En 1967, Jean-Pierre Chevènement pointait dans un essai offensif les membres de « l’énarchie » comme des « mandarins de la société bourgeoise ». Un-demis siècle plus tard, sans aller jusque-là, l’École nationale d’administration – la fameuse ENA - se préoccupe enfin de la question du conformisme de ses étudiants. Ses craintes transpirent du rapport publié par l’école faisant le bilan de son concours d’entrée 2017.
Coordonné par la préfète Michèle Kirry, le jury y dresse sans langue de bois un bilan des épreuves écrites et orales sur lesquelles ont planché les 1.368 candidats aux différents concours d’entrée à l’ENA. Et le bilan n’est pas rose, malgré le haut degré d’exigence requis pour intégrer l’institution qui donne accès aux postes les plus prestigieux de la haute fonction publique.
Uniformité et références hors-sol
Concernant l’épreuve de droit, le jury pointe ainsi « une certaine unicité de vues entre les candidats », et même une « frilosité » qui empêcherait les aspirants énarques de « proposer une réflexion, une vision personnelle du sujet ». Les correcteurs relèvent l’uniformité des candidats, qui préparent quasiment tous les concours dans les mêmes établissements, utilisent les mêmes références… et régurgitent donc les mêmes connaissances lors des épreuves.
En clair : des clones ânonnant une pensée unique.
« D’une manière générale et très regrettable, les candidats ont fortement tendance à construire leur devoir à partir de fiches toutes préparées par thèmes », regrette le jury, qui se désespère de « traquer l’originalité comme une denrée rare », alors que les candidats ambitionnent de devenir l’élite administrative de la nation.
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Lors de l’épreuve de questions européennes, pas moins de cinq individus ont ainsi utilisé l’interrogation de Henry Kissinger : « L’Europe, quel numéro de téléphone ? ». Sauf que plusieurs se sont montrés « ensuite incapables d’expliquer et de justifier leur affirmation » !
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Lors de l’oral consacré à des questions d’actualité, « la fermeture des voies sur berge a quasi systématiquement donné lieu à une réponse d’adhésion totale, sans prise en compte des inconvénients possibles », regrettent encore les examinateurs. Pas de quoi modifier l’image d’une technocratie hors-sol…