L’enfant terrible des lettres parisiennes a décidé de se publier lui-même. Première salve avec un roman inédit. Il raconte à L’Express comment il en est arrivé là.
La rumeur parisienne le donnait fini. Pas un livre depuis six ans. Subsistant grâce à sa peinture - Jean-Luc Delarue et Patrick Le Lay furent parmi les acheteurs lors de sa dernière exposition - et cachetonnant à la guitare au côté de son père, le jazzman Marcel Zanini, ou du célèbre dessinateur Robert Crumb et de son groupe, Les Primitifs du futur. Lui qui avait fait scandale, en 1985, avec son pamphlet Au régal des vermines, sur le plateau d’Apostrophes- dans une émission virant au pugilat - puis marqué une génération d’écrivains avec les quatre volumes de son Journal intime, se serait dissous à l’aube de la cinquantaine.
Il faut toujours se méfier du Nabe qui dort. Le sulfureux écrivain s’apprête à dégoupiller une nouvelle grenade : après 27 livres édités aussi bien chez Gallimard qu’au Dilettante, il a décidé de publier lui-même son nouveau roman, ironiquement intitulé L’homme qui arrêta d’écrire. La bonne vieille autoédition, donc ? "Non, de l’antiédition ! corrige-t-il, très excité par ce nouveau départ. J’en ai assez des éditeurs blasés et des libraires boycotteurs. J’ai imprimé mille exemplaires de ce roman, qu’on ne pourra commander que sur ma plate-forme, marcedouardnabe.com. Au lieu de toucher mes misérables 10 % de droits d’auteur, désormais, je serai à 70 %." Nabe sait pouvoir compter sur un cercle de fans réduit mais fervent (et qui sait si son initiative ne donnera pas des idées à des auteurs comme Amélie Nothomb ou Marc Levy ?).
D’autant que son Homme qui arrêta d’écrirea belle allure : 700 (!) pages, couverture typographique élégante, papier bouffant. Signes particuliers : aucun texte, ni code-barres ni mention du prix - 28 euros - sur la quatrième de couverture. "A quoi bon, puisque mon livre ne sera pas vendu en librairie ?" justifie notre "artiste-auteur", son nouveau statut officiel.
Le contenu ne devrait pas réconcilier Marc-Edouard Nabe avec le "milieu" : sous couvert d’une longue déambulation dans le Paris des années 2000, où il fustige aussi bien Facebook que les boîtes branchées tendance Le Baron, Jack Bauer que les conspirationnistes du 11 septembre, son double de papier allume férocement tout ce que la France compte d’écrivains, d’éditeurs et de journalistes en vue - BHL, Beigbeder, Philippe Katerine, Pierre Lescure... "La chair est triste hélas, et j’ai lu tous mes mails", soupire le "héros", étranger à son époque. Nul doute qu’un éditeur classique eût demandé à Nabe de couper 200 pages et que des dizaines de passages auraient été "caviardés" à la demande des avocats.
Mais notre "antiéditeur" a fait plus fort encore. Au terme d’une longue bataille juridique, il a récupéré les droits de 22 de ses livres ! La grande majorité avait été publiée aux Editions du Rocher, sous la houlette bienveillante de son ancien propriétaire, Jean-Paul Bertrand, qui avait même mensualisé Nabe. Mais, rachetée par les Laboratoires Pierre Fabre en 2005, la maison a brutalement cessé de lui verser ses émoluments. "Je me suis retourné contre eux et j’ai récupéré la propriété éditoriale de tous mes livres, car il n’existait pas le moindre contrat écrit, mes relations avec Jean-Paul Bertrand ayant été fondées sur la parole", raconte Nabe. Etonnamment, c’est un coup de pouce de Brigitte Bardot qui a achevé de convaincre les juges : la star révélait dans une lettre que c’était Nabe qui l’avait mise en relation avec les Editions du Rocher, dont elle allait assurer la fortune avec un livre de souvenirs vendu à plus de 200 000 exemplaires... Mieux encore : la maison a accepté de livrer au romancier les stocks restants de tous ses livres !
Et voilà Nabe, de surcroît parvenu à arracher les droits de Je suis mort, jadis publié par Gallimard, et de son fameux Régal des vermines, sorti chez Barrault, assis sur quelques palettes de ses propres ouvrages. "Je les mets bien entendu en vente sur ma plate-forme, jubile-t-il. Surtout, je peux les rééditer quand je veux." L’homme qui arrêta d’écrire n’a pas fini d’éditer.