On ne remerciera jamais [assez] Wikileaks. Dans les documents suivants, on découvre la servilité des Nahdaoui à l’égard des Américains et la naïveté de ces derniers à l’égard des islamistes. C’est sous la présidence de George W. Bush, le criminel de guerre en Irak, que les relations de maître à esclave entre certains hauts dirigeants d’Ennahda et les Services de l’ambassade américaine en Tunisie se sont renforcées. Mais elles existaient depuis le début des années 80, lorsque les Américains ont décidé d’écarter Bourguiba et de placer leurs pions islamistes, aussi bien en Tunisie qu’en Algérie.
Ils ont raté leur coup en 1987, mais pas en janvier 2011. Ce qui est étonnant dans ces documents, c’est que Ben Ali était au courant des tractations islamo-impérialistes, mais il laissait faire. Pourquoi n’a-t-il pas réagi ? Pourquoi n’a-t-il pas remis en prison ces traîtres ? Pourquoi a-t-il manqué de fermeté ? Autant de questions auxquelles il va falloir un jour répondre. À la lecture de ces documents de Wikileaks, on comprend que, ce n’est pas parce qu’ils sont majoritaires ou populaires que les islamistes sont arrivés au pouvoir, mais parce qu’ils ont vendu leur âme à l’Oncle Sam. Merci aux USA d’avoir imposé ces obscurantistes à un peuple qui voulait la démocratie.
Des documents émanant de l’ambassade américaine à Tunis et faisant partie des récents documents qui ont filtré et ont été révélés récemment par Wikileaks attestent des très bonnes relations entre les membres du parti islamiste tunisien Ennahda et la mission diplomatique américaine à Tunis du temps du président déchu Ben Ali. Échange de visites entre les deux parties et insistance des dirigeants d’Ennahda sur le fait qu’ils représentent l’islam modéré, ce qui est à leur avis la solution pour la démocratie dans la région et précisément en Tunisie. Mais il semble qu’il y a une grande différence entre ce que déclarent (pour la consommation locale) les Nahdaouis à propos de la politique des États-Unis et ce que révèlent ces documents à propos de leurs cordiales relations avec eux.
Le fait est que de nombreux sympathisants de ce parti écrivent sur de nombreux sites Internet que le pouvoir du président déchu Ben Ali les pourchassait et les réprimait pour satisfaire à la demande des États-Unis qui ne veulent pas qu’ils accèdent au pouvoir bien qu’ils représentent « l’Islam modéré qui va réaliser la Justice, l’Égalité et la Démocratie ». Or, une série de télégrammes de l’ambassade américaine à Tunis démontre que les relations entre le parti islamiste et l’ambassade américaine étaient très étroites.
Selon ces documents, l’intérêt américain pour les faits et gestes des islamistes était permanent et les fonctionnaires de l’ambassade ne rataient jamais une occasion pour demander à leurs hôtes tunisiens des informations sur les activistes islamistes sur la scène politique ainsi que sur leur force réelle sur le terrain et la réalité de leurs projets.
Dans un document en date du 23 mai 2006, traitant de la situation dans le pays après les élections municipales tenues au début du même mois, un membre du parti Ettajdid (ancien parti communiste) a affirmé que le parti Ennahda demeure actif en marge de l’opposition et il vise tout particulièrement les jeunes fréquentant les mosquées. L’ambassadeur américain William Hudson, auteur du télégramme, écrit que « l’opposition laïque a compris l’importance d’une telle situation et a pris contact avec les islamistes dont des membres du parti Ennahdha restés dans le pays. Le président du parti démocratique progressiste d’alors, Néjib Chebbi, a reconnu devant l’ambassadeur qu’il avait rencontré récemment des membres d’Ennahdha à l’étranger. Mohamed Harmel, qui était alors président du Parti Ettajdid a révélé pour sa part qu’il n’est pas exclu qu’il prendrait des arrangements avec les islamistes pour renforcer les activités de son parti ».
Toutefois, l’opportunisme de Chebbi et de Harmel les a poussés à décourager l’ambassade de prendre quelque contact que ce soit avec les islamistes, quels qu’ils soient « aussi bien en Irak ou n’importe où ailleurs ». Ils ont critiqué « les avantages politiques obtenus par les chiites en Irak ».
Cette position de mise en garde est partagée également par l’association tunisienne des femmes démocrates, ATFD, dont deux membres, Ilhem Belhaj et Hafidha Chkir, avaient averti, au cours d’une réunion tenue le 9 février 2006 à l’ambassade, un des fonctionnaires de cette l’ambassade, que l’acceptation d’un gouvernement islamique correspondrait à la « substitution d’une dictature par une autre ». Elles ont affirmé que cela valait aussi bien pour ceux qui se faisaient appeler « musulmans modérés ».
Dans un autre document en date du 29 novembre 2005, intitulé « dualisme de l’islam en Tunisie », l’ambassadeur William Hudson traite de la situation de l’islam en Tunisie. Il expose la croissance de l’observance religieuse en Tunisie et l’histoire des rapports entre les autorités et les mouvements islamiques. Il transparaît de ce document que les relations entre l’ambassade et des membres du parti islamique Ennahda dissous sont bonnes, puisque l’ambassade les sollicite pour son information. Selon le document cité, l’ambassadeur dit qu’un ancien membre d’Ennahda s’est plaint à un fonctionnaire politique de l’ambassade que les groupes politiques islamiques ne s’intéressaient qu’aux activités politiques et aux alliances, ajoutant que Dieu et la religion n’avaient pas d’importance pour ces derniers, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas meilleurs que le pouvoir politique actuel.
L’intérêt américain pour l’islam en Tunisie apparaît aussi dans un document datant du 22 mars 2006 qui relate les actes d’une table de discussion tenue le 8 mars avec un certains membres de la société civile, où l’on revient toujours à la situation des islamistes !
Selon certains documents, quelqu’un comme Ziad Doulatli, aujourd’hui membre du conseil d’Ennahdha, était l’ami de l’ambassade et figurait sur la liste de ses visiteurs permanents. Un visiteur qui faisait la promotion de son parti et la sienne et pour se présenter comme le représentant d’un islam modéré.
Le 15 août 2006, s’est tenue une réunion entre des islamistes tunisiens « modérés » d’une part, et les conseillers politiques et économiques ainsi que l’officier politique de l’ambassade, d’autre part. En date du 21 août, l’adjoint au chef de la mission, David Ballard, a envoyé un télégramme donnant les détails de ce qui s’était passé au cours de cette réunion qu’il a organisée à la demande des tunisiens : Radwan Masmoudi [1], un Américain d’origine tunisienne qui préside le Centre d’études de l’islam et de la démocratie à Washington, Saïda Akermi [2], secrétaire générale de l’Association internationale de soutien aux prisonniers politiques, Salah Eddine Jourchi [3], journaliste et activiste de la société civile et ancien membre d’Ennahda et Ziad Doulatli, membre fondateur du parti qui a passé quinze années en prison. Le télégramme explique que les islamistes modérés tels que les désigne l’ambassade (mais avec certaines réserves puisqu’elle met cela entre guillemets renvoyant la responsabilité de cette appellation à d’autres), ont voulu rencontrer des représentants de l’ambassade afin « de renouer le dialogue sur des problèmes communs ». Nous découvrons ainsi que les relations entre les deux parties et le dialogue entre eux datait des années 1980 et qu’il s’arrêta suite à la campagne gouvernementale contre ce parti, sa dissolution et l’emprisonnement de ses dirigeants. Ce vieux dialogue avait comporté des rencontres avec des membres du Congrès en visite en Tunisie.
À l’instar de Ziad Doulatli, d’autres anciens membres du parti tentent de se présenter comme les représentants de l’islam modéré que recherche l’Amérique dans la région. Dans un document datant du 18 août 2006 traitant des réactions tunisiennes à la guerre israélienne de juillet 2006 contre le Liban, le conseiller politique auprès de l’ambassade a rencontré Ziad Doulatli, ainsi que l’activiste de la société civile Salah Eddine Jourchi, (qui dit avoir quitté Ennahda suite à un différend avec eux). Ces deux derniers ont déclaré au conseiller que la guerre du Liban et le soutien des USA à Israël ont renforcé le Hezbollah et d’autres groupes extrémistes. Ils ont aussi poussé la jeunesse tunisienne à s’identifier aux idées des groupes djihadistes tels qu’Al-Qaïda, au lieu de s’identifier à des groupes « non-violents et modérés tels qu’Ennahda ». L’ambassadeur d’ajouter que les deux personnalités se présentent sous l’appellation de « musulmans modérés ».
L’intérêt des Américains pour l’Islam en Tunisie apparaît aussi à travers un document datant du 22 mars 2006 qui relate une rencontre tenue le 8 mars avec des activistes de la société civile où l’on revient toujours, sur la situation des islamistes et leur force.
Il apparaît, à travers certains documents, qu’un homme comme Ziad Doulatli, qui est aujourd’hui, membre du Conseil constitutif d’Ennahda, était un ami de l’ambassade et figurait sur la liste des visiteurs permanents ; un visiteur qui fait tout ce qui est en son pouvoir pour promouvoir son parti et lui-même comme représentants de l’islam modéré.
Les dialoguistes islamistes ont estimé que la Tunisie était susceptible de devenir un exemple de réforme démocratique au Moyen-Orient. Doulatli a dit qu’ « étant donné que 90 % des tunisiens sont laïcs, cela encourage à une évolution vers une démocratisation réelle ». Les auteurs du télégramme ont raillé l’allégation de Ziad Doulatli, que son parti aurait obtenu 60 % des voix des suffrages exprimés (élections de 1989), alors qu’en réalité cette proportion, selon Balard qui est l’auteur du télégramme, n’avait pas dépassé les 30 % dans le meilleur des cas.
Les Tunisiens ont essayé de convaincre les fonctionnaires de l’ambassade que la collaboration avec eux contribuait directement aux intérêts de Washington afin de recouvrer par cela la confiance et l’amitié au Moyen-Orient, les États-Unis ayant besoin d’un modèle réussi de démocratie dans la région. À ce qu’il paraît, Doulatli a semblé être le plus enthousiaste pour la coopération avec Washington ; il a essayé de promouvoir l’idée que son pays était le mieux préparé pour concrétiser ce modèle et non point l’Irak ; il a déclaré qu’il faudrait qu’il y ait une alternative au « ben-ladisme ».
Le groupe qui espérait sûrement la reconnaissance de la plus grande puissance impérialiste du monde, a demandé quelques menus « services » à l’ambassade. Le plus important de ces services était qu’un représentant de l’ambassade aille rendre visite à Hammadi Jebali, un des dirigeants du parti Ennahdha, un « islamiste modéré » comme ils ont dit, assigné à résidence dans le gouvernorat de Sousse. Le groupe demanda aussi que certains noms d’islamistes modérés soient introduits sur les listes des invités de l’ambassade et des voyages organisés de temps à autre aux États-Unis. Dans son télégramme, Ballard dit que l’ambassade était heureuse de l’initiative du groupe de prendre contact avec elle, mais qu’elle ne partageait pas leur optimisme quant à des changements importants dans l’avenir. Il dit qu’elle (la mission américaine) était consciente des motifs ayant incité le groupe à prendre contact avec elle, surtout après les déclarations de Doulatli concernant les 60 % (de voix obtenues).
L’ambassade a favorablement répondu à certains des services demandés et a rendu visite à Jebali dans sa résidence surveillée. Un fonctionnaire politique de l’ambassade a rendu visite à Jebali, à son domicile à Sousse, le 31 août 2006, pendant plus de deux heures. Ce qui a attiré l’attention du fonctionnaire c’est que contrairement à tous ceux qu’il rencontrait de la société civile ou de l’opposition politique, Jebali ne s’était pas plaint des politiques américaines au Liban, en Israël et en Irak. Jebali qui a dit que Rached Ghannouchi était le chef d’Ennahda, a confirmé que ce parti était le même en Tunisie ou en Europe. Jebali a dit que comme tous les partis islamistes ils sont suivis (avec inquiétude) par les Américains. Jebali a affirmé qu’Ennahda en tant que parti politique voudrait participer graduellement à la vie politique tunisienne et qu’il ne voulait pas d’un État islamique. Et puis comme l’ont fait tous les autres, Jebali a critiqué les autres partis islamiques qui « croient qu’ils détenaient la vérité divine et n’acceptaient pas la critique ».
En réponse à l’envoyé de l’ambassade qui lui a fait remarquer qu’il paraissait laïc, Jebali répondit qu’il distinguait entre sa pratique religieuse et la vie publique. Il a rajouté que tous les musulmans modérés pensaient comme lui et refusaient la violence. Les répliques de l’Américain étaient prêtes pour lui rappeler que des partisans du parti avaient perpétré des charges explosives dans certains hôtels pendant les années 1980 [4]. L’envoyé de l’ambassade n’a pas cru Jebali quand il lui a dit qu’il lui était interdit de travailler et qu’il faisait l’objet de nombreuses restrictions de droits et ce, au vu du bel ameublement de sa maison et de l’apparat avec lequel il recevait ses invités. Jebali a aussi évoqué l’actuel extrémisme islamiste en comparant les membres d’Ennahda ouverts à tout, aux jeunes Tunisiens pratiquants et très extrémistes, comme résultat de la répression et de l’interdiction pour Ennahda dans la propagation de ses idées modérées.
Il se peut que tous les membres actifs du parti Ennahda [5], avant sa dissolution et qui sont demeurés fidèles à sa ligne politique après sa dissolution, ne soient pas tous des amis de l’ambassade américaine à Tunis, mais il est sûr que des membres influents de ce parti, dont ses symboles parmi les plus importants et ses porte-parole, ont « collaboré » avec les américains pendant de nombreuses années en espérant leur reconnaissance et peut-être aussi avec l’espoir de reproduire l’expérience irakienne. Si Washington avait décidé un jour de renverser le régime Ben Ali, les Nahdhaouis étaient prêts, comme toujours et à jamais, à bénir cela et à gouverner le pays, surtout qu’ils se disent être, comme ils l’ont répété, des « modérés », qu’ils sont « le type d’islamistes » qu’aiment le plus les Américains et qu’ils veilleront aux intérêts des Américains dans toute la région.
Tunisie-secret.com, 25 décembre 2012