A partir du moment où la Marine nationale dispose d’un porte-avions, en l’occurrence le Charles de Gaulle, la cohérence voudrait qu’elle en ait un second.
Et cela pour au moins une raison simple : quand l’un est immobilisé pour sa période d’entretien, l’autre peut le remplacer, ce qui permet de maintenir une capacité aéronavale en permanence. Et quand l’on est membre du Conseil de sécurité des Nations unies et que l’on veut prendre part au règlement des problèmes mondiaux, c’est un « plus » appréciable. Une diplomatie forte s’appuie sur des moyens militaires crédibles.
« La France attend de ses armées, comme par le passé, qu’elles garantissent la protection de ses intérêts vitaux , le respect de ses engagements internationaux, et qu’elles lui permettent d’assumer les devoirs que lui imposent les responsabilités particulières qui sont les siennes » avait déclaré le président Jacques Chirac, à l’occasion d’un discours prononcé en février 1996 à l’Ecole militaire.
Seulement, si l’on sait qu’il est nécessaire, et après avoir sans cesse été reportée, la décision de construire un second porte-avions – le PA2 – devait être prise en 2012. Nous y sommes et l’on verra ce qu’en dira la commission chargée d’élaborer le prochain Livre blanc sur la Défense et la Sécurité nationale (LBDSN), tout en tenant compte la « nécessité de contribuer au redressement des finances publiques (…) pour en assurer le retour à l’équilibre à l’horizon 2017 », pour reprendre les termes de la lettre de mission adressée par le président Hollande à Jean-Marie Guéhenno.
Dans ce contexte, le chef d’état-major de la Marine nationale, l’amiral Bernard Rogel, a fait le deuil du PA2. « Une décision devait être prise en 2012 sur le deuxième porte-avions » a-t-il rappelé lors d’une audition devant la commission Défense de l’Assemblée nationale, le 18 juillet.
« Mais je me vois mal aujourd’hui réclamer entre 3 et 5 milliards d’euros à cet effet, ce qui ne veut pas dire qu’il n’est pas indispensable ! Quand on n’en a qu’un, on prend nécessairement le risque de n’en avoir aucun disponible à certaines périodes ! Pour autant, il serait inopportun de déséquilibrer la cohérence de nos armées afin d’acquérir cet équipement » a-t-il expliqué.
« En revanche, il faut aider nos amis britanniques, qui sont aussi confrontés à des RTC (ndlr, rupture temporaire de capacité), à s’en doter d’un à l’horizon 2020, dans le cadre de la coopération que nous avons lancée avec eux. Il convient que l’Europe dispose d’une capacité de porte-avions permanente » a-t-il ajouté.
Alors qu’il devrait manquer, selon la Cour des comptes, 4 milliards d’euros en 2013 par rapport à la trajectoire financière définie par la Loi de Programmation Militaire 2009-2014 et que d’autres programmes sont cruciaux pour la cohérence de l’outil français de défense (projet Scorpion, renouvellement des blindés, notamment des VAB, remplacement des avions ravitailleurs, modernisation des Mirage 2000D, drones, patrouilleurs pour la Marine nationale, etc…), il faut être réaliste, comme l’est l’amiral Rogel, qui fait avec les moyens que le pouvoir politique lui donne…
Cela étant, la décision de se doter d’un second porte-avions n’est que le fruit d’une volonté politique. Il ne s’agit pas de voter des budgets colossaux pour les forces armées mais de faire en sorte que ces dernières aient les moyens nécessaires pour accomplir leurs missions et qu’elles soient à la hauteur du statut et des ambitions du pays. « La défense est la première raison d’être de l’Etat. Il n’y peut manquer dans se détruire lui-même » a dit le général de Gaulle…
Qui plus est, l’outil de défense français offre, selon les termes de l’amiral Guillaud, le chef d’état-major des armées (CEMA), un « rapport qualité-prix exceptionnel » par rapport à celui d’autres pays étant donné qu’il coûte, pour ne prendre qu’un seul exemple, 40% moins cher que celui des Britanniques. Mais cela ne veut pas dire que des efforts de rationalisation des dépenses ne sont pas nécessaires.
Volonté politique donc, à laquelle l’on oppose la réalité économique. Lors du dernier quinquennat, il est estimé que la bouclier fiscal aura coûté 500 millions d’euros par ans aux caisses de l’Etat, soit 2,5 milliards. C’est à peine moins que le prix de ce PA2…
Les fraudes détectées en 2011, qu’elles soient sociales (sécurité sociale, travail au noir…) et fiscales, ont atteint près de 4 milliards d’euros, sur les 20 milliards qu’un récent rapport parlementaire a estimés. N’y a-t-il pas là de quoi trouver des marges de manoeuvre ?
Lors de la campagne de l’élection présidentielle de 2007, Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy avaient polémiqué sur la nécessité du PA2. « Si la nation est capable de dégager le coût d’un deuxième porte-avions, j’en fais ici le serment, cette marge de manoeuvre supplémentaire, cette valeur là, n’ira pas à la Défense nationale mais ira à l’Education nationale » avait déclaré la candidate du Parti socialiste.
Finalement, et en donnant un peu dans la provocation, le président Hollande va mettre en application la promesse de Ségolène Royal avec l’embauche, pour les besoins de l’Education nationale, de 60.000 personnels au cours de 5 prochaines années. Sachant que l’emploi de 12.000 personnes a été évalué à 500 millions d’euros par an selon le chef de l’Etat quand il était encore candidat, cette mesure devrait coûter non pas 2,5 milliards d’euros comme annoncé lors de la campagne mais 7,5 milliards d’euros, soit de quoi construire, au-delà de toute considération ayant trait à la réduction de la dette publique, 2 autres porte-avions…