Inflation délirante des salaires, bulles de dettes, déficits abyssaux, inégalités crasses entre les clubs normaux et ceux qui sont soutenus par de riches mécènes : et si le football européen était le meilleur symbole des dérives du néolibéralisme ?
La grande bulle footballistique
Les chiffres donnent le tourni. Zlatan Ibrahimovic devrait toucher la bagatelle de 9 millions d’euros net par an, soit l’équivalent d’environ 700 SMIC. En 7 mois, il touchera l’équivalent d’une vie de travail au SMIC, illustrant bien l’envolée des inégalités évoquée par Joseph Stiglitz dans son dernier livre. Néanmoins, il faut souligner que cela rapporte beaucoup à l’Etat puisque le coût complet du joueur du PSG approche les 20 millions, soit 11 millions de cotisations et impôt sur le revenu.
Mais ce cas emblématique illustre deux zones d’ombre importantes de la planète football. Aujourd’hui, du fait de riches mécènes, certains clubs peuvent totalement se passer des règles de bonne gestion. Les Echos, dans un très bon dossier, évoquait le cas du club de Manchester City, détenu par un membre de la famille royale d’Abu Dhabi, qui a investi plus de 300 millions d’euros en transfert et qui affichait un déficit abyssal de 232 millions d’euros sur la saison 2010-2011.
Plus globalement, les clubs européens vivent au-dessus de leur moyen puisqu’en 2010, ils ont perdu la bagatelle de 1,64 milliards d’euros (pour des revenus de 12,79 milliards) et présentent une dette brute de 15 milliards (6,9 milliards de dettes nettes estimées). Les clubs espagnols sont parmi les plus mauvais élèves puisqu’ils cumulent un tiers de la dette brute totale. L’Etat a même passé un protocole d’accord qui lui permettra de saisir une partie des droits de télévision pour récupérer l’argent qui lui est dû. Le roi avait été contraint d’effacer une partie des dettes du Real il y a 10 ans !
Irrationnel et exubérant
Il est difficile de ne pas appliquer les adjectifs jadis attribués par Alan Greenspan aux marchés financiers au football européen. En effet, le château de carte ne tient que parce que les revenus continuent à progresser et que la valeur des joueurs se maintient. Mais imaginons que la nouvelle récession que traverse l’Europe provoque une baisse des revenus des clubs de football. Alors, ce serait un véritable désastre économique pouvant aboutir à l’effondrement des clubs.
En effet, les salaires sont souvent négociés sur une longue durée. Pire, en cas de difficulté économique, la valeur des joueurs s’effondrera, provoquant de nombreuses reventes, qui feront baisser les prix du marché, et donc exploser la dette nette des clubs (puisque la valeur des actifs baissera fortement). Bref, le football européen n’est pas loin d’un krach, qui renforcerait encore les clubs détenus par de très riches mécènes, qui auront toujours les poches assez pleines pour les sauver.
C’est pourquoi les dernières initiatives de l’UEFA sur le fairplay financier, promues par Michel Platini, sont les bienvenues. Elles devraient imposer aux clubs de ne pas dépenser plus qu’ils ne gagnent. On pourrait également se demander s’il ne faut pas aller plus loin. Il est intéressant de constater que les Etats-Unis ont mis en place des systèmes visant à rebattre les cartes, avec le système de draft en basket ball, qui permet aux plus petits clubs de choisir les meilleurs jeunes.
Parce que le football est le sport préféré des européens, il convient d’en moraliser les pratiques financières. Quel exemple donnons-nous à notre société quand l’arbitraire et l’indécence l’emportent sur tout le reste et que des clubs peuvent vivre en dehors de toute réalité économique ?