Critique du dernier ouvrage (sortie le 1er février) de Marine Le Pen par le blog des Droites Extrêmes (Le Monde), ou la déroute de chiens de garde perdus dans les méandres de leurs inamovibles références idéologiques.
Il est présenté comme "un livre boussole". Un livre que "Marine Le Pen mûrit depuis longtemps", "au moins depuis 2009", selon Bruno Bilde, le chef de cabinet de la candidate FN à la présidentielle. Pour que vive la France (Grancher), qui doit sortir le 31 janvier, se veut donc un livre programme qui fait la synthèse de la pensée mariniste. Les éditions Grancher avaient déjà publié le premier livre, plus personnel, de Marine Le Pen en 2006 (A contre flots).
Le texte de Marine Le Pen est en tout cas dense – 250 pages –, pas forcément facile à aborder, tant il multiplie les pages arides où se succèdent des données économiques. Il rentre ainsi totalement dans la stratégie de crédibilisation de Marine Le Pen, notamment sur les questions économiques et sociales. Un travail, en tout cas, que n’avait pas fait son père à l’époque où il dirigeait le Front national. Cet ouvrage est donc un moment important pour Marine Le Pen. Un livre, aussi, qui tend à brouiller les pistes en empruntant à la gauche de nombreuses références et en évitant soigneusement toute référence explicite à un quelconque auteur de sa famille politique.
L’ouvrage se divise en deux parties. Une longue partie de constats, notamment économiques, et une autre – un peu plus courte – des grandes lignes du projet présidentiel de Marine Le Pen. Cette seconde partie ne contient rien d’inédit, même s’il faut noter que la candidate du FN a réservé une place à part aux questions d’éducation, auxquelles elle consacre un chapitre.
Emprunts à gauche et brouillage des pistes
Tout l’intérêt de l’ouvrage réside donc dans la lecture du monde que fait Marine Le Pen. Se croisent alors plusieurs sources d’inspiration, plusieurs écoles de pensées dans lesquelles Mme Le Pen semble avoir pioché. Le tout forme un ensemble plutôt hétéroclite. L’apport chevènementiste est notamment décelable dans la critique de la construction européenne ou de la mondialisation. Mais il y a aussi des traces de la Nouvelle Droite, notamment dans la description d’un "homo mondialisus", un "homme vidé de toute croyance, de toute solidarité, de toute identité nationale, de toute référence historique".
Pour appuyer son raisonnement, elle n’hésite pas à citer des personnages appartenant à la gauche, que son mouvement a toujours récusé. Karl Marx est ainsi cité, tout comme Bertolt Brecht, Victor Schoelcher, George Orwell, le journaliste Serge Halimi, ou des ouvrages comme le Manifeste des économistes atterrés (Les Liens qui libèrent, 2010). Même dans les têtes de chapitre, les références sont claires : "Le sarkozysme, stade suprême du mondialisme", ne rappelle-t-il pas l’ouvrage de Lénine : L’impérialisme, stade suprême du capitalisme ? Tout ce champ lexical emprunté à la gauche fait en tout cas penser à cette phrase attribuée à Guy Mollet au congrès d’Epinay en 1971, à propos de François Mitterrand : "Mitterrand n’est pas socialiste, il a appris à le parler".
Pierre Mendès France est aussi appelé à la rescousse par deux fois. Il faut se souvenir que Jean-Marie Le Pen avait déclaré à l’Assemblée nationale, le 11 février 1958, en s’adressant à Mendès-France : "Vous savez bien, monsieur Mendès France, quel est votre réel pouvoir sur le pays. Vous n’ignorez pas que vous cristallisez sur votre personnage un certain nombre de répulsions patriotiques et presque physiques."
L’"alternationale" sera le genre humain
Mais Mme Le Pen le répète assez souvent : pour elle, le clivage droite-gauche est dépassé. Donc elle puise son inspiration aussi à droite, chez des auteurs comme Georges Bernanos ou Paul Valéry, ou des personnalités politiques, comme Marie-France Garaud. Et elle met en regard des citations de Pascal Lamy – socialiste, directeur de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) –, Valéry Giscard d’Estaing ou Nicolas Sarkozy pour mieux les dénoncer.
Mais Marine Le Pen emprunte aussi dans sa famille politique. Comme chez le polémiste Alain Soral, où elle pioche la notion "d’Empire du bien" , ou quand elle appelle de ses vœux un "alternationalisme". Au passage, elle égratigne les Identitaires qui, en n’étant pas nationalistes, participeraient "à la destruction de la Nation française" et feraient "le jeu de l’organisation de Bruxelles", comprendre l’Union européenne.
Une des références de Mme Le Pen est le philosophe antilibéral Jean-Claude Michéa. Intellectuel inclassable, il est l’une des références de la Nouvelle Droite pour sa critique du système médiatique. Tout au long de l’ouvrage, Mme Le Pen s’érige aussi en héritière du gaullisme, alors que sa famille politique s’est notamment construite sur le rejet du général de Gaulle. Tout comme elle se réclame du programme du Conseil national de la Résistance. D’ailleurs, comme souvent à l’extrême droite, la thématique de la Résistance est omniprésente. Dans un retournement de notions, Marine Le Pen se fait le héraut de cette "Nouvelle Résistance" au "mondialisme".
La vision complotiste du "Léviathan mondialiste"
Un mondialisme – terme qui, en soi, est un marqueur politique à l’extrême droite – présenté comme un "Léviathan", une sorte de conglomérat, de gouvernement global hors sol, qui dirigerait le monde, l’Union européenne et la France. Avec – même si elle s’en défend – une grille de lecture complotiste, qui décrit "une guerre des élites contre le peuple".
Pour Marine Le Pen "l’élite" est "aussi bien politique que médiatique et financière". Elle ajoute : "Après deux décennies de bourrage de crâne ultralibéral et mondialiste, son homogénéité idéologique est solide". Le mondialisme devient dès lors une sorte de monde parallèle et omniscient avec même... sa propre religion, à savoir le libre-échange, et son "veau d’or, l’euro".
Faisant la différence avec la mondialisation, Marine Le Pen avance une définition du mondialisme qui rappelle la vision de la Nouvelle Droite. "Le mondialisme est en effet une idéologie qui a pour trait principal de nier l’utilité des nations, leur adaptation au monde ’postmoderne’ et qui vise à façonner un nouvel homme, (...) vivant hors sol, sans identité autre que celle du consommateur global, rebaptisé ’citoyen du monde’ pour masquer le caractère profondément mercantile de cet objectif."