“L’Égypte est un don du Nil”, disait Hérodote. Mais jusqu’à quand ? Le fleuve est formé par la rencontre, au niveau de Karthoum (Soudan), du Nahr-el-Abiad (Nil Blanc), qui vient du lac Victoria et du Nahr-el-Azrak (Nil Bleu), qui prend sa source au lac Tana, en Éthiopie.
En 1929, un traité imaginé par le Royaume-Uni a partagé les eaux du Nil entre les pays riverains. Et l’Égypte et le Soudan reçurent à cette occasion la part du lion, avec près de 90% des eaux disponibles attribuées à ces deux pays. Jusqu’à présent, cet accord n’avait jamais été contesté, jusqu’à ce sa remise en cause par l’Éthiopie, sortie d’une longue période d’instabilité. Et pour cause, le Nil Bleu, qui prend donc sa source sur son territoire, fournit 80% de l’eau des pays en aval.
Le 28 mai dernier, l’Éthiopie a donc lancé la construction, sur le Nil Bleu, d’un gigantesque barrage, appelé “Grande renaissance”. D’une capacité, à terme, de 5 000/6 000 mégawatts, il sera le plus important d’Afrique et devrait coûter quelques 3,2 milliards d’euros.
Pour Addis-Abeba, ce chantier est vital pour le développement économique ainsi que pour l’irrigation de ses terres agricoles, dont certaines sont rachetées par des pays étrangers pour y faire pousser du blé, du riz ou encore du maïs. Seulement, il prévoit de dévier le lit naturel de l’affluent du Nil… Ce que l’Égypte ne voit évidemment pas d’un très bon œil…
Aussi, Le Caire a mis en avant le traité de 1929 ainsi qu’un autre, signé en 1959, pour contester le projet éthiopien. Ces deux textes donnent à l’Égypte un droit de veto sur tout projet amont susceptible de porter atteinte à ses intérêts. La question en est même devenue une affaire de sécurité nationale : 90% des ressources égyptiennes en eau viennent du Nil.
Par le passé, le partage des eaux du fleuve ont déjà suscité des tensions. Comme par exemple en 1978, quand le président Anouar el-Sadate menaça le général Mengistu, son alter ego éthiopien, de représailles si jamais il persistait à maintenant un projet visant à retenir les eaux du Nil Bleu.
Plus récemment, en 2010, Le Caire avait prévenu que, au sujet du Nil, les “droits historiques (de l’Égypte) restaient une ligne rouge.” À l’époque, le traité d’Entebbe (ou “cadre de coopération et d’accord du Nil) était justement signé par les pays en amont afin de rendre illégitime le droit de véto égyptien sur le fleuve.
Et le ton se fait belliqueux du coté égyptien. Ainsi, comme le relate RFI, une réunion du président Mohamed Morsi (issu des Frères musulmans) et des parti islamistes, diffusée à la télévision d’État le 3 juin dernier, a donné lieu à des menaces à peine voilées contre l’Éthiopie.
“Nous devons conclure des accords avec la Somalie, l’Érythrée et Djibouti pour les utiliser comme bases contre l’Éthiopie et, comme vous le savez, tout s’achète en Afrique”, ainsi affirmé un participant, pendant que d’autres ont demandé des missiles longue portée et des avions ravitailleurs pour bombarder Addis-Abeba. Et le président Morsi a laissé dire… Qui ne dit mot consent, dit-on.
Deux jours plus tard, Ayman Ali, un conseiller de ce dernier a prévenu que Le Caire étudierait “toutes les options si le projet éthiopien devait nuire à l’Égypte”. “ Il est du droit de l’Égypte de défendre ses intérêts, comme d’autres gens ont le droit de défendre les leurs. Mais il doit y avoir des garanties selon lesquelles le barrage éthiopien ne nuira pas à l’Égypte, ou alors toutes les options seront sur la table”, a-t-il affirmé.
De son côté, Pakinam el-Charkawi, conseillère du président Morsi pour les affaires politiques pour le président égyptien, a indiqué qu’une demande allait être faite pour que l’Éthiopie renonce à son chantier.
Seulement, il n’en est nullement question. “Nous allons continuer notre projet”, a déclaré Getachew Reda, porte-parole du Premier ministre éthiopien Hailemariam Desalegn, en faisant valoir que la construction du barrage “Grande renaissance” ne dépendait pas de “la volonté de politiciens égyptiens.” Par ailleurs, il a également indiqué que le président Morsi avait été invité à Addis-Abeba pour discuter du projet, mais en aucun cas pour en négocier son arrêt.