En refusant de détruire des documents susceptibles de démontrer un système d’évasion fiscale de la banque UBS, Stéphanie Gibaud est devenue « lanceur d’alerte », une whistleblower française. Au risque de se faire instrumentaliser.
La vie de Stéphanie Gibaud, qui travaille depuis 1999 pour UBS France et occupe le poste de responsable du marketing événementiel, bascule le 28 juin 2008. Ce jour-là, sa supérieure hiérarchique lui intime l’ordre de supprimer ses archives dans l’urgence ainsi que les fichiers Excel qui relient les clients (ou clients potentiel) à des chargés d’affaire :
« J’organisais des événements pour les clients et les banquiers suisses, j’ignorais que c’était illégal. Un jour, je suis en train d’organiser un golf avec Genève, il y a une perquisition au siège d’UBS France et l’on me demande de détruire tous mes fichiers répertoriant les clients, les prospects, les banquiers… À partir de ce moment, j’ai commencé à me poser des questions, j’ai lancé des alertes en interne, qui n’ont rien donné. »
La perquisition qui se déroule au siège d’UBS France vise notamment le bureau de son président, Patrick de Fayet, et fait suite aux révélations, un an plus tôt, en 2007, du banquier d’UBS Bredley Birkenfeld sur les mécanismes de l’évasion fiscale mis en place par la banque suisse outre-Atlantique. Le témoignage de ce dernier contraindra d’ailleurs UBS à payer en 2009 une amende de 780 millions de dollars (696 millions d’euros).
À l’époque, Stéphanie Gibaud ne fait pas immédiatement le lien entre l’ordre qu’on lui a donné de détruire des documents et la perquisition. C’est en parti pourquoi elle n’obtempère pas, attendant un ordre écrit, de crainte que son employeur ne se retourne contre elle par la suite.
Elle comprendra quelques mois plus tard les ordres qui lui ont été donnés en cette journée de juin 2008. Elle a le sentiment que les documents qu’on lui a demandé de détruire sont susceptibles d’étayer la démonstration d’un système de fraude fiscale, qui aurait conduit UBS à enregistrer en Suisse des ouvertures de comptes non-déclarées. Ouvertures de comptes réalisées par des commerciaux d’UBS venus démarcher, en violation de la législation, des clients sur le territoire français.
Au début de l’année 2009, Stéphanie Gibaud porte plainte contre UBS et échappe à un premier plan social après avoir fait appel à l’inspection du travail. Dès lors, sa situation chez UBS va rapidement se dégrader. On lui interdit par exemple d’envoyer des mails et la banque dépose une plainte pour diffamation en 2010. Peu à peu marginalisée, mise dans un placard, se sentant constamment menacée, elle tombe dans un état de profonde dépression.
En 2011, des agents du Service national des douanes judiciaires (SNDJ) la convoquent et lui demandent de sortir des informations de la banque. Elle sera finalement licenciée pour motifs économiques quelques mois plus tard.
Au bout de sept ans, et après avoir été expertisée par des neuropsychiatres, cette mère de deux enfants a vu le harcèlement moral subi sur son lieu de travail reconnu par un jugement prud’hommal, qui a condamné la banque à 30.000 euros de dommages et intérêts le 5 mars dernier.
Depuis son départ d’UBS, Stéphanie Gibaud a collaboré avec les autorités françaises, publiée La femme qui en savait trop (Albin Michel, 2014) et créé avec Hervé Falciani (lanceur d’alerte de la banque HSBC), la Plate-forme internationale dédiée aux lanceurs d’alerte (PILA) afin de structurer le soutien à ces salariés qui dénoncent des menace que fait peser leur employeur sur l’intérêt général.
Notons toutefois que les lanceurs d’alertes, aussi sincères soient-ils, ne sont pas à l’abri d’une instrumentalisation et d’une récupération politique qui les dépasse. Dans le cas de Stéphanie Gibaud en particulier et de l’affaire de l’Union des banques suisses en général, c’est par exemple le journaliste de Mediapart Antoine Peillon, frère de l’ancien ministre socialiste de l’Éducation nationale Vincent Peillon, qui se fit le relais de l’ex-salariée d’UBS et fut le principal manœuvrier de la mise en cause de la banque suisse en publiant au Seuil, en mars 2012, Ces 600 milliards qui manquent à la France. Enquête au cœur de l’évasion fiscale. Les révélations de Stéphanie Gibaud sur UBS et d’Hervé Falciani sur HSBC, relayées par la grande presse (notamment Le Monde) auront finalement eu pour effet de réduire dans l’opinion publique la question de la haute finance au problème de l’évasion fiscale en Suisse. Soit de rependre une sorte de lieu commun : banque=Suisse=évasion fiscale.
Antoine Peillon, le gouvernement, Le Monde et Mediapart soutiendraient-ils un hypothétique whistleblower tentant d’alerter sur les pratiques des banques Lazard ou Rothschild, où encore de services de renseignement tels que la DCRI ou la DGSE ? Chiche ?