Ce samedi 9 juin, la Russie a un peu haussé le ton à l’égard de l’Occident sur la Syrie. Lors d’une conférence de presse, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a averti que son pays n’autoriserait jamais, au sein du Conseil de sécurité, un recours à la force contre la Syrie, qui « entraînerait des conséquences gravissimes pour tout le Proche-Orient ».
Une fin de non recevoir renvoyée à la troïka américano-anglo-française qui fourbit toujours des projets de résolution anti-syriens, et entretient une ambiguité, dans ses équipes dirigeantes ou ses médias, à coup de déclarations ou d’articles sur l’éventualité d’une intervention qui ne passerait pas forcément par l’ONU. À ces enfantillages diplomatiques, Lavrov vient d’adresser un nouvel avertissement.
Lavrov : la Russie sait beaucoup de choses sur l’opposition et ses appuis
Mais Sergueï Lavrov est allé cette fois un peu plus loin en désignant des coupables dans l’aggravation de la situation sécuritaire : « Nous sommes inquiets de la réaction de certains acteurs extérieurs qui soutiennent ouvertement les unités armées (de l’opposition) et demandent en même temps à la communauté internationale des actes concrets pour changer le régime en Syrie » a martelé Lavrov, qui a ajouté cette phrase : « Pour la première fois depuis le début de la crise, la question d’une intervention militaire se pose de manière aiguë et émotionnelle ».
Lavrov vise-t-il ici les récentes déclarations de Hollande, fait-il même allusion à la campagne menée, via plusieurs journaux européens « de référence », par BHL en faveur d’une guerre ? Ou à l’exploitation immédiate par l’Ouest des massacres toujours inexpliqués officiellement de Houla et d’al-Koubeir ? Il a en tous cas estimé que si le plan Annan ne progresse pas, c’est que certaines forces impliquées dans la crise « n’aiment pas » l’idée même de la stabilisation qu’il peut apporter. « Ils veulent que la communauté internationale s’étouffe d’indignation et se lance dans une intervention d’envergure en Syrie ».
En tous cas, les « acteurs extérieurs » auxquels il fait allusion ne se limitent clairement pas aux seuls Séoudiens et Qataris. En somme le chef de la diplomatie russe tape du poing sur la table, n’entendant pas baisser les clameurs bellicistes de certains milieux dirigeants occidentaux.
Serguei Lavrov s’est d’ailleurs montré précis dans ses accusations, donnant, pour la première fois à notre connaissance, des noms de déstabilisateurs. Ceux par exemple de « nos collègues séoudiens, nos collègues qataris ». Et le ministre russe de donner un récent exemple de cet interventionnisme pro-insurgés qui ne se cache même plus : « Pas plus tard qu’hier, il y a eu un forum d’hommes d’affaires pour soutenir l’opposition syrienne ».
Répondant à des questions de journalistes, le ministre a dit que le gouvernement russe savait par ses ressortissants présents en Syrie que les groupes d’opposition « persécutaient » les citoyens loyaux envers le gouvernement. Il a même ajouté que son gouvernement disposait d’informations précises prouvant que l’opposition syrienne agissait sous le commandement de forces extérieures – la Turquie, la Grande-Bretagne, les États-Unis ? Le fait que Lavrov n’ait cette fois pas voulu donner de noms autorise ces supputations,qui touchent à des secrets de Polichinelle diplomatique.
Montant à tous les fronts polémiques, le chef de la diplomatie russe a estimé que bloquer la diffusion des chaînes satellitaires syriennes – une exigence récente de la Ligue dite arabe – « cadre mal avec le principe de la liberté d’expression ». Naturellement, la Russie juge cette censure satellitaire « inacceptable« . Sergueï Lavrov est même revenu sur la mésaventure du journaliste britannique Alex Thompson, tombé dans un traquenard de l’ASL.
Lavrov a aussi accusé les partisans d’un intervention de chercher à modifier le fragile équilibre entre les différents groupes religieux de Syrie : « Ils veulent se servir de la Syrie pour assurer leur domination sur le monde arabe« , désignant sans les nommer cette fois les radicaux sunnites et leurs nourrices séoudiennes et qataries. Mais, a jouté Lavrov, la Russie fera tout ce qui sera en son pouvoir pour empêcher la réalisation de ce projet.
La Russie soutient moins Bachar que la souveraineté syrienne, mais la soutiendra toujours
Après ce « bâton », une « carotte » symbolique tendue aux Occidentaux : la Russie, a dit Lavrov, ne s’opposera pas au départ du président Bachar al-Assad. Si c’est le voeu des Syriens et le résultat d’un dialogue entre eux : « Si les Syriens s’entendent entre eux sur un départ d’Assad, nous serons heureux de soutenir une telle solution. Mais nous jugeons inacceptable d’imposer de l’étranger les conditions d’un tel dialogue ».
On pourra toujours trouver le terme « heureux » … pas très heureux (mais est-ce une bonne traduction ?), ça ne change rien au fond, qui est que les Russes 1) n’ont pas de solution de remplacement à Bachar al-Assad et 2) savent pertinemment que les Syriens dans leur grande majorité ne veulent pas des islamistes ni d’une potiche du CNS. La « carotte » est donc virtuelle, en l’espèce. Et Lavrov ne fait que reproduire, une fois de plus, la position officielle russe : on ne défend pas Bachar al-Assad et son gouvernement, on défend la souveraineté de la Syrie et la décision des Syriens.
Dans les faits, tout en bloquant à l’ONU les velléités euro-américaines et en s’efforçant de contrebattre la propagande médiatique occidentale par des accusations plus précises sur les responsabilités dans la violence, les Russes gagnent du temps, en espérant que le gouvernement syrien pourra accentuer son avantage sur les bandes armés. L’ASL et les salafistes expulsés ou réduits significativement, alors le plan Annan ou un succédané de celui-ci pourra être à nouveau jouable. La question syrienne s’inscrit évidemment dans une stratégie d’ampleur universelle de l’axe Moscou-Pékin, qui s’est renforcé d’autres partenaires à l’occasion du sommet de Shangaï.
La veille de sa conférence de presse, Serguï Lavrov s’était entretenu à Moscou avec un haut responsable du Département d’État américain, Fred Hof, venu tenter de convaincre les Russes de faciliter un changement de gouvernement en Syrie. On suppose que ce M. Hof a eu la primeur des mauvaises impressions de Sergueï Lavrov.
Par ailleurs, Moscou, c’est-à-dire le vice-ministre des Affaires étrangères Guennadi Gatilov, a demandé la tenue d’une conférence internationale « sous l’égide de l’ONU » sur la Syrie, et par la même occasion a exprimé une nouvelle fois l’opposition de la Russie à de nouvelles sanctions contre Damas : » Notre raisonnement est qu’il n’est pas nécessaire pour le moment d’exercer une pression supplémentaire, d’introduire des sanctions ou de recourir à la force » a déclaré Gatilov à l’agence russe Interfax. Et puis Gatilov a une nouvelle fois défendu la participation de l’Iran à cette éventuelle conférence internationale élargie, participation vigoureusement jetée par les Occidentaux.
Bref, la Russie, avant-garde du front du refus de l’ordre américano-libéral, s’oppose de plus en plus vivement, et sur tous les sujets afférents à la crise syrienne, aux manœuvres, objectifs et propagandes made in West.