Poutine inaugure le concept de « monde multipolaire juste » dans lequel les contrats pétroliers pourraient contourner le dollar et s’échanger en pétrole, en yuans et en or. Le sommet annuel des BRICS de Xiamen – dont le président Xi Jinping était autrefois le maire – ne pourrait pas intervenir dans un contexte géopolitique plus incandescent. Encore une fois, il est essentiel de garder à l’esprit que le noyau actuel des BRICS est « RC », le partenariat stratégique Russie-Chine.
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La triade pétrole/yuans/or fait son entrée
C’est quand le président Poutine a commencé à parler que les BRICS ont exposé leur vraie bombe. Géopolitiquement et géo-économiquement, Poutine a mis en avant un « monde multipolaire juste », et un rejet du protectionnisme et de nouvelles barrières dans le commerce mondial. Le message est clair et net.
Le changement de donne induit par la Syrie – où Pékin a silencieusement, mais fermement soutenu Moscou – doit être évoqué ; « c’était largement grâce aux efforts de la Russie et d’autres pays concernés que les conditions d’une amélioration ont été créées en Syrie. »
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La conception de l’ordre multilatéral de Poutine et Xi est clairement visible dans la Déclaration de Xiamen, qui propose une paix « menée par l’Afghanistan et gagnée par l’Afghanistan » et un processus de réconciliation nationale, impliquant le Format de consultations de Moscou et le « cœur du processus Asie-Istanbul ».
C’est un langage codé qui appelle à une solution afghane asiatique (et non occidentale) arbitrée par l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), une entité menée par la RC, et dont l’Afghanistan est observateur et futur membre à part entière.
Poutine a ensuite enchaîné sur un point fondamental :
« La Russie partage les inquiétudes des BRICS sur l’injustice de l’architecture financière et économique mondiale, qui ne donne pas la place qui leur revient aux économies émergentes. Nous sommes prêts à travailler ensemble avec nos partenaires pour promouvoir des réformes des règles financières internationales et surmonter la domination excessive d’un petit nombre de monnaies de réserve. »
« Surmonter la domination excessive d’un petit nombre de monnaies de réserve » est une façon polie d’énoncer ce dont les BRICS discutent depuis des années ; comment contourner le dollar, ainsi que le pétrodollar.
Pékin est prêt à passer à la vitesse supérieure. Bientôt, la Chine lancera des marchés à terme pétroliers libellés en yuans et convertibles en or. Une véritable affaire « gagnante-gagnante » à la chinoise est inscrite dans la démarche, puisque les yuans seront convertibles en or aussi bien à la bourse de Shanghai qu’à celle de Hong Kong.
La nouvelle triade du pétrole, des yuans et de l’or est de fait gagnante-gagnante-gagnante. Aucun problème si les fournisseurs d’énergie préfèrent être payés en or au lieu de yuans. Le message central est que le dollar sera contourné.
Cela veut dire que la Russie – et l’Iran, l’autre plate-forme clé de l’intégration eurasienne – pourront contourner les sanctions en vendant leur énergie dans leurs monnaies, ou en yuans.
La RC – via la Banque centrale russe et la Banque populaire de Chine – ont développé des échanges roubles-yuans depuis un certain temps déjà.
Une fois que cette démarche dépassera les BRICS pour s’étendre aux membres aspirants des « BRICS Plus », puis à tout l’hémisphère Sud, la réaction de Washington sera assurément nucléaire (au sens figuré, espérons-le).
La doctrine stratégique de Washington décrète que la RC ne doit pas être autorisée à devenir prépondérante sur le territoire eurasien. Et pourtant, ce que les BRICS préparent géo-économiquement ne concerne pas seulement l’Eurasie – mais tout l’hémisphère sud.
Les factions du Parti de la guerre de Washington déterminées à instrumentaliser l’Inde contre la Chine – ou contre la RC – vont avoir un réveil douloureux. Même si les BRICS font face à différents remous économiques, leur feuille de route de long terme, bien au delà de la Déclaration de Xiamen, est déjà fermement en place.