Comme tous les scandales politico-financiers, l’ « affaire Woerth-Bettencourt » mobilise, de près ou de loin, dans toutes les sphères du pouvoir, un nombre important d’intervenants. Parmi eux, deux hommes ont connu récemment une mort brutale : l’avocat Olivier Metzner et le sous-directeur des affaires économiques et financières (AEF) à la police judiciaire (PJ) de Paris, Noël Robin. Dans les deux cas, la piste du suicide est privilégiée par la justice – et par les médias.
L’affaire Woerth-Bettencourt
Dans cette affaire, Liliane Bettencourt, première actionnaire du groupe L’Oréal, est soupçonnée de fraude fiscale, des écoutes téléphoniques laissant penser qu’elle posséderait une île aux Seychelles et des comptes bancaires à l’étranger, le tout non-déclaré au fisc. Ces enregistrements, révélés par Mediapart le 16 juin 2010, ont également conduit à la révélation de possibles conflits d’intérêts entre Liliane Bettencourt et Éric Woerth, ministre du Travail sous le gouvernement Fillon, dont la femme Florence Woerth était employée d’une société gérant la fortune de Liliane Bettencourt. Par ailleurs, Claire Thibout, ex-comptable de Liliane Bettencourt, a évoqué lors de son interrogatoire par les enquêteurs le possible financement illégal de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007.
Le jeudi 28 mars 2013, les trois juges en charge de l’ « affaire Bettencourt » ont annoncé que l’instruction était terminée et ont transmis au parquet le dossier de la procédure.
Deux suicidés
Onze jours auparavant, le 17 mars, le corps de l’avocat Olivier Metzner, 63 ans, avait été retrouvé flottant au large de son île privée dans le Morbihan. Ce célèbre pénaliste était l’avocat de Françoise Bettencourt-Meyers dans l’affaire qui l’opposait à sa mère Liliane Bettencourt depuis 2007. C’est la cliente d’Olivier Metzner qui avait transmis à la police en juin 2010 les enregistrements de conversations au domicile de sa mère, écoutes à l’origine de l’affaire Woerth-Bettencourt. Suite à la découverte du corps de l’avocat, la justice a mis en place la procédure habituelle :
« Après un suicide [présumé], le médecin constatant le décès mentionne un obstacle à l’inhumation. Le procureur, sur la base de ce constat, diligente une “enquête aux fins de recherche de mort” conformément aux dispositions de l’article 74 du Code de procédure pénale. Le procureur lui-même ou un officier de police judiciaire sur commission rogatoire [...] se rend sur place pour réunir des indices matériels et des témoignages. Le corps est ensuite transféré à l’institut médico-légal pour qu’il soit réalisé des actes complémentaires et une autopsie et ce afin que le certificat de décès soit établi par un médecin lié à l’autorité judiciaire. Seuls les membres de la famille peuvent consulter le rapport d’autopsie. Si le suicide est établi, le corps est transmis à la famille pour l’inhumation. S’il persiste des doutes sur les causes du décès, le procureur peut poursuivre l’enquête selon les dispositions régissant l’enquête préliminaire, ou il peut requérir l’ouverture d’une information auprès du juge d’instruction [1]. »
Une autopsie était pratiquée dès le 17 mars. Le lendemain, le procureur concluait à un suicide et classait l’enquête.
Le 2 avril, le haut fonctionnaire de la PJ parisienne Noël Robin était à son tour retrouvé mort dans un véhicule de service à Saint-Germain-Laxis (Seine-et-Marne). Il se serait suicidé par balle avec une arme administrative [2].
Au cours de sa carrière, Noël Robin s’était illustré notamment dans le cadre de l’ « affaire du Sentier II » en tant que chef de la Brigade parisienne de recherche et d’intervention financière (Brif). Il avait été évincé de cette affaire sensible – instruite par Isabelle Prévost-Desprez [également juge d’instruction dans l’affaire Bettencourt] – en 1999 [3]. Par la suite, devenu chef de la Brigade criminelle, il avait mené l’enquête dans l’affaire dite du « gang des Barbares », où le travail de la police « avait été critiqué par la famille de la victime, le jeune juif Ilan Halimi » [4]. Il lui était notamment reproché « de ne pas avoir suffisamment suivi les pistes en provenance de Bagneux, dont était originaire le gang des Barbares » [5].
Depuis quelques années, Noël Robin était sous-directeur des affaires économiques et financières (AEF) à la PJ parisienne. Il avait notamment supervisé l’enquête dans l’affaire Woerth-Bettencourt.
Sa mort, qui a fait infiniment moins de bruit dans les médias que celle du candidat de Koh-Lanta, « a été ressentie avec douleur à la police judiciaire où il était “connu et très apprécié”, selon plusieurs sources policières, certaines avançant des raisons “a priori personnelles”. “Rien ne laissait présager un tel drame”, ont dit d’autres sources évoquant un homme “très équilibré” et “faisant le poids” [6]. » L’enquête sur les causes et circonstances exactes de son décès a été confiée à la PJ de Versailles.
Nicolas Sarkozy
Rappelons que dans le cadre de l’affaire Bettencourt, l’ex-président de la « République » Nicolas Sarkozy a été mis en examen le 21 mars 2013 par le juge Jean-Michel Gentil pour abus de faiblesse [7]. À la fin de l’audition, Nicolas Sarkozy aurait réagi en déclarant au juge : « Je n’en resterai pas là [8]. » Quelques jours plus tard, le juge Gentil, mais aussi des journalistes (Jean-Pierre Elkabbach et Michaël Darmon) ont reçu des lettres de menaces contenant chacune une balle à blanc [9]. Le parquet antiterroriste a été saisi le 28 mars.
Sans présumer d’aucun rapport entre les suicides de deux ténors de la justice impliqués dans l’affaire Bettencourt et les épisodes tournant autour de la mise en examen de Nicolas Sarkozy dans cette même affaire, force est de constater qu’ils sont loin de rassurer sur son issue finale et ses dommages collatéraux. Quant aux « suicides » eux-mêmes, leur coïncidence défie les lois de la probabilité ; mais on sait aussi que celles, très sales, de la politique avec intérêts financiers sont situées bien au-dessus.