On apprend deux choses dans cette longue interview du prudent Patrick Buisson :
1 – que nos dirigeants politiques n’ont pas de vision stratégique, Macron mis à part,
2 – que l’analyse politique profonde de Buisson colle avec celle de Soral, si l’on « retourne » quelques euphémismes...
Contre l’alliance des libéraux et des libertaires (droite du travail et gauche des « valeurs »), Buisson prône l’alliance gagnante de la droite des valeurs et de la gauche du travail, ce que Marine Le Pen n’a pas voulu, ou pas pu faire.
Alors que Les Républicains cherchent à se refonder, Patrick Buisson met en garde leurs dirigeants contre les risques d’un rassemblement qui se ferait au détriment de la cohérence idéologique… Ce serait « remettre à flot le radeau de la Méduse avec l’ancien équipage du Titanic », prévient le politologue.
Pourquoi la droite et le Front national se montrent-ils aujourd’hui incapables de faire émerger une véritable opposition ?
Parce que l’un et l’autre se dérobent au bon diagnostic. L’élection de 2017 aura mis à bas leurs vieux schémas. La droite et le FN ont fait la démonstration, chacun à leur tour, de leur incapacité à reconquérir ou à conquérir le pouvoir sur la base de leurs seules forces. Faute d’avoir su opérer la nécessaire clarification idéologique, la droite ne peut plus se prévaloir du bénéfice automatique de l’alternance. Elle a perdu l’élection imperdable et à moins qu’elle ne sache se réinventer, on ne voit pas pourquoi elle ne perdrait pas les élections qui viennent. Le FN, de son côté, faute d’avoir su construire une offre politique crédible, est resté ce qu’il a toujours été : le meilleur allié du système, son assurance vie. Englués dans des logiques d’appareils, Les Républicains comme le FN sont aujourd’hui dans une triple impasse : idéologique, stratégique, sociologique. Mais, pour rien au monde, ils ne voudront l’admettre. Je crains que cela ne débouche sur des désillusions encore plus cruelles.
Les Républicains ont entamé un véritable chantier de refondation. Par quoi doivent-ils commencer ?
Par tordre le cou aux incantations rituelles autour du « rassemblement », mot-valise qui la leste comme un impedimentum. Le rassemblement appartient à l’ordre des moyens, ce n’est pas une fin en soi. Or, voici des lustres que, pour la droite, le rassemblement n’a pas pour objet de défendre des idées ou de promouvoir un projet, mais de servir ce désir du pouvoir pour le pouvoir que manifestent tous ceux – et ils sont, aujourd’hui, légion – qu’habite l’idée d’un destin personnel…
C’est la création de l’UMP et son principe que vous remettez en cause ?
C’est là l’erreur originelle, la faute inaugurale que continuent de payer Les Républicains. À vouloir marier les contraires sous couvert de rassemblement, l’UMP n’a jamais produit autre chose que des ambiguïtés et de l’incohérence. La droite plurielle d’Alain Juppé c’est, quinze ans après, la droite plus rien. Il est logique qu’il veuille maintenant la faire définitivement s’évaporer dans le trou noir d’« un grand mouvement central ».
Comment en est-on arrivé là ?
Le niveau du personnel politique s’est effondré. Il n’a plus ni vision historique ni substrat philosophique. Le paradigme, c’est Chirac : tant d’énergie, de ruse, de persévérance déployées pour conquérir le pouvoir, sans savoir quoi en faire sinon vouloir s’y accrocher. Tant d’acharnement pour finalement vider la fonction présidentielle de sa substance en abdiquant des pans entiers de sa dimension effective et symbolique. Le chiraquisme fut la plus totale et la plus spectaculaire apostasie du gaullisme. Et d’abord sur le plan de l’histoire, avec le discours du Vel’d’hiv, en 1995, qui, en cherchant à attacher la culpabilité à l’essence même de la France, a par là même abjuré le propos fondateur du chef de la Résistance. Chirac est l’homme qui a fait de la repentance un préalable à l’exercice du pouvoir, comme si l’investiture officielle du président de la République devait désormais s’accompagner d’une cérémonie expiatoire. En congédiant l’héritage de la pensée gaullienne sur la question fondamentale du rapport à la nation et à son histoire comme sur celle de la souveraineté, il a achevé la fusion de ce qu’est devenue l’UMP : un grand magma, une maison sans fondations dont les fenêtres sont aveugles.
Vous dites que le gaullisme a été liquidé alors que, aujourd’hui, tout le monde s’en réclame…
Ce qui subsiste du gaullisme, c’est une forme vide, une éponge à nostalgies sans que personne ne sache plus à quoi il renvoie. La confusion croissante des esprits et l’ignorance abyssale de l’histoire autorisent toutes les équivoques. Ainsi, le premier péril qui guette Les Républicains, ce n’est pas la droitisation mais la « centrisation ». C’est le centrisme qui constitue l’ennemi historique du gaullisme. Que ce soit avec la « troisième force » et le MRP, sous la IVe République, ou à travers la candidature de Lecanuet, en 1965, qui, en mettant de Gaulle en ballottage, finira par le faire échouer. En s’alliant avec le centre, la droite s’interdit d’être historiquement et doctrinalement fidèle au gaullisme. À l’inverse, les premiers à rejoindre de Gaulle à Londres, en 1940, furent les tenants d’une droite qu’on qualifierait volontiers aujourd’hui d’extrême. Les quatre premiers émissaires que de Gaulle envoie dans la France occupée pour organiser la Résistance, ce sont deux anciens cagoulards, Duclos et Fourcaud, et deux royalistes, le colonel Rémy et Honoré d’Estienne d’Orves.
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Quelle stratégie pour la droite ?
Elle découle du rapport de force électoral. Il y a un antagonisme irréductible entre l’électorat libéral des grandes villes et les classes populaires, les insiders et les outsiders. Ces deux électorats ne sont pas miscibles, car leurs intérêts sont inconciliables. En revanche, la tension idéologique et sociologique entre l’électorat conservateur et l’électorat populaire est bien moindre. Il y a une propension, chez certains dirigeants des Républicains, à s’abuser volontairement sur la nature de leur électorat pour ne pas avoir à faire la politique de leurs électeurs. La base qui a plébiscité Fillon lors de la primaire n’est pas réformatrice mais conservatrice : c’est la France provinciale des villes moyennes, qui s’est déterminée non pas sur son programme économique mais sur la vision sociétale qu’elle lui prêtait. Si bien qu’exclure ou marginaliser Sens commun équivaudrait pour ce qui reste de la droite à s’autodissoudre. À cet égard, la démission contrainte de son président n’est pas de bon augure. Parfois, Les Républicains font penser au catoblépas, cet animal mythique, tellement stupide qu’il se dévore lui-même.
Une synthèse est-elle possible entre cet électorat conservateur et l’électorat populaire ?
Non seulement elle est possible, mais c’est la seule configuration susceptible de rouvrir à la droite les portes du pouvoir. Sans ce désenclavement de la droite par l’adjonction du vote populaire, Les Républicains sont promis à un avenir groupusculaire et crépusculaire. C’est cette alliance qui a fait le succès du RPF, en 1947, le triomphe de l’UNR, en 1958, et la victoire de Sarkozy, en 2007. La jonction entre la France conservatrice et la France périphérique peut s’opérer naturellement à travers la défense du patrimoine immatériel que constituent l’identité nationale, l’enracinement et la transmission, le localisme et les circuits courts, le coutumier et les moeurs. Bref, tout ce que menacent la finance mondialisée et l’islam radicalisé.