L’enregistrement est récent, le texte l’est moins. Il date de 1941 et toute réédition des Beaux Draps est interdite en France, d’abord par la veuve Lucette, puis par le monde de l’édition qui vit sous la terreur du CRIF. Seuls les Canadiens, plus libres ou moins peureux que nous, ont osé réimprimer la chose, le brûlot, l’indicible.
Les Beaux Draps fait partie des trois pamphlets de l’Apocalypse qui ont secoué le landerneau politico-éditorial en janvier 2018, lorsqu’un naïf Premier ministre n’a pas vu d’inconvénient à une réédition chez Gallimard – l’éditeur historique de Céline – sous conditions bien entendu. Par la suite des ennuis familiaux ont semble-t-il fait changer d’avis Édouard. Mais peut-être la raison lui est-elle revenue rapidement après un éclair obscur.
C’est la petite histoire des Beaux Draps, un texte qui s’en prend aux juifs et aux francs-macs, comme d’hab avec Destouches, mais cette charge anti-lobbies fait encore mouche aujourd’hui : elle est considérée comme dangereuse pour la jeunesse. Saloperie de jeunesse, à cause d’elle on se fait interdire un paquet d’œuvres d’art contemporain !
Les moins jeunes ne changent pas d’opinion si facilement : ceux qui pensent que la France est dirigée en sous-main par ces réseaux plus ou moins occultes y verront un texte certes violent, mais fondé sur des réalités politiques ; ceux qui pensent qu’il n’y a qu’un pouvoir, le pouvoir visible – à savoir le Président, son gouvernement et les deux chambres –, trouveront que Céline exagère ou même qu’il est fou. Fou d’antiparlementarisme, fou d’antimaçonnisme et fou d’antisémitisme, les trois étant d’ailleurs inextricablement liés.
Il serait alors intéressant, puisque c’est là la pierre d’achoppement, pour paraphraser le Christ, d’évaluer post mortem la santé mentale de Céline. Le temps n’est pas un problème : les chercheurs ont bien analysé des fragments de cheveux de Diane de Poitiers pour déterminer qu’elle avait succombé à une overdose... d’or le 26 avril 1566.
Portrait de Céline en psychiatre
« Tout le problème d’Isabelle Blondiaux est de rompre avec le regard médicalisant sans pour autant dénouer ce qui chez Céline lie de manière constitutive création littéraire, folie et idéologie.
Le premier déplacement qu’elle opère consiste à observer la culture psychiatrique et psychanalytique du médecin Destouches et du narrateur de l’œuvre de Céline. Car loin de se réduire à un “cas” psychiatrique, Céline est aussi un expert, dont les connaissances en psychiatrie (Charcot et Dupré en particulier), sont loin d’être négligeables. On sait le profit qu’il a su en tirer dans “Voyage au bout de la nuit” lorsque Bardamu est interné dans un service spécialisé dans les traumatismes de guerre. Ces traumatismes amènent à la question de la simulation, qui préoccupe tant les milieux psychiatriques français de cette époque, et qui renvoie elle-même à l’hystérie. L’on se doute qu’avec l’hystérie les choses vont prendre un tour beaucoup plus compliqué, un tour littéraire pour tout dire.
Un second déplacement est alors rendu possible : celui qui de pathologie convertit la folie en “stratégie de création” (p.235). Un tel déplacement passe par une réflexion sur l’hallucination, forme particulièrement retorse de la mimésis, mais aussi sur l’inévitable hystérie, dont le sens est aussi multiple et nomade que les symptômes, et ceci dans l’œuvre de Céline comme dans la psychologie populaire. Isabelle Blondiaux montre avec une grande précision comment cette hystérie est fondamentalement liée à la figure du juif et à celle de la femme, qui se mêlent de manière instable dans une troisième, celle de l’artiste, Céline lui-même, à la fois source et personnage unique de son œuvre... »
Si Céline pète la santé mentale en 41, alors son texte, même violent, interroge. On peut, si l’on est honnête ou si l’on veut être scientifique, retirer l’habillage véhément et regarder ce qui reste, comme quand on épluche un artichaut. Ceux qui réprouvent le style impétueux peuvent faire ce petit effort et s’en tenir à l’esprit, plutôt qu’à la lettre.
Si Louis-Ferdinand est dingo, on tire la chasse sur cet auteur, ou on le range dans la rubrique des enragés à la Bloy ou des déséquilibrés à la Artaud, qui a écrit malgré l’HP ou grâce à l’HP et aux électrochocs. On a même vu une fois le Nouvel Obs, sous la plume d’un journaliste peu cultivé (pléonasme), ranger Bukowski dans la catégorie des écrivains alcooliques. La presse est donc capable de tout.
Aujourd’hui, le débat « Céline » est toujours ouvert, la plaie purule, et si nous avons choisi cette partie du livre lue par Laurent James – un célinien averti – c’est pour la charge anti-ÉducNat. Pas pour les élucubrations sur les juifs et les francs-maçons car tout ce qui est excessif est insignifiant. Et réciproquement.
« Ni dans le Nord, ni dans le Sud, les écoles n’assurent l’égalité. Au contraire, leur existence suffit à décourager les pauvres, à les rendre incapables de prendre en main leur propre éducation. Dans le monde entier, l’école nuit à l’éducation parce qu’on la considère comme seule capable de s’en charger. » (Illich)
À ce propos, il y a plusieurs niveaux de critique de notre École. Il y a la critique nietzschéenne, reprise en partie par Céline, la critique « 68 », celle d’Ivan Illich – Une Société sans école, un des bréviaires de Mai 68 –, une critique radicale qui débouchera sur les réformes et évolutions des 50 dernières années, mais ne nous trompons pas : l’enfant n’est pas au centre de l’école, pas plus hier qu’aujourd’hui, puisque les inégalités sociales perdurent et même s’élargissent.
On le sait tous, l’école, qui semble nécessaire pour élever les mômes, et élever dans tous les sens du terme, prépare une minorité d’entre eux à la domination et tout le reste à la soumission. Pas la peine de citer Bourdieu pour constater la différence entre la très haute exigence de l’enseignement jésuite et les cours donnés dans les bahuts cradingues du 93. On n’accuse pas les profs, ils font avec la politique et la sociologie du moment.
Toute critique de l’école n’est pas radicale : il y a la critique réformiste, qui cherche à arranger ou réparer les choses par petites touches, par exemple l’introduction de la philosophie Montessori dans un nombre grandissant d’écoles maternelles, pas forcément laboratoires. On reste néanmoins d’accord avec la critique fondamentale sur la concentration des enfants à l’école, source de toutes violences. L’âge des petites structures plus légères et plus intelligentes va venir...
C’est vrai que de forcer des mômes en pleine croissance à se briser le dos sur une chaise 8 heures par jour, ça n’a plus grand sens aujourd’hui : le travail en usine disparaît, la robotique s’en chargera bientôt. Autant former de futurs chômeurs... Mais c’est ce que le Système fait ! Moins de culture, moins d’autorité, moins de travail, moins d’écriture, moins d’imagination... Ne nous leurrons point : les contraintes fortes (physiques et morales) d’avant Mai 68 ont disparu, d’autres contraintes (sociétales et politiques) les ont remplacées : au tour du sionisme et de l’idéologie LGBT de faire chier les mômes !
Céline était peut-être fou (on ouvre le parapluie) mais il était ni con ni inculte. On peut donc être super cultivé et proposer une critique radicale du système d’élevage des petits humains. Et puis, on le sait chez E&R, on peut avoir été paria à l’école, autodidacte dans la vie et avoir l’esprit plus ouvert et mieux formé que les énarques qui nous gouvernent. Et on ne dit pas ça par jalousie : il faut des énarques, il faut des hauts fonctionnaires, et la dernière sortie de Macron sur le sujet – supprimer cette école – est bien dans la ligne aussi démagogique que contre-productive de suppression de l’ISF. Le problème français n’est pas l’ENA mais la corruption des élites.
Le problème n’est pas l’ISF, le problème n’est pas l’ENA, et peut-être que le problème n’est pas l’école : toute éducation, toute famille est imparfaite. On pourrait alors comparer l’instruction à l’éducation, l’école à la famille, ces deux bains successifs plus ou moins foireux, jamais parfaits mais inévitables. À chacun ensuite de se réparer et d’apprendre sur cette base hasardeuse. C’est pour ça qu’il faut lire des livres, et précisément des livres Kontre Kulture, l’université et/ou la grande école de ceux qui n’ont pas pu y aller. Pas les ignobles bouquins promus par les émissions littéraires à la télé, qui crèvent les unes après les autres parce qu’elles écartent les vrais livres et les vrais auteurs pour les remplacer par des faux livres et des imposteurs... Un vrai livre change l’esprit et change la vie.
Apprendre des conneries dans la famille et à l’école est peut-être la motivation principale pour vouloir l’intelligence, pour se construire ou se reconstruire intellectuellement. L’égalité, elle est là.