Si le Kremlin parvient à faire chuter la tension dans la guerre civile en Ukraine, Moscou pourrait non seulement obtenir les Mistral, mais aussi renouer le dialogue avec l’UE, et Paris pourrait jouer le rôle de principal intermédiaire dans ce processus.
Ambitieuse Frau Kanzler
Toutefois, François Hollande se heurte à un sérieux obstacle sur la voie de la normalisation des rapports entre Moscou et Bruxelles : la position agressive d’Angela Merkel. La chancelière voit dans cette crise une chance historique pour son pays.
Le Kremlin attendait de Merkel une toute autre attitude dans la question ukrainienne ; Moscou comptait que l’Allemagne prenne la tête d’un bloc d’États d’Europe occidentale qui adopteraient une position pragmatique dans les rapports avec la Russie et s’opposeraient à la ligne de Washington. Le Kremlin espérait en outre que Berlin choisirait d’affaiblir ses liens avec Washington pour devenir un centre de force indépendant. Une partie significative de la jeunesse allemande (40 %) semblait d’ailleurs soutenir cette idée. Mais Angela Merkel en a décidé autrement.
Cette transformation s’explique par un certain nombre de raisons. Premièrement, par ses agissements en Crimée et en Ukraine, Vladimir Poutine a fait évoluer le rôle de la Russie dans les rapports entre les deux pays ou, plus précisément, la vision que l’Allemagne avait de ce rôle.
« Le partenariat stratégique russo-allemand de ces dernières années a toujours été basé sur la supposition, par Berlin, que la Russie finirait par s’inscrire dans le système des relations extérieures de l’UE comme faisant partie de sa périphérie. On se disait que la Russie allait partager la vision selon laquelle l’Europe n’a qu’un centre – l’UE – , et qu’un centre à l’intérieur de l’UE – Berlin. Mais aujourd’hui, ces illusions se sont définitivement effondrées, explique le directeur adjoint des Recherches européennes et internationales de l’École des hautes études en sciences économiques de Moscou, Dmitri Souslov. En outre, l’Allemagne s’est impliquée dans l’intégration des pays de la CEI à l’orbite de l’UE : elle a été la locomotive de ce processus et l’a indissociablement lié avec sa propre position de leader au sein de l’Union. De fait, dans cette question, la Russie est définitivement devenue, pour Berlin, un adversaire. »
Parallèlement, l’élite allemande est en train de repenser sa place en Europe.
« Angela Merkel est animée par la vision d’une autre Allemagne : celle d’un pays qui veut jouer un rôle dominant en Europe et non seulement y être un banquier universel, suppose le politologue russe Fedor Loukianov. L’époque où l’Allemagne se tenait dans l’ombre, fuyait tout rôle politique et s’efforçait de se montrer agréable sous tous rapports s’achève. La France se noie dans ses problèmes intérieurs, et la Grande-Bretagne largue les amarres du Vieux Monde pour une destination inconnue. »
Et cette domination en Europe, Berlin veut l’obtenir en jouant la carte russe.
« L’Allemagne en est arrivée à la conclusion qu’il n’existe qu’un seul moyen, aujourd’hui, de parvenir à un leadership non seulement économique mais aussi politique dans l’UE : y diriger le camp antirusse. »