Comment détruire sa propre légende quand on a été le symbole de la contestation des années 60 aux États-Unis ? C’est simple : il suffit de revenir au mauvais moment avec une mauvaise chanson et des paroles aussi niaises qu’un épisode de Oui-Oui.
« C’est l’histoire d’un méchant homme
Vilain des pieds à la tête »
Au moins Bob Dylan, l’alter ego de Joan Baez dans le song writing de gauche anti-impérialiste, se fait-il discret, sauf lorsqu’il pompe son discours pour la réception de son prix Nobel de Littérature en 2016, une récompense qui a soulevé une tempête chez les « vrais » écrivains. Mais on fait tous des erreurs de parcours. Même Jésus a dû parfois se louper dans un discours, ou s’énerver un peu sur un cadre, c’est-à-dire un apôtre, qui n’avait pas bien pigé la ligne.
C’est donc à l’occasion du bashing anti-Trump permanent dans les médias et le showbiz américains que la chanteuse folk s’est illustrée avec une balade qui commence par ces mots, traduits par nos soins :
« Voici une petite chanson
L’histoire d’un mec qui a tourne mal
En bâtissant son empire du Mal... »
On a surtout mal pour elle, et même nos lecteurs ou petits curieux de gauche qui passent sur notre site ressentiront quelque chose entre le malaise et la honte. Ce n’est pas la vieillesse (Victor Hugo sabrait ses bonniches jusqu’à 80 ans et plus) mais bien le gauchisme primaire qui est un naufrage.
Pour Joan, « l’homme de l’année est un menteur ». C’est vrai que sous certains aspects, au premier regard ou à la première écoute, Trump peut passer pour un bouffon ou un fada. Cependant, on ne survit pas dans l’impitoyable monde des affaires américain en étant un crétin. Il y a là une contradiction que Joan ne relève pas. Mais nous ne sommes pas dans la rationalité, nous sommes dans l’émotion. C’est plus simple ! Pas besoin d’être dans le vrai !
Joan enchaîne avec une strophe sur un champ de rose qui se pince le nez au passage de ce gros plouc, pour en faire une espèce de repoussoir des hommes, des animaux et des plantes. Le mélange de l’écologie et du féminisme peut être dangereux pour la santé mentale.
Parfois, par respect pour la grande chanteuse qu’elle fut et pour son opposition courageuse à la guerre du Viêt Nam, on se dit qu’elle va éclater de rire et nous expliquer que Trump est certes comique, mais c’est pas un mauvais bougre, et le peuple américain l’a élu, contre justement les dérives oligarchiques de Wall Street, du lobby militaro-industriel et de la toute-puissance des médias libéraux, toute cette bande de pilleurs organisée profitant de la crise généralisée des valeurs, de l’économie et du social, mais non. Joan est très sérieuse.
On ne va pas tout traduire, car l’actu sérieuse nous appelle, mais la chanteuse dénonce en vrac le « futur dictateur » et lui conseille d’aller « consulter un psychiatre », l’argument des sans-argument :
« Tu devrais parler à un psy
Car tu as de sacrés troubles psychologiques »
Si la contestation gauchiste des années 60 visait bien – un peu sans le savoir – le pouvoir profond qui décidait de la guerre et de la pensée unique (consommez et fermez vos gueules !), ainsi que du racisme antinoir, la contestation gauchiste actuelle est alignée sur les intérêts de cette même oligarchie, qui n’a pas changé mais qui a amélioré son logiciel. Et ça change tout : les esprits faibles ou limités qui croient faire partie de l’opposition sont en fait des agents inconscients du Système. Joan Baez en est la preuve à la fois éclatante et tragique.