La version officielle de la mort d’Oussama Ben Laden, aggravée plutôt qu’améliorée par vingt retouches successives, et que tous les commentateurs se sont fait un devoir d’admettre immédiatement n’a pas été un seul instant croyable. Son intention n’était d’ailleurs pas d’être crue, mais d’être la seule en vitrine, puis de donner l’occasion à 1000 autres versions, tout aussi invraisemblables, d’émerger afin d’ajouter encore à la confusion générale.
Ainsi il faudrait croire le président Obama sur parole. De la même façon que l’on nous demandait de croire Colin Pauwell en 2003 quand, devant le Conseil de Sécurité de l’ONU, il affirmait que « l’Irak détient 100 à 500 tonnes d’agents chimiques à usage militaire ». Ou bien encore peut-être que nous devrions croire le président Sarkozy lorsqu’il affirme aujourd’hui encore que l’attentat de Karachi a bien été perpétré par des terroristes islamistes.
L’Histoire témoigne que le système bipartite du terrorisme – c’est à dire obliger les populations à faire ce choix : terrorisme ou protection de l’État – est l’outil le plus efficace pour gouverner les hommes selon les exigences d’un pouvoir asservi aux lois économiques. Il n’y a donc aucun avantage a exposer ce qu’on croit être la vérité, car c’est perdre son temps à fouetter un océan de mensonges et de crimes.
Mais si le terrorisme est une arme redoutable dans les mains d’un État moderne, il révèle aussi sa faiblesse relative. L’opération « Geronimo » – on appréciera la référence au guerrier apache qui a combattu les États-Unis contre le programme d’épuration ethnique de son peuple – atteste d’abord que l’opinion publique est un enjeu fondamental pour cet État. Il prouve même que tous ses autres moyens, policiers et médiatiques, seraient insuffisant sans lui. Or, il est évident que le terrorisme n’a d’efficacité réelle que dans la mesure où la vérité du terrorisme reste secrète, où ceux qui fomentent ses crimes restent cachés. Ce n’est donc pas tant sur la vérité des détails de l’opération « Geronimo » qu’il faut investiguer, mais sur ce que ses commanditaires cherchent à provoquer.
La mise en scène étasunienne ne cherche pas à mettre fin au terrorisme, ou à calmer l’islamophobie qui ne cesse de croître depuis les événements du 11 septembre 2011. On peut au contraire estimer que le terrorisme va redoubler d’activité et que de nouvelles guerres, dirigées dans d’autres pays, continueront de faire tourner à plein régime l’industrie de l’armement. D’ailleurs les drones américains se dirigent maintenant vers le Yémen, ou l’on vient de désigner le nouveau chef d’Al-Qaida, le sheikh Anwar al-Awlaki.
De même, comme nous l’indiquions déjà en 2007, la guerre contre le terrorisme est en réalité une guerre contre chaque musulman. La théorie du choc des civilisations n’étant qu’une escroquerie intellectuelle, il convient maintenant de lui donner une réalité, ce à quoi travaillent les officines de propagande et d’actions clandestines – ainsi que les laquais politiques qui sont à leurs ordres – de sorte à créer une déstabilisation psychologique des populations propre à manipuler l’imaginaire collectif. L’Islam doit donc incarner l’ennemi. Mais personne n’en fera mieux la démonstration que Pierre Hillard.
Néanmoins, dans d’immenses régions du monde où les conditions élémentaires de survie se sont récemment effondrées, dans les innombrables camps de réfugiés économiques, politiques, écologiques, ou même dans les zones moins dévastées, mais où des conflits permanents entre plusieurs secteurs économiques conduisent à des massacres répétés, la menace terroriste ne peut avoir un effet dissuasif. Il en est de même dans des zones où le terrorisme est utilisé de façon quasi permanente pour maintenir la pression d’un pouvoir d’État sur les populations misérables, et un paysan de Kandahar comprend, sans difficulté et sans aucune référence historique, la collusion entre le terrorisme prétendument « islamiste » et la protection du gouvernement afghan.
Même en Occident, la répulsion que devrait susciter le terrorisme est déjà amoindrie dans certain territoires exclus de cette protection, où la jeunesse n’a plus d’avenir. Dans ces zones désolées, contrôlées par les trafiquants de drogue, et qui s’étendent chaque année un peu plus, que veut dire la prétendue liberté occidentale opposées à ces tyrannies que voudraient instaurer les terroristes ? Beaucoup de gens observent encore que le mépris du système économique actuel pour notre simple survie biologique ne donne pas un grand prix à cette protection contre la mort que nous promettent les gouvernements en échange de notre soumission à leurs directives suicidaires.
Si l’on ajoute à cela que des conflits entre groupes économiques conduisent de plus en plus souvent leurs gestionnaires respectifs à se dénoncer mutuellement comme mafieux, et même à révéler parfois la collusion de leurs rivaux avec le terrorisme actuel, on conviendra que la tenaille mafieuse n’est plus une absolue et que la vérité commence à émerger malgré la chape de plomb des médias.
L’extraordinaire succès populaire du livre de Thierry Meyssan, L’Effroyable imposture, soulignant le rôle des services secrets américains dans les attentats du 11 septembre 2001, montre à l’évidence l’importance quantitative de cette opinion publique pour qui le terrorisme actuel est largement manipulé par ses prétendus ennemis.
Ainsi, l’efficacité de la tenaille mafieuse, manœuvrée par les actuels gestionnaire de l’économie, ne semble plus aussi parfaite qu’il y a trois ans. Certes, on peut concevoir que ces gestionnaires disposent désormais de moyens suffisants, policiers, militaires et autres, pour se passer de l’approbation populaire et qu’ils peuvent se montrer ouvertement tels qu’ils sont sans se dissimuler plus longtemps derrière leur rôle protecteurs ou de sauveurs. Mais, outre le fait que le recours de plus en plus fréquent au terrorisme contredit une telle supposition, la marche de l’économie, dont ils sont les serviteurs, entraîne ses propres effets dévastateurs inévitables.
Car le triomphe de l’économie aboutit nécessairement à l’impasse suivante : ses succès détruisent les conditions mêmes de la vie, la sauvegarde de ces conditions exige des efforts de moins en moins supportables économiquement, et il y aura bientôt moins e richesses, humaines ou autre, à gérer. Le monstre économique meurt donc de son succès, comme le cancer qui envahit un organisme vivant et qui fini par mourir lui-même de l’épuisement terminal de sa victime.
Au cours de cette descente vers la mort, c’est à dire dès maintenant, les dirigeants mafieux de notre monde moderne vont devoir se maintenir face à des populations de plus en plus nombreuses, dont les conditions de vie sont de moins en moins tolérables, et sans illusion sur la nature de leurs gouvernants – alors que le terrorisme moderne prouve que cette illusion est nécessaire à la conservation du pouvoir actuel.
Voilà qui promet des affrontements confus et de longue durée, mais où la victoire est impossible à celui qui détruits ses propres bases à chacun de ses succès. Dans l’autre camp, au contraire, pourront se faire, à chaque instant de cette guerre à venir, les choix décisifs entre la servitude, le découragement, l’impuissance argumentée, qui conduisent de plus en plus vite à la mort et le rejet d’un ordre du monde qui ne doit son maintien actuel qu’aux entreprises criminelles de gestionnaires mafieux.
Ainsi, notre rôle reste, dans un présent écrasé par la probabilité du pire, d’étudier les diverses possibilités qui n’en demeurent pas moins ouvertes. Pris comme n’importe qui à l’intérieur d’une réalité aussi mouvante que violemment destructrice, nous nous gardons d’oublier ce fait d’expérience que l’action de quelques individus, ou de groupes humains très restreints, peut, avec un peu de chance, de rigueur, de volonté, avoir des conséquences incalculables.