L’on connaîtra bientôt les recommandations du nouveau Livre blanc sur la Défense et la Sécurité nationale (LBDSN) sur la base desquelles sera élaborée la prochaine Loi de Programmation Militaire (LPM). Comme l’a souligné récemment le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, il faudra à la fois concilier deux “contraintes de souveraineté”, c’est-à-dire permettre à la France de tenir son rang sur la scène internationale tout en poursuivant les efforts concernant son désendettement.
Or, la situation économique n’est pas engageante. Les objectifs de réduction des déficits publics à 3% du PIB ne seront pas tenus en 2013 mais devront absolument l’être l’année suivante pour éviter les sanctions de la Commission de Bruxelles. La croissance est anémique et le taux de chômage grimpe inexorablement.
Aussi, il est beaucoup question en ce moment de deux scénarios, appelés Y et Z. Le premier permettrait de conserver la majeure partie des capacités des forces françaises, mais avec un format réduit. Le montant du budget de la Défense serait alors de l’ordre de 28 milliards d’euros, soit 3 milliards de moins qu’actuellement. Il ne faut se méprendre : ce serait un nouvel effort important qui serait demandé aux militaires.
Le second est apocalyptique et l’on pourrait même penser qu’il existe uniquement pour mieux faire avaler la pilule du scénario Y. Il consisterait à porter le budget de la Défense à 20 milliards d’euros, soit à 1,1% du PIB à l’horizon 2025. Et encore faudrait-il que la France ne soit pas en récession économique… Et c’est ce projet qui aurait, dit-on, les faveurs du ministère de l’Économie et des Finances.
“Certains fonctionnaires de Bercy ont une obsession : sabrer la défense française et l’industrie qui va avec. En oubliant que la défense est aussi un investissement qui rapporte, en technologies, en exportations, en emplois, en influence internationale”, confiait récemment un député membre de la commission de la Défense.
D’après Le Point, le porte-avions Charles de Gaulle pourrait être, au mieux, mis sous cocon, voire, au pire, vendu à l’Inde ou au Brésil, l’A400M serait menacé (ce qui ne sera pas sans poser de problèmes avec les autres clients de cet appareil), l’armée de Terre se verrait perdre 30 régiments et devrait faire une croix sur son programme Scorpion. Un coup d’arrêt serait porté au Rafale, aux frégates multimissions ainsi qu’aux sous-marins nucléaires d’attaque Barracuda. Quant aux avions ravitailleurs A330 MRTT, ils passeraient par pertes et profits. Et l’industriel Nexter, qui rapporte pourtant des devises à la France, serait même susceptible de disparaître. Avec un tel scénario, autant avoir des Gardes Suisses avec la bombe nucléaire !
Disons-le clairement, ce projet est de nature à porter une grave atteinte aux intérêts supérieurs de la Nation. Sa mise en application provoquerait le déclassement stratégique de la France, sabrerait son industrie de défense, qui pèse au moins 5 milliards d’euros chaque année dans sa balance commerciale, la rendrait incapable de défendre ses intérêts ainsi que ses ressortissants. Ainsi, s’il devait entrer en vigueur, l’on pourrait se dire que les jihadistes du Nord-Mali auraient mieux fait d’attendre avant de lancer leur offensive sur Bamako…
L’existence de ce scénario a poussé les sénateurs à monter au créneau pour maintenir l’effort de défense du pays à 1,5% du PIB avant que ne soient rendus les arbitrages du président de la République. Pour eux, c’est la limite à ne pas franchir en période de vaches maigres. Et quand la situation le permettra, ils préconisent un budget représentant 2% du PIB (hors pensions et hors gendarmerie, bien évidemment). D’où leur coup de semonce lancé le 13 mars, à l’initiative de Jean-Louis Carrère (PS), le président de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées du Palais du Luxembourg.
Sénateurs et députés sont sur la même longueur d’onde, d’après M. Carrère. Aussi, une LPM qui intégrerait ce scénario, voire tout autre qui baisserait le budget de la défense en deçà des 1,5% du PIB, aurait beaucoup de mal à être adoptée par le Parlement et acceptée par le ministre de la Défense, lequel veut que la capacité d’intervention des armées soit “préservée”.
Les industriels de l’armement ont aussi pris les devants en adressant une lettre à l’Élysée. D’après le quotidien Les Échos, qui a pu y avoir accès, ces derniers avancent qu’ils “ne sauraient résister à certains des scénarios budgétaires actuellement à l’étude, notamment pour la préparation de la prochaine loi de programmation militaire.”
Il “est essentiel que les enjeux industriels et socio-économiques soient pris en compte avec autant de rigueur que les enjeux de budgets”, font-ils valoir. Et d’expliquer que “les industries de défense sont des leviers de croissance et d’emplois hautement qualifiés et peu délocalisables. Partenaire des collectivités locales, elles entraînent avec elles un réseau de PME-PMI dont elles protègent les intérêts dans des logiques de filières. Elles sont des locomotives technologiques pour l’ensemble de l’industrie française.”
Avec une dépense publique qui représente plus de 55% du PIB, il y a certainement d’autres options possibles que de taper dans un budget dont la part de ce montant est de seulement 1,56%. D’autres solutions existent, comme celles avancées par l’Institut français pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (IFRAP), selon qui il est possible de trouver 60 milliards d’économies (20 porte-avions Charles de Gaulle !) en réorganisant les services publics, les collectivités territoriales et l’administration.
La déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 indique, dans son article 13 : “Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés.” Il serait utile de s’en rappeler.