Après le « food porn », place au « poverty porn » ? Littéralement « porno de la pauvreté », l’expression volontairement provocatrice entend dénoncer la manière dont certaines célébrités se mettent en scène lors de missions humanitaires. Les réseaux sociaux abondent aujourd’hui de photos de personnalités publiques aux côtés d’enfants africains ou de communautés minées par la famine, accompagnées de légendes inspirantes. Une « com’ de la misère » pour certains, qui, malgré ses bonnes intentions et son efficacité, soulève toutefois quelques interrogations éthiques.
À cet égard, la récente campagne caritative de l’ONG Comic Relief, menée par le chanteur Ed Sheeran, a fait grincer des dents. Dans une vidéo publiée par l’association humanitaire, le musicien britannique part à la rencontre de jeunes Libériens sans abris et livrés à eux-mêmes. Choqué de constater qu’ils dorment chaque soir à même le sol, l’artiste propose de leur payer une chambre d’hôtel ou de leur « louer une maison, peu importe le prix », jusqu’à ce qu’une solution plus pérenne soit envisagée. Un geste altruiste qu’on ne peut pas vraiment lui reprocher. Mais qui s’inscrit dans une narration qui dérange d’autres activistes humanitaires.
L’acteur Tom Hardy joue au sauveur (clip en anglais non chanté) :
Une théâtralisation de la pauvreté ?
Musique larmoyante en fond, discours empathique à grands coups d’hyperboles et gros plans sur les corps décharnés des enfants, le court-métrage peut sonner un peu faux. Au point d’avoir été nommé dans la catégorie « Campagnes de solidarité les plus offensantes de 2017 » par le jury des Radi-Aid Awards, qui récompense chaque année les meilleurs et les pires clips de levées de fonds.
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Et Ed Sheeran, n’est pas le seul à être mis en cause. L’acteur Tom Hardy se serait lui aussi prêté au jeu du « tourisme de la pauvreté », estime SAIH, qui pointe la campagne du Disasters Emergencies Committee (DEC), où il apparaît auprès de jeunes Yéménites malades et mourant de faim. Des images volontairement choquantes, interprétées par les activistes norvégiens comme une séquence d’exploitation de la pauvreté « dénuée de toute dignité ».
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Dans un article intitulé « Volontarisme : en quoi le complexe du sauveur blanc pose problème », l’entrepreneur ougandais Teddy Ruge dénonce l’« infantilisation d’un continent de 54 pays et d’un milliard d’habitants », et le discours qui présente l’Afrique comme totalement désespérée et incapable de s’en sortir par elle-même. « Il relèverait alors de la responsabilité [...] d’un sauveur blanc » d’intervenir. Une idée que Teddy Ruge réfute avec insistance :
« Il est important que les Africains qui jouissent d’une certaine visibilité luttent contre cette narrative et expriment leur dégoût à son égard. Oui, nous sommes un jeune continent mais nous ne sommes pas un continent stupide. La moitié des Africains ont moins de 15 ans – c’est-à-dire 500 million d’enfants – et je ne veux pas qu’ils grandissent en pensant que leurs problèmes peuvent uniquement être réglés par un intervenant étranger, un bénévole blanc externe. »