En 1995, le gendarme Jambert prend sa retraite, il a 55 ans. L’année suivante, l’émission « Perdu de vue » s’intéresse à l’affaire des disparues de l’Yonne. Ce jour-là, une nouvelle victime d’Émile Louis est identifiée : Christine Marlot. Pour l’émission, Christian Jambert est interviewé par un journaliste et son travail est enfin rendu public. L’affaire des disparues de l’Yonne est relancée. Maître Gonzalez de Gaspard, avocat des victimes à l’époque, dépose une requête officielle pour que Christian Jambert soit entendu en qualité de témoin. Mais le gendarme à la retraite n’arrivera pas dans le bureau du juge.
Quelques semaines plus tard, Christian Jambert est retrouvé mort dans son garage. Il se serait tiré une balle dans la tête. (France 3 Bourgogne)
« Je ne dirai rien à ce sujet, au revoir. » Ce bref échange téléphonique entre le journaliste enquêteur et le premier gendarme sur place, le 4 août 1997, dans le garage du gendarme Jambert, allongé par terre, sa carabine posée sur les tibias, quatre douilles sur le côté, résume toute l’affaire, qui est une affaire dans l’affaire.
Car Jambert, depuis les premières disparitions de jeunes filles, la plupart handicapées légères, avait déterminé que le conducteur de car, un certain Émile Louis, n’était pas tout blanc. Enquêteur chevronné, très bien noté par sa hiérarchie, le gendarme devient soudain un pestiféré en 1992, quand les disparitions se succèdent et que son enquête confirme la culpabilité de Louis. Mais la hiérarchie ne veut rien savoir, et le juge en charge du dossier des disparitions, Jacques Bourguignon, restera longtemps, très longtemps – le temps que sept jeunes filles disparaissent –, accroché à sa thèse des « fugues ». Le procureur Meyer ne bougera pas.
Une épidémie de fugues dans l’Yonne, avec le passé d’Émile Louis, et les soirées SM d’un couple de notables locaux, qui consommaient de la jeune fille pour les vendre à la torture et au viol ? Impensable. Émile Louis était à la fois le « commenceur » – enlèvement et viol –, et le finisseur – assassinat et enterrement près de son lieu de pêche. Nordhal Lelandais est-il aussi un commenceur-finisseur ?
1997, c’est aussi l’année où l’affaire Dutroux explose, révélant à toute l’Europe l’étendue et la puissance des réseaux pédophiles. Les parents comprennent que leurs enfants peuvent être enlevés, violés, vendus, torturés et abandonnés sans que la justice et la police n’interviennent, sinon fassent semblant d’intervenir. C’est un choc immense. Le grand public prend conscience de la pédocriminalité oligarchique, puisque dans le cas français et le cas belge, à chaque fois, la police patine et la justice bloque. Les enquêtes connaissent toutes un plafond de verre, pour reprendre l’expression préférée des féministes.
Cette enquête sur l’enquête (on appelle ça une contre-enquête) diffusée fin 2021 dessine en creux un réseau de pouvoir criminel occulte, couvert par le couple police-justice, qui a tout fait pour étouffer la vérité, même au prix de la rationalité : un gendarme qui travaille depuis des années sur des enlèvements finit, une fois à la retraite, avec deux balles dans la tête... Rien ne tient dans les conclusions de l’enquête officielle, et l’innocent mea culpa du juge Bourguignon fait piètre figure face à la douleur des familles.
Cette affaire est une honte française à tous les niveaux. Seuls le journal Minute, à l’époque, ainsi que l’hebdo Détective, ont senti l’énormité de l’anguille sous roche. Oui mais voilà, Minute étant un journal d’extrême droite, sa version des faits ne pouvait être qu’antiparlementaire ou anti-franc-maçonne, on dirait complotiste aujourd’hui. Quant à Détective, c’est un torchon juste bon pour le populo, pas pour les intellos !
Pédoligarchie
Toutes les enquêtes sur les grandes affaires de crimes en série en France ont été des fiascos inimaginables. Et on peut imaginer que ça continue, puisque des pédophiles de haut vol, connus comme le loup blanc, sont toujours en poste. On dirait même que la pédoligarchie est une spécialité nationale. C’est probablement dû au fait que, chez nous, les pouvoirs ne sont pas séparés : à part les bisbilles entre une police de droite et une justice de gauche, tout le monde est d’accord pour ne pas toucher aux ordures haut placées.
Il y a donc collusion entre le politique, le juridique et le policier. Quant aux médias mainstream, n’en parlons pas : ils arrivent toujours après la bataille. C’est donc la grande coalition politique-justice-police-médias qui tue, plus sûrement que quelques salopards. En France, il n’y a qu’un pouvoir, et il ne défend pas les innocents. Il les exploite.