Les commémorations autour de la Grande Guerre ont commencé et vont redoubler à partir d’août et de sa date de déclenchement. Voici donc quelques éléments sur le répertoire en service chez les soldats lors de la déclaration de la guerre en août 1914.
Tout d’abord dans l’armée française, le répertoire évolue suivant des usages non règlementés, sans recueil officiel ni enseignement ou instructeurs dédiés. Les chansons se transmettent de bouche à oreille, à l’imitation. En ce début du XXe siècle, le soldat est un conscrit issu de la société civile et en étroit contact avec elle. Il assiste aux spectacles des chansonniers professionnels, et certaines de ces chansons peuvent en être reprises.
La conscription a été généralisée après la défaite de 1870, époque à laquelle est apparu un nouveau type de chants, ceux de la revanche. Ces chants sont des compositions de chansonniers professionnels (L’Alsace et la Lorraine, Sambre et Meuse), sauf quelques exceptions notables comme Déroulède (Le Clairon). Ils vont entretenir une mystique de la reconquête des provinces perdues. Ces chants ont joué le même rôle que les chansons patriotiques composées à partir de 1793 : justifier la conscription qui a toujours été impopulaire. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle ces chansons figurent rarement dans les cahiers de chanson des soldats, mais sont appréciées des civils, surtout les plus « revenchardes », car le soldat est en première ligne alors que le civil reste sur les arrières : « Armons-nous et partez ! ». L’illustration de cet état d’esprit est parfaitement rendue par les cahiers de chansons rédigés par les conscrits dans lesquels se retrouvent certaines chansons de la revanche, mais presque uniquement les chansons sentimentales (Le Violon brisé, Le Fils de l’Allemand).
La troupe a besoin du chant, d’abord pour faire oublier la fatigue pendant les marches et c’est le principal de son répertoire (Un Jambon de Mayence, Sur la route de Louviers, À Genevilliers), celui que l’on retrouve dans les rares ouvrages qui en traitent (Sarrepont, major H. de, Chants et chansons militaires de la France, Librairie Henry du Parc, Paris, vers 1896. Vingtrinier Joseph, Chants et chansons des soldats de France, Albert Méricant éd., 1902).
Légères, souvent grivoises (Ousqu’est Saint-Nazaire, Le Père la victoire, Nous étions sept, Quand Madelon), ces chansons ne sont que modérément appréciées du commandement qui cherche à promouvoir des chansons plus valorisantes pour l’armée en incitant l’impression de recueils régimentaires de chants et en soutenant un éditeur civil comme Botrel avec La Bonne Chanson du soldat.
Dans la préface du premier numéro du périodique de Botrel, le général Canonge écrit en 1910 : « Quoi de plus simple que d’adopter des chansons d’un caractère vraiment français, évoquant les victoires passées, glorifiant le drapeau, traduisant discrètement les espérances de l’avenir, légères même, mais sans le mot cru, grossier, qui inutilement, blesse les oreilles les plus indulgentes ? »
En 1910, le commandement organise même un concours et lance La Chanson du fantassin, mais ces initiatives ont peu de succès. Pas plus que celles qui visent à moraliser les paroles attachées aux sonneries d’ordonnance. On retrouve certaines des chansons en vogue chez les conscrits dans les recueils diffusés par les éditeurs civils (Ce que chantent nos soldats, édition universelle).
À côté de ces répertoires utilisés par les soldats issus de la conscription, les militaires de carrière utilisent d’autres chants (aussi chantés par la troupe) qui entretiennent les traditions et l’esprit de corps. Ce sont les chants d’armes en usage chez les chasseurs (Sidi-Brahim), la Légion (Le Boudin), la Coloniale (Hymne de l’infanterie de marine), ainsi que l’important répertoire créé dans les écoles d’officiers à Saint-Cyr et Navale.
Voila les répertoires en service à la déclaration de guerre en août 1914 et qui vont accompagner les soldats dans les premiers combats et la longue retraite jusqu’à la bataille de la Marne. Les hécatombes des premières semaines du conflit puis l’immobilisation dans les tranchées vont faire disparaître totalement l’intégralité du répertoire qu’utilisaient jusque là les conscrits, pour amener la création d’autres chansons, montrant que le chant reste un usage indispensable dans l’armée.