Causeur a diffusé le 18 mars 2022 une longue interview du député LR Olivier Marleix, connu pour avoir présidé la commission d’enquête parlementaire sur l’affaire Alstom-Macron-Rothschild (voir Faits & Documents pour la totale). L’amalgame est de nous. Marleix a utilisé l’expression « pacte de corruption », qu’il assume. Hormis son soutien corporate à une candidate LR totalement cramée, soutien qui ne sert donc à rien et qui n’a aucun avenir, Marleix parle avec justesse des événements politiques en cours, qui ne se résument pas à l’élection des 10 et 24 avril, élection selon lui déjà pourrie. Le député utilise un mot plus savant : « les Français sont en train de se faire extorquer l’élection présidentielle ». Là, il a un peu découvert la Lune. Mais il va plus loin, et l’on voit qu’entre le champ politique mainstream et la dissidence avancée, il y a des opinions évolutives, qui sont en train de glisser d’un champ à l’autre...
Voici notre sélection. Naturellement, les lecteurs non pressés peuvent aller lire l’article entier sur le site de Causeur.
Les problèmes ne vont pas tarder : il y a une inflation dont on sait maintenant qu’elle n’est pas passagère, les taux d’intérêt vont remonter – la FED vient de relever son taux directeur – au-delà des conséquences pour le pouvoir d’achat des Français on va avoir un énorme risque sur notre dette souveraine. Macron risque donc d’être obligé de faire le contraire de ce qu’il a fait ces six derniers mois, c’est-à-dire qu’il devra fermer tous les robinets.
Traduction, en française de base : inflation à deux chiffres et diminution des aides sociales.
Si Macron est réélu dans ces circonstances, je ne vois pas comment on échappera à une crise politique majeure. À force d’escamoter le débat démocratique sur une élection aussi importante, alors qu’il y a une telle tension, une telle attente, il y aura forcément un moment où la réalité le rattrapera. Cette organisation du débat politique, fondée sur le clivage entre le « camp du progrès » représentant le bien versus le camp populiste représentant le mal, est affreusement malsaine… On ne peut pas construire le gouvernement d’un pays là-dessus.
Marleix évoque alors Marine et Zemmour qui se disputent les votes de droite et d’extrême droite.
Il plaît assez, notamment aux mâles blancs de plus de cinquante ans (j’en parle avec respect puisque j’en suis !) qui trouvent cela très bien et qui considèrent que lui au moins dit les choses. Il n’y a pas tant de jeunes que ça, par contre on voit un affaiblissement de Marine Le Pen. C’est assez étonnant parce que je trouve que Zemmour a réussi à la rendre sympathique. Je pense vraiment que les électorats de droite sont très partagés, un électorat n’a jamais été aussi fluctuent entre la droite et « l’extrême-droite ». Finalement, le vote Marine Le Pen est un vote antisystème, plus qu’un vote extrême-droite.
Et sur le futur, immédiat et plus lointain de la droite, alors qu’elle est majoritaire dans le pays :
Je pense que la droite perdra si elle se réduit à une attitude populiste, comme elle se condamnerait en étant sur une ligne « mondialisation heureuse ». Si on ne cherche pas à dépasser l’affrontement populiste/progressiste voulu par Macron, on perdra.
Oui mais cet affrontement, cette ligne de partage, est légitime, et bien réelle ! Certes, il reste le clivage droite/gauche, mais on peut mathématiquement superposer les deux clivages. Il y a donc des droitistes anti-Système (ou anti-mondialisation) et des gauchistes pro-Système ! Marleix passe alors au mea culpa de la droite :
Cela ne veut pas dire que nous, les Républicains, n’ayons pas eu nos torts. Je regrette par exemple que depuis cinq ans, nous n’ayons pas su nous tourner davantage vers les mouvements exprimant cette colère populaire. Je n’ai jamais eu honte d’avoir manifesté avec les gilets jaunes dans les premiers week-ends. J’avais publié, quelques jours avant, les courbes de l’augmentation du prix de l’énergie. On allait prélever 15 milliards de plus sur le quinquennat – c’est la moitié du produit de l’impôt sur les sociétés ! – sur la France périphérique qui avait besoin de sa voiture au gasoil pour aller travailler. C’était scandaleux ! (...)
Depuis 2017, les partis antisystèmes font près de 50 % des voix. Il y a un énorme problème de confiance dans ce que proposent les partis de gouvernement justement. Essayons au moins de ne pas être aveugles ! Si par malheur, nous perdons l’élection présidentielle, c’est parce que nous n’aurons pas su nous adresser à ces deux morceaux de la France et à sortir de ce clivage artificiel entre progressistes et populistes. Et je pense que Zemmour ne peut pas être la solution. Chez lui, le décalage entre le verbe et la possibilité de faire est au summum. Il séduit parce qu’il parle bien, parce qu’il sait utiliser l’histoire ; cela fait du bien de temps en temps d’entendre quelqu’un qui essaie de remettre les choses en perspective dans un débat public qui est d’ordinaire trop instantané. Mais par moments il tord l’histoire, notamment quand il dit que de Gaulle et Pétain sont les deux faces d’une même pièce… Pour les gaullistes c’est insupportable !
Marleix critique le positionnement de Zemmour, accusé de n’être que dans le verbe :
Sur le plan économique, il s’est beaucoup inspiré de propositions que j’ai mises sur la tables, il a repris mot pour mot une formule (« plus de liberté à l’intérieur, plus de protection vis-à-vis de l’extérieur ») pour laquelle j’aurais des droits d’auteur à réclamer ! Mais quand il dit qu’il va augmenter le pouvoir d’achat en réduisant les impôts locaux, qu’il nous dise lesquels, et qu’il écrive à tous les maires de France pour leur expliquer… Marine Le Pen a fait preuve de plus d’honnêteté en renonçant à la sortie l’euro, de l’UE, à la suppression de la double nationalité. Le RN va bientôt fusionner avec Horizons, le parti politique d’Édouard Philippe ! Zemmour, lui, reprend le discours comme si la magie du verbe allait permettre de régler tous les maux. Là encore, si Zemmour était élu, quelle désillusion pour ceux qui auraient voté pour lui !
Marleix tente justement de coincer le candidat de Reconquête ! sur la Russie :
Le regard de Zemmour sur la Russie est un très bon exemple du décalage entre le fait d’être un commentateur, de s’enivrer parfois de sa propre parole, et la réalité des faits. Zemmour s’est piégé là-dedans, avec ce que cela a de désagréable. Je suis consterné par le parallèle entre cette fascination qu’il y avait, chez ceux qui sont le plus à droite de la droite, pour Poutine et la fascination des ligues dans l’entre-deux-guerres quand le chancelier Hitler a été élu démocratiquement. À l’époque, le discours des ligues consistait à dire : le chancelier Hitler est le seul qui peut sauver l’Occident. À l’époque, on ne stigmatisait pas les Arabes mais les Juifs. Poutine défenseur de l’Occident et de la chrétienté, c’est aussi quelque chose que l’on a beaucoup entendu. Dans ses commentaires depuis des années, on sentait que Zemmour participait à cette rhétorique : « défendre l’Occident », « il faut lutter contre le grand remplacement », « je rêve d’un Poutine pour la France ».
Un passage dérangeant sur l’Allemagne qui a planté la France :
Bien sûr ! En France, on commence seulement à réaliser dans l’opinion publique à quel point les Allemands nous ont « plantés » en matière de dépendance énergétique. Avec l’abandon du nucléaire ils nous ont rendus dépendants du gaz russe. Leur spectaculaire décision de réarmement unilatérale est assez étonnante et n’est pas une anecdote au regard de l’Histoire. Cela faisait partie des discussions de l’après-guerre, on considérait que les relations de l’Allemagne avec son armée devaient être sujettes à précaution. Or, l’Allemagne a décidé unilatéralement qu’elle allait assumer le fait de devenir la première puissance militaire d’Europe, sans rien demander à la France. Macron s’est fait totalement doubler dans cette affaire. Macron sait pertinemment que notre dette nous met dans une situation de dépendance et de fragilité énormes. Il est suffisamment intelligent pour savoir ce qui nous pend au nez. Il est conscient que l’Allemagne acceptera peut-être désormais que les dépenses militaires sortent des critères de convergence des 3 %. Une compensation peu glorieuse pour nous !
Et on en arrive au point névralgique, le pacte de corruption, le gros morceau, qui fait passer la Macronie pour une mafia .
J’ai passé six mois comme président de la commission d’enquête à examiner les conditions dans lesquelles ont été autorisées et décidées les ventes de très grandes entreprises françaises à caractère véritablement stratégique. Alstom représentait notre totale autonomie dans le nucléaire, car la partie non-conventionnelle était faite par Areva et la partie conventionnelle (les turbines pour transformer l’énergie de la vapeur en électricité) était faite grâce à Alstom qui concevait aussi les turbines pour nos sous-marins et porte-avions. Alstom était donc une entreprise hautement stratégique. Formellement, c’est Macron qui a autorisé la vente fin 2014. L’État n’était plus actionnaire, mais il avait à donner son autorisation au titre des investissements étrangers en France.
Or j’ai découvert qu’une commande avait été passée dans le dos du ministre de l’Économie dès octobre 2012 sur le thème « Que se passe-t-il si l’actionnaire de référence d’Alstom Power décide de vendre ses participations ? ». Commande passée par quelqu’un qui était visiblement dans le secret de l’entreprise et de sa banque d’affaires. Une commission d’enquête n’a pas le droit d’interroger le président de la République, mais tous les autres acteurs qui auraient pu commanditer cette étude et que j’ai interrogés m’ont dit que ce n’était pas eux. Pour moi, par élimination, c’est Macron, Secrétaire général adjoint de l’Élysée, qui a eu cette information en 2012 et qui a décidé de laisser faire.
M. Macron a aussi autorisé la vente d’Alcatel, qui était notre géant dans le domaine des équipements de télécommunications. 80 % du trafic internet mondial passe par les câbles d’Alcatel Submarine Networks ! Il y a eu aussi le cimentier Lafarge ou Technip. Tout cela a été l’occasion d’un ruissellement sur le tout Paris. Rien qu’avec Alstom, c’est sans doute 500 millions d’honoraires versés à différents cabinets de conseil, donc vous imaginez le ruissellement sur ces quatre ventes. Alstom, c’est 12,3 milliards ; Alcatel, 15 milliards ; Technip, 8 ou 9 milliards ; et Lafarge, 19 milliards… cela a de quoi susciter l’enthousiasme à l’égard du Mozart de la finance.
Le hasard fait que quand on compare la liste des gens qui ont eu un intérêt à la vente d’Alstom, qui ont touché des success fees, à la liste des donateurs ou des organisateurs de dîners de levées de fonds, dans les MacronLeaks, on se rend compte que ça matche dans un certain nombre de cas. La question que j’ai posée au procureur de la République, c’est de regarder si ces ventes n’avaient pas été l’occasion d’organiser un système pour rendre service à certaines personnes et obtenir d’eux, en échange, un renvoi d’ascenseur. Je rappelle que le financement de la campagne de Macron a reposé essentiellement sur les dons de quelques centaines de grands donateurs.
Le député LR termine sur la fausse alternance qui gouverne la France depuis des lustres, et qui s’accroche au pouvoir par tous les moyens. Mais il ne va pas jusqu’à incriminer le pouvoir profond, qui organise justement l’alternance, c’est-à-dire la fracture politique française.
Quand j’ai entendu, au lendemain des régionales de 2015, alors que le FN était arrivé en tête avec 27 % des voix, Jean-Pierre Raffarin dire : « Finalement, si on regarde bien, entre Valls, Macron et nous il n’y a pas tellement de différences, nous pourrions gouverner ensemble », cela m’a profondément blessé ! Quel spectacle pitoyable offre cette classe politique qui considère qu’elle a vocation à rester au pouvoir en toutes circonstances, qu’importe ce que pensent les électeurs, et qui organise en fait les conditions de sa survie… On est là pour écouter, pour comprendre, pour remettre de l’intelligence dans le débat politique, pas pour survivre par des « apparentements électoraux » comme à la fin de la IVème République !
Or, Macron et En Marche ont incarné cette manœuvre de survie d’une classe politique en danger. Les députés LaRem sont pour un tiers des PS recyclés ! Mais comme l’alliance de Raffarin et de Hollande n’aurait sans doute pas fait suffisamment rêver… il a donc fallu trouver un nouveau produit marketing : il s’appelle Macron, on a appelé cela le « nouveau monde », mais c’est le projet de Raffarin. Je continue de trouver cela dangereux. Il faut écouter ce que disent les gens même s’ils le disent grossièrement, et y répondre, c’est ça la démocratie !
Sauf qu’on n’est plus en démocratie, monsieur Marleix. Même en disant des choses justes gentiment, on se fait plomber par la police politique, qu’elle soit dans les médias, les Chambres, l’Élysée-Matignon, les cours de justice, les loges, les associations antifrançaises ou les commissariats. Alors grossièrement... La France est en train de crever sous les injections forcées de néolibéralisme par un pouvoir corrompu, qu’on peut renommer mafia. Les Français souffrent par catégories entières, et ça décroche à tous les niveaux. Les acquis de 1945 (CNR) et 1969 (Grenelle) sont attaqués au marteau-piqueur par le pouvoir visible, qui obéit au pouvoir profond.
On a besoin de corps intermédiaires, d’un système parlementaire qui fonctionne, pour écouter la société. Macron n’a écouté personne car il n’avait pas ces relais parlementaires et méprisait les corps intermédiaires. C’était sa conception d’une présidence jupitérienne, selon ses mots.
C’est pourquoi la solution démocratique ou réformiste de Marleix n’a plus cours : elle est dépassée. C’est justement ce système parlementaire qui a été dévoyé, parce qu’il prêtait le flanc à une tyrannie. Les corps intermédiaires, eux, ont tous trahi : les partis et syndicats se sont couchés devant l’injonction vaccinale et la destruction inédite des libertés en 2020-2021. Quant aux médias, on préfère ne pas en parler. Pour les Français, tous ces « corps » sont démonétisés à vie. C’est pourquoi la solution ne peut pas venir du Système. Elle viendra de l’extérieur.
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Xavier Poussard (rédacteur en chef de l’indispensable revue Faits & Documents) a donné une conférence en ligne intitulée « Du pacte de corruption à la corruption de mineur : le vrai visage d’Emmanuel Macron » le 8 juillet 2021. L’événement était organisé par E&R.
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