Les désaccords entre Macron et Trump vont-ils bouleverser les relations franco-américaines ? Syrie, Iran, Russie, ingérences économiques et militaires du puissant allié, les positions divergent fortement. Analyse des enjeux cruciaux de cette visite d’État, qui sera révélatrice pour ces deux présidents que l’on dit pragmatiques et ambitieux.
La première visite d’État que Donald Trump accorde depuis le début de son mandat, c’est Emmanuel Macron qui en bénéficie ! Un geste fort, qui semble démentir que la France soit un vassal ou un simple allié des États-Unis. Pourtant, depuis un an, la diplomatie de Paris reste globalement alignée sur celle de Washington.
Cela serait-il sur le point de changer ? Guerre en Syrie, accord nucléaire iranien, fonctionnement des échanges commerciaux, les positions de Jupiter Macron et du turbulent Trump divergent énormément : face à ces enjeux, le Président de la République se révélera-t-il impuissant ou fin stratège ?
Olivier Piton, avocat spécialisé en droit public français, européen et américain, a aussi travaillé dans la diplomatie et dans la stratégie. Il a collaboré auprès de trois ambassadeurs de France aux États-Unis sur les questions liées aux affaires publiques et aux relations gouvernementales. Ajoutons aussi qu’il a créé et dirigé, de 2005 à 2010, la cellule de stratégie d’influence de l’ambassade de France à Washington DC. Il nous livre une analyse en toute transparence et sans compromis.
Commençons par le point d’accord entre les deux chefs d’État, qui semblent sur la même longueur d’onde concernant le traitement réservé à la Russie. Qu’en pensez-vous ?
Olivier Piton : Sur la Russie, c’est très compliqué. C’est très amusant. Il y a de la part d’Emmanuel Macron et de Donald Trump, la volonté de nouer de nouvelles relations avec la Russie. Je note qu’il y a une volonté de deux hommes d’arriver à normaliser leurs relations avec Vladimir Poutine et qu’il y a des obstacles qui sont aussi bien conjoncturels, réels, de terrain, sur la Syrie par exemple, sur l’Iran sans doute aussi, mais également liés à la politique intérieure en France et aux États-Unis, avec les intersections que cela peut avoir auprès des opinions publiques, auprès des décisions makers, des médias, qui poussent énormément à jeter de l’huile sur le feu.
Maintenant, faisons un point, si vous le voulez bien, sur les désaccords entre les deux hommes. Concernant la Syrie, si les Français et les Américains ont frappé ensemble, ils ne semblent pas sur la même ligne, notamment concernant le maintien des troupes américaines dans ce pays. Comme démêler cet imbroglio sur le dossier syrien entre la France et les États-Unis ?
J’ai une position assez originale sur ce sujet-là. En dépit de cette frappe, les Américains ont dit qu’ils se retiraient de Syrie et plus généralement de tous les théâtres d’opérations proche-orientaux. Les États-Unis estiment qu’entre Israël, l’Arabie saoudite, l’Irak et l’Égypte, ils ont suffisamment d’alliés puissants politiquement, militairement et économiquement pour ne pas perdre des hommes et de l’énergie sur la Syrie, alors que le véritable sujet et enjeu militaire est l’Iran. […] Donc, la Syrie n’est plus un enjeu et Trump ne fait qu’appliquer la demande qu’il avait formulée pendant sa campagne électorale, de limiter l’interventionniste américain aux intérêts vitaux américains.
Concernant les récentes déclarations de Paris à ce sujet, je pense que la France a mal appréhendé ce point américain. Les Français ont du mal à comprendre que les Américains vont véritablement se désengager, ils ne le croient pas, en fait. Et je pense qu’on est encore dans cette vieille lubie qui consiste à considérer que l’on peut lutter contre Daech uniquement sur le terrain proche-oriental, alors que l’on sait très bien que le problème n’est pas que là.
Donc je pense que la France a un train de retard idéologique, mais elle va se rendre compte à l’évidence que Donald Trump ne bluffe pas. Quand il dit qu’il se retire de Syrie, il se retire de Syrie. Or, sans les Américains, ni les Français ni les Britanniques ne peuvent agir. […] Je prends le pari que dans six mois cette question n’en sera plus une.
La France craint la sortie des États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien. Téhéran a récemment annoncé que si l’accord n’était pas appliqué par les Occidentaux, l’Iran reprendrait son programme nucléaire. Sans le respect des États-Unis de l’accord, la voix et la décision de la France ne servent à rien. Point de rupture entre les deux hommes ?
L’Iran est une obsession pour l’administration Trump et pour Trump en particulier. L’Iran est aujourd’hui l’adversaire militaire numéro 1. Il y a un vrai problème. Et je pense que Donald Trump va quitter l’accord. […] Et je suis persuadé que l’Iran a menti et que l’Iran veut se doter de la bombe, non pas à cause des Américains, mais des Saoudiens et des Israéliens. Je pense que cela a toujours été un énorme mensonge iranien de considérer qu’ils ne faisaient que du nucléaire civil, c’était grotesque. Cependant, je ne cautionne pas la position de Donald Trump. Je pense qu’il vaut mieux un mauvais accord que pas d’accord du tout.
Trump va quitter l’accord pour des raisons d’abord de politique intérieure. Entre le déplacement de l’ambassade américaine de Tel Aviv à Jérusalem et sa position très forte vis-à-vis de l’Iran, il a trouvé un nouveau socle électoral qu’il n’avait pas forcément au départ aux États-Unis. Et de plus, il s’oppose à Obama, ce qui pour lui a toujours été une boussole, de faire l’inverse de ce qu’avait fait Obama. L’accord iranien étant un grand succès d’Obama, revenir sur l’accord est d’une certaine manière de gifler symboliquement son prédécesseur. Et enfin, je pense que Trump est intimement persuadé que l’Iran représente un danger et que cet accord est un moyen de camoufler leurs avancées en matière de technologie nucléaire.
Donc, si Donald Trump va au bout de sa décision, ne risque-t-on pas un point de rupture entre Emmanuel Macron et le Président américain ?
Non. Cela ne sera pas un point de rupture, parce que l’Iran ne vaut pas une rupture entre la France et les États-Unis. En revanche, comme sur le climat, si effectivement Trump quitte l’accord, la France le regrettera officiellement et je pense que cela n’ira pas plus loin. De toute façon, la balle est dans le camp des Européens, parce qu’ils tentent de sauvegarder l’accord en dépit d’un possible retrait des Américains. Et cela c’est une très bonne chose. Donc, la carte sera peut-être dans la poche de Macron, de pouvoir justement démontrer que l’Europe aujourd’hui est susceptible d’avoir un poids suffisant, à défaut d’être aussi important que celui des États-Unis pour convaincre les Iraniens de conserver l’accord.
Mais alors dans ce cas de figure, la France et les pays européens vont être confrontés aux diktats américains sur les sanctions économiques ?
Oui, le problème principal est un problème économique. Si on rentre dans un nouveau jeu de sanctions, si les Américains sanctionnent les entreprises étrangères qui vont de nouveau commercer avec l’Iran, Airbus, Renault, Peugeot, et d’autres entreprises [autres qu’américaines, ndlr] vont être impactées, mais cela n’aura aucun impact sur Donald Trump, il s’en fichera éperdument.
Il va sans doute avoir une négociation entre Français et Américains, mais cela sera compliqué. Mais peut-être que Trump acceptera d’assouplir à la marge le package de sanctions qui existait à l’époque d’Obama. Et dans sa rencontre avec Donald Trump, ce dossier a un intérêt énorme pour Emmanuel Macron. Le volet économique de l’accord iranien est vital. Il est très, très important.
Sur l’économie et le business, Donald Trump a opéré un nouveau revirement sur les accords d’échange internationaux (que Macron doit considérer comme positif), mais l’ingérence américaine continue de s’exercer sur le commerce français, par exemple avec l’exportation des missiles Sclap en Égypte. N’est-ce pas le symbole des limites de la visite de Macron, ou pensez-vous que le président français peut aussi faire évoluer les choses là-dessus ?
Dans la relation entre Trump et Macron, le président américain n’a plus d’autre allié en Europe occidentale aujourd’hui que la France. Pourquoi ? Parce que ses deux alliés traditionnels, l’allié économique et politique traditionnel qui est l’Allemagne ne joue plus ce rôle-là, parce qu’Angela Merkel est entrée dans un conflit idéologique avec Donald Trump. Elle le conteste sur le front des valeurs. Et quant à l’allié culturel, lié par l’ADN, qui est le Royaume-Uni, la décision du Brexit a beaucoup affaibli son influence en Europe et donc son intérêt auprès des Américains.
Donc Macron et la France aujourd’hui ont une position unique. Je n’ai pas le souvenir en remontant aussi loin que possible, d’une configuration pareille où la France est devenue l’interlocuteur principal privilégié et quasiment unique des Américains.
Donc Trump va être obligé de fortifier ce lien et de satisfaire Macron un minimum, parce qu’il a besoin d’Emmanuel Macron. On est dans une situation paradoxale où les Américains ont davantage besoin des Français que l’inverse.
Macron lui, a des demandes beaucoup plus précises. On a parlé de l’Iran, il y a aussi le climat, le multiculturalisme. Il y a beaucoup de sujets où Macron va demander des réponses. Et donc ce qui va être amusant, c’est que cette visite d’État va être un canevas qui va probablement être le suivant : Macron va proposer, Trump va écouter et Trump donnera son accord pour un infléchissement ou pas, en fonction de ce qu’il considère être son intérêt de plaire un peu aux Français ou de leur donner quelque chose. Sur le multilatéralisme, sur le libre-échangisme, il y aura sans doute des inflexions. Trump ne peut pas laisser Macron repartir sans rien. Trump a trop besoin du soutien des Français, notamment dans le domaine de la lutte contre le terrorisme. Aujourd’hui, le seul pays fiable pour les Américains est la France. On le voit au Sahel en particulier, beaucoup plus que les Britanniques.
Donc cette obligation de consolider ce lien va sans doute amener paradoxalement la France à avoir un poids énorme sur l’administration américaine et sur Donald Trump, non pas au point de le manipuler, c’est impossible de manipuler Trump. Mais en revanche, Trump comprend qu’il va devoir lâcher quelque chose parce qu’il a besoin de la France et que Macron ne peut pas repartir bredouille.