Beaucoup d’encre a coulé quant à la ré-affirmation par la Russie que le Cachemire constitue une affaire bilatérale entre l’Inde et le Cachemire, mais pratiquement personne ne commente le fait que Moscou se montre tout à fait silencieuse quant à la position officielle de la Chine, qui veut que les décisions unilatérales de l’Inde posent un problème à sa souveraineté. La Russie n’a pas non plus réagi à la déclaration incendiaire du ministre de l’intérieur indien, Amit Shah, début août, selon qui des gens « peuvent mourir » du fait des différends de son pays avec la région d’Aksai Chin, administrée par la Chine.
Aucun doute crédible ne subsiste quant au fait que la position russe vis-à-vis du positionnement […] de l’Inde au Cachemire est en faveur de New Delhi : Moscou a réaffirmé par deux fois sa position en la matière, remontant à des décennies : il s’agit pour elle d’une affaire bilatérale. […]
L’approche russe diffère de celle adoptée par la Chine, qui considère quant à elle le problème comme multilatéral, demandant l’intervention du Conseil de sécurité de l’ONU […].
Aucun des deux pays n’a en effet émis de déclaration en la matière, mais c’est le silence de l’un d’entre eux – la Russie – qui est le plus assourdissant, du fait du contexte que cela implique. Il ne faut s’attendre à entendre ni Moscou, ni Pékin émettre des commentaires publics quant à leurs divergences sur le dossier du Cachemire, mais il est étrange de voir la Russie, habituellement connue pour son franc-parler, ne rien trouver à déclarer quant aux menaces antichinoises de l’Inde prononcées et répétées de manière régulières par son ministre des affaires étrangères, en ceci qu’il compare des provocations moins importantes en proportion sur la planète avec celles de ses partenaires institutionnels (BRICS et OCS) dotés de l’arme nucléaire, menaçant la sécurité de l’autre. Ceci ne correspond pas non plus à une interprétation subjective du présent auteur : il s’agit de la position officielle du gouvernement chinois.
Hua Chunying, porte-parole du ministère de l’Intérieur de la Chine, a déclaré que « la Chine est toujours opposée à l’inclusion par l’Inde du territoire chinois localisé à la frontière Ouest sino-indienne sous administration de cette dernière. Cette position, ferme et cohérente, reste inchangée. Récemment, l’Inde a continué son travail de sape envers la souveraineté territoriale de la Chine, en modifiant de manière unilatérale ses lois intérieures. Une telle pratique est inacceptable et n’entrera pas en vigueur. » Il est notable que la Chine a articulé son positionnement gouvernemental après qu’Amit Shah, ministre de l’Intérieur indien, a menacé de manière funeste d’entrer en guerre contre la Chine en rapport avec les prétentions indiennes sur la région d’Aksai Chin, administrée par la Chine, tonnant devant son parlement que « le Cachemire fait partie intégrante de l’Inde, il n’y a aucun doute là-dessus. Quand je parle de Jammu et du Cachemire, les zones du Cachemire occupées par le Pakistan ainsi que la région d’Aksai Chin font partie du Cachemire, et peuvent mourir pour le Cachemire. » Il n’est guère surprenant dans ces conditions que la Chine s’inquiète autant des intentions de l’Inde de saper sa souveraineté territoriale.
Si l’on considère que la Russie n’a aucun scrupule à commenter les affaire bilatérales importantes entre les USA et l’Iran, tel le projet du Pentagone d’établir une coalition navale dans le Golfe, on peut être surpris de la voir rester totalement silencieuse quant à la situation sus-mentionnée entre l’Inde et la Chine, et ce d’autant plus que l’on pourrait croire que la Russie pourrait essayer de jouer l’« équilibre » entre les deux pays, et jouer le rôle de faiseur de paix en mitigeant leurs tensions. La réalité, cependant, est que cette affaire est trop sensible pour que la Russie l’adresse publiquement : elle reconnaît qu’il est impossible d’adopter un positionnement « neutre » au vu des enjeux territoriaux importantes qui sont en jeu, et ne dispose en outre d’aucun levier à manier dans les coulisses pour amener l’un de ses deux partenaires à « modérer » ses positions et à « accepter un compromis ». La diplomatie russe pratique ainsi le « standard sélectif », se bornant à commenter les sujets « politiquement utiles », tels ceux qui concernent les États-Unis et l’Iran, dès lors qu’elle s’attend à en tirer quelque bénéfice de soft power en retour ; mais elle évite comme la peste les autres sujets, comme celui des tensions récentes entre l’Inde et la Chine, sachant qu’un seul mot de travers pourrait suffire à compromettre des relations de longue date.