Netanyhou est en train d’affaiblir Obama, mais cela va peut-être lui coûter cher politiquement.
Nazareth – Pendant 20 ans la Maison Blanche a contrôlé le processus de paix, se réservant le rôle d’intendant d’Israël et des Palestiniens dans la résolution de leur conflit. Comme certains « Parrains », les États-Unis exigeaient une loyauté inconditionnelle.
Mais la prééminence de Washington dans la relation tant avec Israël qu’avec la direction palestinienne s’effiloche avec une rapidité étonnante.
La crise grandit depuis six ans. Obama est arrivé à la Maison Blanche juste au moment où Israël élisait un des gouvernements les plus à droite de son histoire, mené par Benjamin Netanyahou.
Lors de leur première rencontre, Obama aurait dit à son interlocuteur israélien : "not one more brick" [pas une seule brique de plus], insistant sur le gel des constructions de colonies pour que Washington puisse ranimer le processus d’Oslo, au point mort depuis longtemps.
Netanyahou s’est empressé de défier le président et il n’a pas cessé depuis. La dernière humiliation en date – la goutte qui a fait déborder le vase – c’est quand Netanyahou a réussi à extorquer une invitation à s’adresser au Congrès américain le mois d’après.
De toute évidence, le Premier ministre israélien espère faire un sort à un élément essentiel de la politique étrangère d’Obama – la négociation d’un accord avec l’Iran sur son programme nucléaire – en persuadant le Congrès de durcir les sanctions à l’encontre de Téhéran. C’est risquer une crise qui pourrait finir par entraîner les Etats-Unis dans une guerre avec l’Iran.
Mais Netanyahou n’est pas seul à tester le pouvoir d’Obama. Dernièrement le président palestinien Mahmoud Abbas, lui aussi, a choisi de court-circuiter la Maison Blanche. Après des années de vaine attente, il a placé ses espérances en de nouveaux donateurs internationaux qui pourraient l’aider à atteindre son objectif de parvenir à un état indépendant.
Ignorant les injonctions de la Maison Blanche, il a persévéré malgré tout avec des résolutions aux Nations Unies et il vient de dégainer son arme ultime : adhérer à la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye. Les Israéliens appellent cela « une intifada diplomatique » et ils pressent les Etats-Unis de supprimer leur aide annuelle de 400 millions de dollars à l’Autorité palestinienne.
Comme avec un parrain mafieux, Obama est en difficulté s’il n’arrive plus à inspirer la peur, à défaut du respect. Mais lui seul est à l’origine du problème.
Depuis six ans, "Netanyahou nous a craché au visage", comme un responsable à la Maison Blanche en faisait la remarque mémorable lors de la dernière crise, et apparemment sans avoir à payer le moindre prix pour son impudence. À l’inverse, Abbas a fait tout ce que l’administration Obama exigeait de lui, sans avoir eu la moindre reconnaissance de ses efforts.
Les dirigeants israéliens tout autant que palestiniens croient chacun de leur côté qu’ils ont des intérêts vitaux - voire existentiels – que la Maison Blanche les empêche à présent de concrétiser.
La désobéissance d’Abbas est issue de la nécessité. Se rendant compte que les Etats-Unis n’agiront jamais en intermédiaire honnête dans le processus de paix, il a été contraint de se tourner vers des tribunes internationales, où le pouvoir de Washington est plus réduit, dans l’espoir d’obliger Israël à concéder un petit état palestinien.
La manœuvre de Netanyahou, quant à elle, se base sur le raisonnement risqué qu’il peut manipuler les USA pour provoquer une confrontation avec l’Iran, afin de maintenir la domination régionale d’Israël. Pour ce faire il se fondait sur deux hypothèses douteuses.
La première est qu’il peut attendre, puisque Obama n’a plus qu’un an et demi de mandat. Netanyahou mise sur un successeur républicain tenant de la ligne dure, qui suivra sa tendance contre Téhéran. Il pourrait bien être déçu. Même en misant sur une victoire des républicains, leur rhétorique de campagne de style faucon sur l’Iran sera sévèrement mise à l’épreuve par les limitations du mandat. Les agences de renseignement et les militaires étatsuniens enseigneront au prochain président les mêmes froides réalités politiques qu’a dû affronter Obama.
Et deuxièmement, Netanyahou croit qu’il peut se servir du Congrès pour faire obstacle à tout accord menaçant de se conclure entre Washington et Téhéran. Son hypothèse de travail est que le Congrès est « territoire israélien sous occupation », comme l’a dit un jour un observateur des Etats-Unis.
Il est certain qu’Israël a une emprise énorme sur le Congrès, mais Netanyahou est déjà en train de recevoir une leçon sur les limites de son influence quand il s’attaque à un président des États-Unis fortement acculé.
De hauts responsables démocrates semblent se ranger du côté d’Obama. Nancy Pelosi, chef de file de la minorité à la Chambre des représentants, a déjà averti que beaucoup de démocrates pourraient boycotter le discours de Netanyahou. D’autres pourraient y assister mais sans se joindre aux applaudissements frénétiques tels ceux qui ont salué sa dernière intervention au Congrès.
Voici l’un des signes d’avertissement que Netanyahou a catégoriquement refusé de prendre en compte. Son influence et celle d’Israël aux États-Unis dépendent de leur nature bi-partisane. En jouant contre le président, Netanyahou risque de détruire le consensus politique sur Israël et d’exposer pour la première fois le public américain à un débat sur la question de savoir si les intérêts israéliens coïncident avec ceux des États-Unis.
La vraie dissension avec Obama qu’il est en train d’encourager risque de lui retomber dessus, stratégiquement. Il donne à Téhéran le meilleur incitatif pour signer un accord avec les puissances occidentales rien que pour approfondir la fracture dans la relation entre Israël et Washington.
Entre-temps, la CPI a préféré initier par elle-même un examen contre Israël pour crimes de guerre, dès avant l’accession palestinienne, plutôt que d’attendre une escalade des menaces de représailles d’Israël et de la Maison Blanche.
Ce que la dégradation de la relation triangulaire – entretenue par l’intransigeance de Netanyahou envers les Palestiniens et par son insolence à l’encontre des Etats-Unis – a permis, c’est d’ouvrir la marge de manœuvres diplomatiques.
D’autres états, de l’Europe à la Russie, la Chine et l’Iran, et des institutions internationales comme la CPI, vont combler le vide laissé par la crédibilité réduite de Washington et vont structurer leurs conceptions du conflit israélo-palestinien. Ce qui pourrait avoir pour Israël des conséquences imprévisibles – et dangereuses.