Lorsque la Russie a décidé de légiférer sur la question des ONG financées par l’étranger, celles-ci et les médias occidentaux ont présenté ce projet de loi, depuis adopté, comme une « loi anti-ONG ». Ils annoncèrent même que cette loi constituait une atteinte à la « liberté d’expression », usant pour ce faire de tout un tas d’approximations et de mensonges sur sa finalité.
Après l’avoir combattue dans les médias, les ONG, encadrées par l’administration Obama se sont engagés dans une véritable lutte politique contre la décision souveraine de l’État russe. Au nom de ce combat, le président Obama a tenu un discours révélateur sur le rôle accordé aux ONG dans la diplomatie américaine, confirmant ce que de nombreux chercheurs affirment depuis très longtemps : à savoir que les États-Unis cherchent à dissimuler leurs liens financiers avec les ONG dans le monde et qu’ils s’ingèrent effectivement dans les affaires intérieures des États par ce biais.
Les États-Unis affirment depuis près de 30 ans que le « respect pour les droits de l’homme » est la « pierre angulaire de la paix mondiale ». C’est en ces termes que Ronald Reagan présentait l’engagement diplomatique des États-Unis devant l’assemblée générale des Nations Unies le 22 septembre 1986 [1]. C’est également sous l’Administration Reagan que fut créée la National Endowment for Democracy (NED) quelques années plus tôt. Elle a pour mission officielle de « promouvoir la démocratie à l’échelle internationale » comme elle l’indique son site internet et dispose d’un impressionnant réseau mondial d’ONG auxquelles elle accorde de généreux subsides. Mais l’organisation, financée presque intégralement par le congrès des États-Unis [2], s’est surtout illustrée par des ingérences répétées dans des processus politiques étrangers. Un de ses fondateurs, Allen Weinstein, déclarait en 1991 « ce que la NED fait aujourd’hui, nous le faisions avec la CIA vingt ans auparavant. » [3]. Si une organisation avec de telles perspectives finance des centaines d’ONG dans le monde, comment ne pas s’attendre à ce que les États victimes de ces ONG s’y opposent ?
La chambre basse du parlement russe (Douma) a donc adopté en 2012 un projet de loi qui qualifie les ONG recevant un financement étranger et qui ont une activité politique d’« agents de l’étranger » et les a désormais placées sous contrôle gouvernemental [4]. Selon les associations concernées, cette initiative vise à réduire toute critique du gouvernement russe au silence. Mais ces mêmes associations ne disent jamais que cette loi est en partie calquée sur une loi états-unienne, assez ancienne d’ailleurs, le Foreign Agents Registration Act [5], dans laquelle elles ne voient manifestement aucune forme de censure. De plus, la loi russe n’entrave en rien la liberté d’expression des ONG. Elle ne fait que leur imposer un certain statut mais sans aucune restriction sur leurs activités. Elle leur impose simplement de se déclarer comme financées par l’étranger lorsque cela est le cas. Aujourd’hui, ce n’est pas moins de 20 États dans le monde qui pensent à légiférer sur la question ou qui l’ont déjà fait. Il ne s’agit donc pas d’un phénomène isolé et exclusivement russe mais plutôt du résultat de la saturation éprouvée par les États victimes de ces ONG.
Depuis 2012 et la loi russe, les ONG s’agitent : Amnesty International déclare que cette loi est « sinistre » [6], la FIDH publie des rapports [7], les ONG s’organisent et créent des alliances pour dénoncer cette loi. Mais aucune de ces nombreuses associations ne dit mot de la stratégie politique qui a été développée par les États-Unis et leurs ONG vassales pour la contourner. Car ce n’est pas en éditant des rapports et en faisant des discours dans les médias que les ONG vont pouvoir continuer à s’ingérer dans les affaires intérieures d’États qui sont désormais protégés par leurs juridictions. Dés 2011, les États-Unis ont mis sur pied avec quelques États partenaires un énième chantier sur les droits de l’homme. Il s’agit de l’Open Government Partnership (OGP) [8] – (Partenariat pour un Gouvernement Transparent ) dans lequel s’est particulièrement investie Hillary Clinton. Il consiste en la création d’un énième collège intergouvernemental financé par ses États membres et par des fondations états-uniennes (la Fondation Ford, l’Open Society Institute, etc.). Le but recherché est de rassembler un maximum d’États sur une vision dont les États-Unis sont les auteurs. Par la même occasion, ils s’assurent que leur projet sera défendu par tous ses membres devant les institutions internationales.
Lors d’une table ronde sur la société civile à New York en 2013, le président Barack Obama a rappelé à son assemblée l’effort conjointement fourni par les 60 membres de l’OGP afin de « promouvoir des institutions transparentes, efficaces et responsables, en partenariat avec la société civile ». [9] Les « lois anti-ONG » étant à l’ordre du jour, Barack Obama n’a pas dissimulé l’importance accordée aux ONG dans la diplomatie états-unienne, déclarant « En pratique, chaque fois que je voyage à l’étranger, je fais tout pour trouver le temps de rencontrer les citoyens qui s’engagent face à toute une gamme de problèmes. Et, je m’efforce de soulever la qualité de leur travail et de leur affirmer que les Etats-Unis soutiennent leurs efforts ». Quel soutien les États-Unis apportent ils à ces citoyens « engagés » ? Et quelle solution peut leur apporter Barack Obama face aux lois qui répriment les ingérences étrangères par l’intermédiaire des ONG ? Les « organisations de la société civile » présentes attendaient avant tout les réponses à ces questions qui demeurent en suspend depuis la loi russe. Barack Obama déclara : « Il est vrai que de nombreux pays qui tentent de limiter l’action des ONG peuvent adopter des lois et qu’ils vont ensuite soutenir que des ONG ne respectent pas ces lois. C’est pourquoi je pense qu’il est si important de développer de structures institutionnelles qui contraignent les décisions des gouvernements ». Autrement dit, les États-Unis se moquent complètement des décisions juridiques des autres États. Ils aimeraient qu’ils soient « contraints » de suivre leur vision et accessoirement celle des militants des ONG qu’Obama rencontre « en pratique, chaque fois qu’il fait un voyage à l’étranger ». Tant que ces contraintes n’existent pas, les États-Unis ne peuvent faire qu’une chose et le président Obama n’y va pas par quatre chemins : « Nous devons faire en sorte de trouver des moyens pour financer les ONG de manière à les rendre plus difficilement identifiables comme des outils des États-Unis ou des puissances occidentales ». Comme les fameuses « lois anti-ONG » s’intéressent en priorité aux ONG financées par des gouvernements occidentaux, Barack Obama propose tout simplement de rendre les sources de financements des ONG plus opaques.
Il n’y a là rien de nouveau si ce n’est qu’Obama admet cette pratique et que cette dissimulation volontaire trouve désormais une justification. En quoi le secret, tant cultivé par les ONG et les États qui les financent, serait porteur de « transparence » comme le suggère pourtant l’intitulé du « Partenariat pour un Gouvernement Transparent » ? En pratique, Obama souhaite l’ internationalisation de l’aide financière aux ONG afin qu’on ne puisse déterminer l’origine des fonds. Quant au « Partenariat pour un Gouvernement Transparent », n’a-t-il pas pour finalité de coaliser des États qui, dans les institutions internationales parleraient d’une voix pour défendre le projet de Barack Obama et d’Hilary Clinton, à savoir « développer de structures institutionnelles qui contraignent les décisions des gouvernements » ? En quoi contraindre un État à soumettre son système juridique aux volontés états-uniennes serait une forme de « partenariat » pour un « gouvernement transparent » ? De même que l’OTAN a globalisé sa puissance militaire en normalisant les systèmes politiques des Nations européennes par l’intermédiaire de l’Union Européenne, les États-Unis ne cherchent-ils pas tout simplement à normaliser les systèmes juridiques des autres États afin de globaliser la portée de leur propre modèle juridique, sociétal et humanitaire ?
Julien Teil