Un journal turc a publié aujourd’hui des photos et une vidéo qui confirment l’implication d’Ankara aux côtés des jihadistes qui sèment le chaos en Syrie.
Depuis le début de l’agression de la Syrie par le camp atlantiste en 2011, les rares médias qui avaient affirmé que la Turquie était l’un des principaux contributeurs à la tragédie que connaît le pays de Bachar al-Assad étaient qualifiés de délirants, complotistes ou stipendiés par Damas....
Le quotidien turc Cumhuriyet publie dans sa version papier et son édition en ligne des photos et une vidéo montrant une cargaison comprenant 80 000 munitions pour des armes de petit et gros calibre, des centaines de lance-grenades et près d’un millier d’obus de mortier, l’ensemble de fabrication soviétique, fournis par des pays de l’ex-URSS. L’arsenal était caché sous des médicaments dans un convoi de camions humanitaire, intercepté par la Jandarma (gendarmerie turque) début 2014 et qui appartiendrait au MIT (Millî İstihbarat Teşkilatı), les services de renseignement turcs.
Comme à l’accoutumé, le régime de Recep Tayyip Erdogan a crié au complot et accusé l’opposition, notamment le mouvement Hizmet de Fethullah Gülen (un joker de Washington, en exil aux États-Unis depuis 1999) d’être derrière cette opération de la Jandarma, accusant la fouille des véhicules de « trahison ». Les médias ont eu pour consigne de ne pas ébruiter cette affaire. Un procureur d’Istanbul a ouvert une enquête pour des faits de « terrorisme » contre le journal Cumhuriyet. Une autre procédure judiciaire a été entamée contre une cinquantaine de magistrats, gendarmes et militaires, qui ont déjà été placés en détention.
Ce scandale, qui intervient à une semaine des élections législatives, devrait agiter le débat politique. Ainsi, le président du parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate), Kemal Kiliçdaroglu, a déjà interpellé le pouvoir d’Ankara :
« Comment la Turquie peut-elle envoyer des armes lourdes à une organisation qu’elle qualifie de terroriste, c’est-à-dire l’État islamique ? Ces images sont très gênantes pour le prestige de la Turquie. Ceux qui envoient illégalement des armes dans un pays musulman ont les mains tachées de sang ».
Déjà, durant l’été 2012, Bachar-al-Assad avait accusé la Turquie d’être l’un des acteurs du désordre qui règne dans le pays :
« Avec son désir, depuis le début, d’interférer dans nos affaires internes, il [le président turc Erdogan] a malheureusement rendu par la suite la Turquie complice de tous les actes sanglants perpétrés en Syrie. La Turquie a apporté toutes sortes de soutiens logistiques aux terroristes qui tuent notre peuple. »
Restent de nombreuses interrogations dans cette affaire : comment expliquer le zèle des gendarmes turcs alors que depuis des années, ils ferment les yeux sur les mouvements des forces jihadistes du Front-al-Nosra et de l’État islamique, via la frontière turco-syrienne, et sur les livraisons d’armements et d’équipements à ces derniers ? Faut-il y voir un moyen de quelques officines atlantistes de faire pression sur Ankara afin de faire cesser – du moins en partie – son soutien aux jihadistes qui gagnent du terrain en Syrie afin d’éviter l’effondrement du pouvoir légal de Bachar-al-Assad ?