« Avant même le 11 septembre 2001 les Américains voulaient attaquer l’Irak »
Olivier Roy, directeur de recherche au CNRS, cultive un talent très appréciable : celui de décrire en peu de mots une situation complexe. Dans « Le croissant et le chaos » (1), ce spécialiste de l’islam politique raconte la déconfiture totale du néoconservatisme américain depuis 2001. Le drame, c’est que ces néoconservateurs n’ont jamais cessé de peser sur les choix stratégiques de George Bush, provoquant la mort de milliers de personnes innocentes, en Afghanistan, en Irak, au Pakistan, et dans l’ensemble du monde musulman.
Dans son l’introduction, Olivier Roy rappelle qu’au soir du 11 septembre 2001, le gouvernement des Etats-Unis disposait d’un blanc-seing pour lancer sa guerre totale contre le terrorisme. L’opinion américaine était mobilisée, le monde extérieur, était solidaire ou silencieux. Or six ans plus tard, c’est un échec total. Aucun des objectifs n’est atteint. « Ben Laden est toujours vivant en 2007, ainsi que le chef des talibans, le mollah Omar », souligne le chercheur, « les actions terroristes n’ont pas cessé, et la situation s’est dégradée dans tout le monde musulman », ajoute-t-il.
Des Etats « faibles » mettent en échec la puissance américaine en l’acculant à l’impasse ou à des choix impossibles. Personne ne peut renverser le président Assad en Syrie ou le général Musharraf au Pakistan, « alors qu’on sait que ces deux pays servent de sanctuaire ou de soutien à des groupes terroristes ou à des mouvements radicaux, simplement parce que leur disparition serait pire que leur capacité de nuisance actuelle », écrit l’auteur du « Croissant et le chaos ».
Pourquoi cette invraisemblable déconfiture ? Comment expliquer que la plus grande puissance du monde ne parvienne pas à mettre la main sur l’homme le plus recherché de la planète, dont la tête est mise à prix des dizaines millions de dollars ? Et qu’Oussama Ben Laden, que l’on présente comme un troglodyte, planqué dans une caverne dans les zones tribales pakistanaises, puisse s’offrir le luxe de narguer l’Occident dans une cassette vidéo diffusée le jour anniversaire du 11 septembre. A ces questions essentielles, Olivier Roy livre un élément de réponse. Début novembre 2001, il est reçu à Washington par Paul Wolfowitz, alors secrétaire d’Etat adjoint à la Défense. La discussion porte sur les conditions concrètes de l’intervention en Afghanistan.
« Je crains cependant que cette affaire d’Afghanistan ne nous éloigne de notre véritable objectif », lui déclare Paul Wolfowitz en le raccompagnant.
« C’est-à-dire ? »
« L’Irak, bien sûr ! », répond le secrétaire d’Etat adjoint américain à la Défense.
Cette révélation explique en grande partie l’échec de la traque contre le fondateur d’Al-Qaida. En fait, les Américains ne sont intervenus en Afghanistan que pour une raison purement conjoncturelle. Leur vrai objectif était l’Irak et le renversement de Saddam Hussein (et cela bien avant le 11 septembre 2001). « Les Américains considéraient Oussama Ben Laden comme un épiphénomène. Ce n’était donc pas la peine de lui courir derrière sérieusement. Ils étaient persuadés qu’Al-Qaida ne pouvait pas agir seul, qu’il y avait forcément un Etat derrière, en l’occurrence l’Irak », souligne Olivier Roy.
On connaît la suite : l’administration Bush a refusé d’admettre l’absence de rapport entre le régime de Saddam Hussein et le terrorisme international. « Dès lors, Washington s’est lancé dans une fuite en avant idéologique, définissant l’ennemi - le « terrorisme international » - dans des termes de plus en plus vagues et idéologiques (l’« islamo-fascisme »), se privant ainsi de tout instrument d’action sur le réel », constate le directeur de recherche au CNRS.
Il est surprenant que la presse française n’ait pas fait plus de cas de cet entretien surréaliste avec Paul Wolfowitz. Dans un ouvrage récent, Catherine Durandin, directeur de recherches à l’Iris, et auteur de « CIA, cinq années de colère » (2), révèle que dès le 12 septembre, les deux têtes directrices du Pentagone, Donald Rumsfeld et Paul Wolfowitz, lorgnent déjà sur l’Irak. Les deux néoconservateurs avancent deux hypothèses, comme s’il s’agissait de certitudes.
« Primo, Saddam Hussein dispose d’armes de destruction massive qu’il a l’intention d’utiliser contre les Etats-Unis ; secondo, Saddam Hussein est lié aux réseaux d’Al-Qaida qu’il protège et soutient », écrit Catherine Durandin, professeur à l’institut des langues et civilisations orientales. Donald Rumsfeld et Paul Wolfowitz ne seront pas totalement suivis par George Bush dans son discours du 14 septembre 2001 à la National Cathedral de Washington (cérémonie donnée en l’honneur des victimes du 11 septembre).
Le président américain désigne Oussama Ben Laden, mais ne nomme pas Saddam Hussein. Toutefois, il ajoute que l’Afghanistan « ne sera pas le seul champ de bataille ». « Ce n’était absolument pas l’analyse de George Tenet, le patron de la CIA. Les Américains avaient en Afghanistan des forces paramilitaires depuis 1998 et ils pensaient être en mesure de mettre la main sur Ben Laden. Mais la CIA n’était pas écoutée par les néoconservateurs qui n’avaient qu’un objectif : celui de renverser Saddam Hussein », commente l’auteur de « CIA, cinq années de colère ».
Par Ian Hamel
Journaliste, auteur du livre « La vérité sur Tariq Ramadan, sa famille, ses réseaux, sa stratégie » aux éditions Favre, préface de Vincent Geisser.
Source : http://oumma.com
1. Olivier Roy, « Le croissant et le chaos », Hachette littératures, 188 pages.
2. Catherine Durandin, « CIA, cinq années de colère », Armand Colin, 189 pages.
Olivier Roy, directeur de recherche au CNRS, cultive un talent très appréciable : celui de décrire en peu de mots une situation complexe. Dans « Le croissant et le chaos » (1), ce spécialiste de l’islam politique raconte la déconfiture totale du néoconservatisme américain depuis 2001. Le drame, c’est que ces néoconservateurs n’ont jamais cessé de peser sur les choix stratégiques de George Bush, provoquant la mort de milliers de personnes innocentes, en Afghanistan, en Irak, au Pakistan, et dans l’ensemble du monde musulman.
Dans son l’introduction, Olivier Roy rappelle qu’au soir du 11 septembre 2001, le gouvernement des Etats-Unis disposait d’un blanc-seing pour lancer sa guerre totale contre le terrorisme. L’opinion américaine était mobilisée, le monde extérieur, était solidaire ou silencieux. Or six ans plus tard, c’est un échec total. Aucun des objectifs n’est atteint. « Ben Laden est toujours vivant en 2007, ainsi que le chef des talibans, le mollah Omar », souligne le chercheur, « les actions terroristes n’ont pas cessé, et la situation s’est dégradée dans tout le monde musulman », ajoute-t-il.
Des Etats « faibles » mettent en échec la puissance américaine en l’acculant à l’impasse ou à des choix impossibles. Personne ne peut renverser le président Assad en Syrie ou le général Musharraf au Pakistan, « alors qu’on sait que ces deux pays servent de sanctuaire ou de soutien à des groupes terroristes ou à des mouvements radicaux, simplement parce que leur disparition serait pire que leur capacité de nuisance actuelle », écrit l’auteur du « Croissant et le chaos ».
Pourquoi cette invraisemblable déconfiture ? Comment expliquer que la plus grande puissance du monde ne parvienne pas à mettre la main sur l’homme le plus recherché de la planète, dont la tête est mise à prix des dizaines millions de dollars ? Et qu’Oussama Ben Laden, que l’on présente comme un troglodyte, planqué dans une caverne dans les zones tribales pakistanaises, puisse s’offrir le luxe de narguer l’Occident dans une cassette vidéo diffusée le jour anniversaire du 11 septembre. A ces questions essentielles, Olivier Roy livre un élément de réponse. Début novembre 2001, il est reçu à Washington par Paul Wolfowitz, alors secrétaire d’Etat adjoint à la Défense. La discussion porte sur les conditions concrètes de l’intervention en Afghanistan.
« Je crains cependant que cette affaire d’Afghanistan ne nous éloigne de notre véritable objectif », lui déclare Paul Wolfowitz en le raccompagnant.
« C’est-à-dire ? »
« L’Irak, bien sûr ! », répond le secrétaire d’Etat adjoint américain à la Défense.
Cette révélation explique en grande partie l’échec de la traque contre le fondateur d’Al-Qaida. En fait, les Américains ne sont intervenus en Afghanistan que pour une raison purement conjoncturelle. Leur vrai objectif était l’Irak et le renversement de Saddam Hussein (et cela bien avant le 11 septembre 2001). « Les Américains considéraient Oussama Ben Laden comme un épiphénomène. Ce n’était donc pas la peine de lui courir derrière sérieusement. Ils étaient persuadés qu’Al-Qaida ne pouvait pas agir seul, qu’il y avait forcément un Etat derrière, en l’occurrence l’Irak », souligne Olivier Roy.
On connaît la suite : l’administration Bush a refusé d’admettre l’absence de rapport entre le régime de Saddam Hussein et le terrorisme international. « Dès lors, Washington s’est lancé dans une fuite en avant idéologique, définissant l’ennemi - le « terrorisme international » - dans des termes de plus en plus vagues et idéologiques (l’« islamo-fascisme »), se privant ainsi de tout instrument d’action sur le réel », constate le directeur de recherche au CNRS.
Il est surprenant que la presse française n’ait pas fait plus de cas de cet entretien surréaliste avec Paul Wolfowitz. Dans un ouvrage récent, Catherine Durandin, directeur de recherches à l’Iris, et auteur de « CIA, cinq années de colère » (2), révèle que dès le 12 septembre, les deux têtes directrices du Pentagone, Donald Rumsfeld et Paul Wolfowitz, lorgnent déjà sur l’Irak. Les deux néoconservateurs avancent deux hypothèses, comme s’il s’agissait de certitudes.
« Primo, Saddam Hussein dispose d’armes de destruction massive qu’il a l’intention d’utiliser contre les Etats-Unis ; secondo, Saddam Hussein est lié aux réseaux d’Al-Qaida qu’il protège et soutient », écrit Catherine Durandin, professeur à l’institut des langues et civilisations orientales. Donald Rumsfeld et Paul Wolfowitz ne seront pas totalement suivis par George Bush dans son discours du 14 septembre 2001 à la National Cathedral de Washington (cérémonie donnée en l’honneur des victimes du 11 septembre).
Le président américain désigne Oussama Ben Laden, mais ne nomme pas Saddam Hussein. Toutefois, il ajoute que l’Afghanistan « ne sera pas le seul champ de bataille ». « Ce n’était absolument pas l’analyse de George Tenet, le patron de la CIA. Les Américains avaient en Afghanistan des forces paramilitaires depuis 1998 et ils pensaient être en mesure de mettre la main sur Ben Laden. Mais la CIA n’était pas écoutée par les néoconservateurs qui n’avaient qu’un objectif : celui de renverser Saddam Hussein », commente l’auteur de « CIA, cinq années de colère ».
Par Ian Hamel
Journaliste, auteur du livre « La vérité sur Tariq Ramadan, sa famille, ses réseaux, sa stratégie » aux éditions Favre, préface de Vincent Geisser.
Source : http://oumma.com
1. Olivier Roy, « Le croissant et le chaos », Hachette littératures, 188 pages.
2. Catherine Durandin, « CIA, cinq années de colère », Armand Colin, 189 pages.