Depuis plus de cinq siècles, peut-être depuis Adam et Eve, l’Occident se pavane plus ou moins majestueusement au centre de l’univers, dans le merveilleux jardin où resplendissent les fleurons de l’humanité, au paradis où coulent le lait et le miel. Cultivée par les arrogants personnages qui président aux destinées des peuples atlantiques, injectée dans les cerveaux des citoyens – lambda ou omicron – dès le plus jeune âge, cette mirifique histoire présente le reste de la planète comme une jungle où s’ébattent des « animaux » ou des « animaux humains » : cette expression vous rappellera sans doute à une actualité brûlante.
Les Français ne sont pas les derniers à penser qu’ils sont les premiers de la classe et que leur « Grande Nation » reste contre vents et marées le phare vers lequel se tourne le monde en quête de lumière. Leurs élites s’imaginent volontiers être la cible des regards friands de contempler l’exception française et ses flamboyances. Dans ces conditions, il va de soi que l’organisation des Jeux Olympiques de Paris 2024, conquise de haute lutte dans la jungle du sport international, constituait une aubaine – pour ne pas dire une proie – très convoitée.
Il n’est pas dans mes intentions de minimiser l’enjeu que constituait cet évènement planétaire : intervenant qui plus est dans un contexte national ingrat et une situation internationale explosive, tous les ingrédients étaient réunis pour capter l’attention de la planète, pour le meilleur comme pour le pire, mais également pour enflammer l’admiration face au génie créateur et au savoir-faire des organisateurs.
Ébranlé par le chaos politique imprévu issu de déboires électoraux à la queue leu-leu (deux scrutins nationaux improvisés afin de corriger le verdict des urnes européennes), le pouvoir macronien aura trouvé dans ces JO convoités le remède miracle capable de faire oublier le marasme dans lequel il se débat, politiquement, économiquement et financièrement. À première vue, les Jeux auront été officiellement un succès. Depuis la fin juillet, entre les exploits de ses sportifs et les audaces en tous genres qui ont auront égayé les festivités tout en épatant la galerie, Paris n’est plus qu’un gigantesque arc de triomphe : tout un chacun revendique sa part de la réussite, et nos élites communient dans l’autosatisfaction, telles une Castafiore collective riant de se voir si belle en son miroir.
Mais au bilan, on ne saurait zapper l’autre face, le visage politique des JO, et c’est là que les Athéniens s’atteignirent, si l’on peut dire, les mauvais esprits ayant vite détourné les yeux en découvrant dans la ville lumière une simple variante de l’hypocrisie occidentale.… À l’ouverture des jeux, le 22 juillet, le Président Macron, qui a des lettres, avait décrété formellement la « trêve olympique et politique », annonçant sa fin le dimanche 11 août, jour de clôture. Le fondement « olympique » était d’emblée mis au placard : cette tradition née au cœur de la Grèce antique, tombée dans l’oubli puis revivifiée à l’ère contemporaine, avait un but précis qui était de mettre fin aux guerres entre cités : du septième jour précédant l’ouverture des Jeux jusqu’au septième jour après leur clôture, les hostilités devaient cesser pour permettre aux athlètes, artistes, parents et pèlerins de venir assister ou participer aux JO et de retourner chez eux en sécurité. Or, il est clair qu’à la cérémonie d’ouverture, la trêve n’avait pas été mise en œuvre avec cette préoccupation.
Grande nation olympique, la Russie était exclue, en raison du conflit ukrainien, tenu par les Occidentaux pour une « agression non provoquée », la France ayant obtempéré à la décision du Comité Olympique International, sensible aux pressions de Washington. Pas de Russie, pas de drapeau pour défiler, pas d’hymne, seulement une demi-douzaine d’athlètes russes venus à titre individuel. À l’heure où « l’Occident collectif » (États-Unis, Israël, Anglo-saxons, Union Européenne, OTAN et autres supplétifs) alimente ouvertement la provocation à l’encontre de la Russie, de la Chine et de l’Iran, glissant lentement, mais sûrement vers une guerre généralisée, fût-ce au prix d’une conflagration nucléaire, la France ne pouvait-elle pas tenter de marquer sa différence à la faveur de la trêve, en faisant valoir son potentiel pacificateur, afin de préserver l’avenir. Beaucoup attendaient sans doute un signal du côté français, mais rien n’est venu…
Dans le même temps, l’État d’Israël, auteur d’un génocide monstrueux en Palestine depuis dix mois, sous les yeux de l’humanité entière, condamné comme tel par la Cour Internationale de Justice et la Cour Pénale Internationale, avait envoyé ses athlètes, accueillis comme si de rien n’était, leur présence ne suscitant aucun d’état d’âme chez notre exalté hors du temps, qui se soucie peu des détails subalternes. Il devait d’ailleurs déclarer à l’issue des Jeux, s’adressant aux responsables ayant participé à l’évènement. « Ce matin on a tous un peu de nostalgie. On n’a pas envie que la vie reprenne ses droits. Car la vraie vie, c’est celle qu’on a vécue les semaines passées, la vraie vie. ». Selon l’adage connu, « un président ne devrait pas dire ça ». Estimerait-il que c’est « la vraie vie » pour les Palestiniens génocidés et martyrisés, un sujet qui apparemment ne l’intéresse pas.
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