L’élection présidentielle du 7 octobre, au Venezuéla, est, comme rarement il est donné à une élection de l’être, d’une terrible importance.
Non seulement, dit le fondateur de la chaîne de télévision Telesur, Aram Aharonian, les vénézuéliens se demandent si le processus bolivarien va continuer mais, tant les latino-américains que les centres de pouvoir états-uniens, savent que, de ce processus, dépend en bonne mesure l’avenir de l’intégration de l’Amérique latine et des Caraîbes.
Pour le syndicaliste vénézuélien installé en Argentine, Modesto Emilio Guerrero, une défaite du président Chavez « causerait des mouvements tectoniques dans la politique des Amériques tellement se concentrent, au Venezuela, plusieurs des principales conquêtes politiques de la dernière décade latino-américaine ».
Romain Migus, journaliste français vivant au Venezuela, croit pour sa part qu’un tel dénouement ramènerait le continent latino-américain « à l’abîme social des années 1990 ».
La défaite de Chavez est toutefois improbable. Des 124 sondages réalisés jusqu’à présent, au Venezuela, tant par des firmes gouvernementales que privées, 122 prévoient que l’actuel président l’emportera par une marge variant entre 8 et 22 points de pourcentage sur son opposant de droite, le gouverneur de l’État du Miranda, Henrique Capriles Radonski.
Mais le plan B de l’opposition inquiète sérieusement. Le 25 août, quelques jours après une déclaration de la firme de sondage Datanalisis selon laquelle seul un fait exceptionnel comme une catastrophe pourrait empêcher l’élection de Chavez, un violent incendie tuait 41 personnes à la raffinerie d’Amuay, l’une des plus importantes du pays.
Datanalisis a été fondée par Luis Vicente Leon, l’un des organisateurs du coup d’État manqué d’avril 2002 contre le président Chavez.
Plus tôt, après un débordement de rivière, l’important pont de Cupira, reliant la capitale à l’est du pays, s’effondrait mystérieusement. Ces deux « faits exceptionnels », tout comme un supposé massacre d’indigènes dans la partie amazonienne du pays, sont présentement sous enquête.
En rendant le gouvernement responsable de ces événements, la droite et ses médias commerciaux espèrent réduire l’écart entre les candidats pour ensuite mieux justifier une soi-disant fraude électorale qu’ils annoncent depuis plusieurs semaines en menant une furieuse campagne contre la fiabilité du système électoral vénézuélien et contre la Commission nationale électorale (CNE) accusée d’être le « bras électoral du chavisme ».
Au Chili, l’ex-ministre de la planification dans le gouvernement de Carlos Andres Perez et conseiller de Capriles Radonski, Ricardo Haussman, s’est vanté qu’au soir du 7 octobre, l’opposition fera connaître au monde entier ses propres résultats électoraux, si possible avant la commission nationale éléctorale.
Radonski, rappelle Modesto Emilio Guerrero, est issu de Justice d’abord, un mouvement qui a activement participé au coup d’avril 2002. Le candidat d’opposition avait lui-même mené l’assaut contre l’ambassade cubaine, à Caracas, sautant le mur d’enceinte, endommageant des véhicules, coupant l’eau, l’électricité et les vivres aux occupants.
L’avocate états-unienne Eva Golinder calcule que les millions de dollars envoyés depuis plus de dix ans par les agences états-uniennes à des groupes anti-chavistes, pourraient bien provoquer une « fatigue » de Chavez et, cela, pas plus tard qu’aux élections provinciales et municipales d’avril 2013. D’ici là, dit-elle, un climat postélectoral propice aux affrontements dans les rues, pourrait faire perdre aux chavistes plus de la moitié des gouvernements provinciaux et plus de 60% des mairies.
Il serait alors possible, renchérit Guerrero, de construire un courant réactionnaire institutionnel dans le « respect de la démocratie » comme celui qu’on a pu voir à l’œuvre au Paraguay et qui semble avoir été une répétition de ce qui est envisagé pour le Venezuela.
C’est que le temps presse pour les États-Unis. Dans son bulletin de mai 2012, la Bank of America analyse longuement les conséquences de l’élection qui aura lieu dans le pays duquel sort 27% du pétrole qui meut l’économie états-unienne et recommande de « régler le cas du Senor Chavez ».
Selon la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPAL), la somme des activités économiques de l’Asie Pacifique et de l’Amérique latine représente aujourd’hui 60% de la croissance économique mondiale.
Pour faire face à la crise qui frappe son pays, le président Obama a réduit les importations de pétrole états-uniennes de 9,3 à 8,9 millions de barils par jour. Par conséquent, avertit Victor Flores Alvarez, du portail Internet, America latina en movimiento, exploitées au rythme actuel de l’administration Obama, les réserves états-uniennes n’en ont plus que pour onze ans.
Pendant ce temps, le Venezuela non seulement regorge d’or noir mais, de son gouvernement, dépendent ou sont associées les principales entités commerciales, économiques, militaires, culturelles ou diplomatiques qui, depuis dix ans, structurent la « nouvelle Amérique latine » et l’éloignent de Washington.
La récente adhésion du Venezuela au Mercosur n’a rien non plus pour plaire aux États-Unis car, par cette union, les deux entités qui préoccupent la Maison Blanche se renforcent mutuellement.
Le Venezuela, dit Isabel Delgado, membre de la Commission présidentielle pour le Mercosur, apporte au bloc commercial « une dimension énergétique forte et structurée dont l’absence est en ce moment déterminante dans la crise que traverse l’Union européenne. »
Avec le Venezuela, le Mercosur compte maintenant 70% de la population sud-américaine et son PIB représente 83,2% de celui du sous-continent. Son territoire occupe presque tout le littoral Atlantique et se projette jusque dans les Caraïbes.
Il est aussi évident que le bloc régional renforce le Venezuela, pays jusque là vulnérable aux pénuries d’aliments, en lui donnant accès à l’un des plus grands marchés alimentaires du monde. Mais, surtout, le bloc rompt l’isolement dans lequel les États-Unis cherchent à confiner Caracas et la prémunit contre un éventuel blocus économique.
Avec le Mercosur et l’ALBA, le Venezuela se positionne plus que jamais dans la dimension historique d’intégration latino-américaine de son orientation bolivarienne et il n’y a aucun doute qu’avec lui, le Mercosur se tournera davantage vers les pays émergents des BRICS comme la Chine, l’Inde et la Russie.
Le premier ministre chinois, Wen Jiabao, l’a bien compris lui, qui, trois jours seulement après que le Mercosur eut suspendu le Paraguay (l’un des seuls pays du monde à ne pas entretenir de relations diplomatiques avec la Chine), en profitait pour proposer une vaste alliance stratégique entre son pays et le bloc commercial sud-américain.
L’offre chinoise est tentante, nous dit Victor Flores Alvarez. La CEPAL prévoit qu’en 2030, les deux tiers de la classe moyenne mondiale vivront dans la région Asie Pacifique contre 20% en Amérique du Nord et Europe combinées. Cette classe moyenne asiatique sera un marché clé pour les aliments, les produits de luxe et de haute qualité, le tourisme, les services médicaux et les marchandises de détail.
L’Amérique latine se voit offrir là une opportunité, non seulement de prolonger avec l’Asie le cycle commercial favorable qu’elle maintient depuis 2003, mais aussi de diversifier ses exportations et d’en augmenter la valeur ajoutée.
Flores Alvarez ajoute que l’offre chinoise permet aussi à l’Amérique latine de contempler une alliance anti-invasion et anti-agression avec l’une des grandes puissances équilibrantes de la planète.
Voilà pourquoi, conclut Eva Golinder, « les insatiables qui veulent le pouvoir dans le pays qui détient les plus importantes réserves pétrolières du monde, ne toléreront pas leur échec. La patrie est en jeu et elle doit gagner ».