32 % en Espagne et de 22 % à 25 % en France et en Italie. Ces niveaux de chômage sont les mêmes que lors de la « Grande Dépression » des années 1930.
Une autre solution, qui est cohérente avec la monnaie unique, serait d’instituer des flux de transferts depuis les pays excédentaires vers les pays déficitaires. Mais, ces montants sont tout à fait énormes. On peut les estimer à 10,8 % du PIB de l’Espagne pour le soutien à à ce dernier pays, à 13,1 % de PIB de l’Italie à 12,3 % de PIB du Portugal et à 6,1 % de PIB de la Grèce. Cette politique coûterait alors à l’Allemagne de 8% à 13 % de son PIB (en 2012) en transferts budgétaires pour les 4 pays en difficulté.
De tels montants briseraient les reins de l’économie allemande alors qu’une dissolution de l’Euro, accompagnée de dévaluations dans différents pays, ne coûterait que 2% à 2,5% du PIB à l’Allemagne. Il n’est donc pas étonnant qu’une majorité absolue des Allemands se prononce aujourd’hui contre l’Euro (51% contre et 29% pour). L’opposition politique de l’Allemagne aux mesures de transferts est donc appelée à se durcir dans les semaines à venir.
Si l’on persiste donc dans la politique actuelle, la zone Euro, et l’Europe avec elle entrera dans une récession, puis une dépression de longue durée. La comparaison avec la crise des années 1930, la « Grande Dépression » s’impose. Le poids politique et économique de l’Europe se réduira de manière considérable, et notre continent deviendra « l’homme malade du monde ». Des pays sortiront de l’Euro, les uns après les autres. Le premier sera sans doute la Grèce. Elle sera suivie par le Portugal et l’Espagne. De proche en proche, ce sont toutes les mesures constitutives de l’Union Européenne qui seront remises en cause.
Par contre, si une politique de dissolution coordonnée et concertée de la zone Euro était adoptée, elle prendrait la forme d’un acte européen. Tout en rendant possible pour les pays concernés de réaliser les ajustements nécessaires à un coût bien plus faible en termes de chômage par des dévaluations, elle permettrait de sauvegarder l’essentiel de l’Union Européenne. Cette politique offrirait la perspective, à moyen terme, de reconstituer sur des bases plus souples une forme d’intégration monétaire.
La politique défendue par Mario Draghi, en enfermant la zone Euro dans sa crise, porte en elle la menace d’un éclatement de l’Union Européenne. Pour quelques mois ou quelques années de gagnés, nous serions confrontés à une crise bien pire que celle que nous connaissons aujourd’hui.
Plusieurs économistes, dont deux Prix Nobel Joseph Stiglitz et Paul Krugman, ont affirmé que la poursuite de cette politique visant à sauver l’Euro était criminelle. Une dissolution de la zone Euro réalisée d’ici à la fin de 2012 est aujourd’hui la seule solution qui puisse éviter un désastre.