Depuis le début de la crise économique, en 2008, la plupart des analystes ont bien compris, sans oser le proclamer encore, que l’ancien paradigme : « le sort de l’humanité, individuel et collectif, s’améliore tous les jours grâce à la science, à la démocratisation et la croissance économique » est mort. Il faudrait vraiment faire preuve d’un optimisme qui confine au pathétique pour oser croire que la situation pourrait miraculeusement se retourner avec « quelques efforts » et « concessions », ou encore que les mesures de rigueur mises en place dans tous les pays pourraient inverser la situation. Au mieux, nous gagnerons quelques années avant le chaos. La question n’est donc plus de se demander si notre civilisation est en train de s’écrouler, puisque c’est l’évidence même, mais de savoir quand et comment.
Nous retiendrons trois scénarios, partant du principe que la crise de 2008 n’était que l’élément déclencheur – symptôme de la fin d’un cycle – et que les prochaines lignes de catastrophes qui entraîneront une détérioration générale et irréversible de l’humanité se produiront très rapidement.
Néanmoins, du pire peut naître le meilleur, et un chaos incontrôlable pourrait laisser place, non pas à un nouvel ordre mondial, mais à un nouveau monde.
Scénario du « chaos rampant »
En deux ou trois ans,l’économie étasunienne et européenne s’effondre et entre dans une sévère récession. Le chômage réel atteint 20% et le niveau de vie général baisse de 30 %. La crise en Europe dépasse en ampleur celle de 1929. La criminalité n’est plus maîtrisée et les ghettos de démunis et zones-refuge pour les classes fortunées explosent. Les forces de l’ordre, débordées, font face à une « guerre civile rampante ». Des attentats dont on ne sait jamais trop qui sont les commanditaires réels deviennent répétitifs, toutefois sans qu’ils ne donnent lieu à l’utilisation d’armes de destruction massive. Cet affaiblissement de l’économie des États-Unis et de l’Europe a évidemment un impact très négatif sur le reste de l’économie mondiale qui, cependant, n’entre pas en récession. Mais continue de croître – néanmoins très lentement – grâce, notamment, à la locomotive chinoise. Toutefois, au niveau mondial comme aux plans étasunien et européen, la corde ne rompt pas. La situation, bien que gravissime, demeure sous contrôle. Une situation de crise généralisée durable s’installe. La civilisation actuelle se maintient,dans la douleur, mais elle résiste. L’effondrement est redouté mais repoussé aux calendes grecques. La croissance démographique de la population planétaire connaît un sérieux coup de frein, du fait de la progression généralisée de la mortalité. La fragilité de cet immense ensemble bancal n’est pas si grande qu’elle puisse précipiter sa chute. En 2020, le pire est évité. Pourtant,aucune mesure sérieuse n’est prise, aucune leçon n’est tirée. Le destin accorde à la tragédie un acte de plus.
Scénario du « chaos contrôlé »
Les mêmes éléments et les mêmes causes que ceux évoqués lors du scénario précédent sont à l’oeuvre, mais ils se produisent plus brutalement et leur enchaînement, leur concomitance, on des conséquences beaucoup plus sévères et s’étendent au monde entier. La récession économique est bien plus sévère que précédemment : le niveau de vie chute de 50%. La guerre civile dans plusieurs pays d’Europe n’est plus « larvée », mais se reconnaît comme telle. Tous les paramètres demeurent les mêmes, mais ils s’aggravent. La paupérisation atteint, à l’échelle planétaire, des niveaux astronomiques – surtout dans le tiers-monde. L’ordre mondial utilise ce chaos, qu’il contrôle parfaitement, de sorte à accélérer l’interruption du processus démocratique et étendre son contrôle total, notamment par l’application généralisée des biotechnologies. On assiste à une déstabilisation psychologique de l’humanité qui, jusque dans l’inconscient collectif, a des effets dévastateurs. La population humaine régresse rapidement et permet la mise en place d’une société 20/80, à savoir celle dans laquelle le travail de 20 % de la population mondiale sera suffisant pour soutenir la totalité de l’appareil économique de la planète ; les 80 % restant étant superflus et destinés à disparaître.
Scénario du « chaos incontrôlable »
Une rupture fractale se produit,la corde casse. L’édifice de la civilisation mondiale n’a pu résister. Les facteurs précédemment décrits connaissent une intensité encore plus accentuée. Comme un jeu de dominos,tout s’écroule. Le basculement survient entre 2012 et 2015,mais le naufrage met dix ans à s’accomplir. La population mondiale se réduit drastiquement. Elle passe de six milliards à un milliard et continue de décliner à grande vitesse. Les causes en sont simples : l’effondrement des approvisionnements alimentaires et en eau potable,ainsi que la fin de l’accès aux médicaments dû à la cessation des industries pharmaceutiques et des structures médicales. Vers 2050, l’espèce humaine se stabilise à un peu moins de 300 millions d’êtres humains. Les survivants fuient les villes et les mégapoles en masse et se rendent dans les campagnes pour vivre d’agriculture vivrière et d’artisanat, car toutes les industries se sont arrêtées. Une fantastique et brutale régression technique commence.
Les impératifs de subsistance, de protection et de prédation sont la loi générale, donc la guerre. Des féodalités se créent et de nouveaux rapports politiques s’instaurent, assez semblables à ce qui existait au Moyen Âge. C’est en quelque sorte une répétition du passé, mais selon une modalité différente, l’Histoire étant un éternel retour approximatif. Une nouvelle humanité commence alors à naître partout, fondée sur des bases radicalement nouvelles. Les hommes qui auront survécu seront-ils moins heureux que leurs parents et ancêtres ? Certainement plus.
Néanmoins le désespoir n’est pas de mise. La fin de notre civilisation pourrait être une bonne nouvelle, même si elle s’accomplira bientôt dans la détresse et la douleur. Après les ténèbres qui commencent,viendra la lumière – l’histoire humaine est loin d’être terminée. Se préparer à la catastrophe et à la renaissance, c’est se transformer soi-même de l’intérieur. Un nouveau monde pourrait naître sur les ruines de l’ancien et, peut-être, le mieux que nous ayons à faire est de précipiter le basculement de l’ordre actuel.
Clovis CASADUE, pour la revue FLASH