Le jury du Prix Femina 2015 a distingué ce jeudi 4 novembre l’écrivain et journaliste Christophe Boltanski, pour son premier livre La Cache. Boualam Sansal (2084) et Hédi Kaddour (Les Prépondérants) étaient également en lice.
Les Boltanski, c’est une famille d’intellectuels qui n’a cessé de s’illustrer depuis trois générations dans la littérature, les arts et la recherche. Tout a commencé avec le grand-père Étienne Boltanski, membre de l’Académie de médecine, et sa femme, Myriam, romancière sous le pseudonyme d’Annie Lauran. Cela s’est poursuivi avec leurs enfants : Jean-Élie, linguiste de haute volée, Luc, sociologue de renom, Christian, peintre et plasticien célèbre. Cela continue avec les petits-enfants : Christophe, journaliste et écrivain, Ariane, historienne… À eux tous, ils remplissent quelques rayons de bibliothèque.
On imagine qu’il fallait appartenir à cette lignée pour oser s’y frotter, sans quoi l’on risquait d’être intimidé. Mais là n’est pas la clef du roman de Christophe Boltanski, et celui qui attend le portrait fanfaron d’une antichambre de l’élitisme français sera déçu. La Cache est l’exact opposé d’une autocélébration : une plongée dans l’intime, le secret, le noyau, la mémoire d’un clan qui vit pelotonné autour de ses cicatrices et de ses codes, sans jamais les dévoiler. Pour raconter cette saga, il fallait en faire partie parce que c’est la seule façon de la connaître.
La genèse des Boltanski tourne autour d’un lieu et d’un moment. Le moment n’est pas tant celui du commencement, l’exil de Juifs d’Odessa vers la France au XIXe siècle. De cela il ne reste dans la famille qu’un samovar et l’écho de l’accent russe de l’aïeule Niania. Le tournant de l’histoire a lieu pendant la Seconde Guerre mondiale, et il est étroitement connecté au territoire du livre, dont procède son architecture.
Élitisme trompeur
L’hôtel particulier de la rue de Grenelle, dans le VIIe arrondissement de Paris, constitue bien plus qu’un décor. Là encore, la façade porte les signes d’un élitisme trompeur : quartier huppé, au cœur de la vie intellectuelle et artistique française. Mais c’est un univers clos, protégé, fortifié. Un palais sans luxe, biscornu, un peu décati, dont les habitants ne franchissent la porte qu’en grappe, entassés dans une Fiat 500. Un ventre maternel où les enfants se serrent, dorment à même le sol dans la chambre des parents, se lavent peu, passent leur temps à d’étranges et complexes divertissements.
La grand-mère se fait appeler Mère-Grand. Frappée de poliomyélite, elle s’acharne à traiter son handicap par le mépris. Ses enfants sont ses béquilles, mais c’est sa force à elle qui tient la maisonnée. Chez Myriam Boltanski, on voyage sans sortir de la voiture et on n’appréhende le monde extérieur qu’à l’âge adulte. D’école, d’éducation même il n’est jamais question, un paradoxe lorsqu’on voit la trajectoire des rejetons. Le « kibboutz » de Grenelle suffit à former les caractères.