Les pays d’Europe du Sud continuent de s’enfoncer dans la crise, comme on le voit en Grèce et surtout en Espagne. Contrairement à ce qui est affirmé dans la presse française et par des hommes politiques de premier plan, la situation économique ne s’améliore pas, loin de là. Elle tend même à se détériorer rapidement. Les affirmations récentes selon lesquelles la sortie de la crise de l’euro serait en vue sont irresponsables car elles ne permettent pas de se préparer au futur.
En fait, les pays du sud de la zone Euro connaissent actuellement deux problèmes communs, l’un lié à la disparition de l’offre de crédit et le second provenant de l’impact des politiques d’austérité sur l’activité économique, à travers ce que les économistes appellent le « multiplicateur des dépenses publiques ».
L’effondrement du crédit
Dans les pays considérés (Espagne, Grèce, Portugal et, en partie, Italie) on observe une forte contraction de l’offre de crédit qui est liée aux problèmes suivants :
(i) L’anticipation d’un possible retour aux monnaies nationales engendre une attitude des banques ou ces dernières utilisent les capitaux collectés dans le pays (considéré comme potentiellement « mou » s’il devait recouvrer sa souveraineté monétaire) pour les prêter dans pays considérés comme potentiellement « durs », comme l’Allemagne, la France, les Pays-bas, etc… Ceci conduit au mieux à une raréfaction du crédit (cas du Portugal et de l’Espagne) et au pire à sa quasi-disparition (Grèce). Or, le crédit bancaire joue un rôle important dans la liquidité du crédit fournisseur et dans l’alimentation du capital circulant des entreprises. Sa disparition provoque une contraction de l’activité MÊME quand une demande solvable existe.
(ii) Une fuite des capitaux des pays considérés comme ayant des monnaies potentielles « molles » vers des pays aux monnaies potentielles « dures ». Ceci est visible via le compte TARGET-2 de la Banque centrale européenne et se traduit aussi par une raréfaction des liquidités et donc du crédit dans les économies considérées.
(iii) Le risque bancaire élevé en Grèce, Espagne et Portugal, explique enfin la réticence des banques à prendre des risques supplémentaires. En Espagne on estime que les « bad loans » (crédits « pourris ») atteignent 180 milliards d’euros (en août 2012) représentant 10,5% de l’actif des banques. Ce risque se traduit par une forte baisse de l’activité de crédit interne des banques. En Grèce, on a abouti à un quasi-arrêt des opérations de crédit. Au Portugal, le phénomène tend actuellement vers le niveau observé en Espagne.
Voilà qui précipite ces économies dans la dépression en ajoutant une crise de liquidité à la forte réduction de la demande. De fait, on est en Grèce et en Espagne dans une situation similaire à celle que l’on connaîtrait si les banques s’étaient effondrées. Le fait que les banques soient « techniquement » vivantes ne change rien à la situation. Cela signifie que l’approvisionnement en liquidités de l’économie va dépendre de plus en plus de l’État et de la part du système bancaire qu’il continue de contrôler.
Les effets de l’austérité fiscale et budgétaire.
Mais, ceci implique aussi que l’activité dépendra des dépenses publiques sur une plus grande échelle que ce qui était initialement prévu car à la dimension « demande » de ces dépenses vient s’ajouter celle « alimentation en liquidités ». Or, les dépenses publiques sont les premières touchées par les politiques d’austérité. Voilà pourquoi on assiste à un effondrement de l’investissement dans ces pays. Avec cet effondrement de l’investissement, ce sont les conditions de compétitivité à moyen terme qui sont mises en cause. Or, si la compétitivité de ces pays baisse à moyen terme, les efforts qu’ils auront consentis dans des politiques de dévaluations internes sauvages n’auront servi à rien. De ce point de vue, la situation de l’Espagne et de la Grèce, ou la baisse des investissements a été la plus forte, apparaît comme la plus dangereuse.
Il est désormais reconnu, même par le FMI , que les politiques d’austérité ont des impacts très négatifs sur le niveau d’activité. Cette reconnaissance d’une situation de fait n’exclut cependant pas des imprécisions et des illusions, dont certaines semblent profondément ancrées dans la culture idéologique de cette organisation.
La valeur du Multiplicateur des Dépenses Publiques, autrement dit de la variable mesurant la relation entre ces dépenses et l’activité économique est évidemment cruciale pour juger de l’efficacité ou non d’une politique d’austérité. Si la valeur de ce multiplicateur excède 1, alors une augmentation des dépenses publiques engendrera un accroissement plus que proportionnel de l’activité, mais en cas de contraction, cette dernière sera aussi plus que proportionnelle. Jusqu’au mois de juillet 2012, le consensus des économistes était que ce multiplicateur était inférieur à 1 et donc qu’une contraction des dépenses publiques aurait un effet moins que proportionnel sur l’activité.
Ce fut le fondement théorique des politiques d’austérité. Certains auteurs soutenant que ce multiplicateur était en réalité très faible (comme on l’avait entendu en Russie dans les années 1990). Les faits ont infirmé ce postulat. Un calcul récemment diffusé par le service des recherches de NATIXIS estimait la valeur de ce multiplicateur à 1,7 pour l’Espagne et 2,2 pour l’Italie . De telles valeurs signifient l’échec des politiques d’austérité qui entraînent des chutes plus que proportionnelles de l’activité et se traduisent logiquement par de moindres recettes fiscales en fin d’année. Concrètement, on se retrouve avec le même déficit budgétaire (voire un déficit aggravé) qu’avant le plan d’austérité !
La Grèce est donc aujourd’hui sur une trajectoire très inquiétante et, compte tenu des problèmes spécifiques que ce pays connaît, le PIB devrait encore baisser de -6% en 2013. L’Espagne, qui était jusqu’à présent en récession devrait entrer en dépression au quatrième trimestre de 2012 et ce au moins jusqu’au second trimestre de 2014. L’évolution du Portugal, fortement lié à l’Espagne, devrait elle aussi empirer. Reste le cas de l’Italie, qui représente la 3ème économie de la zone Euro.
Les réponses proposées par les institutions européennes et les gouvernements de la zone Euro ne sont pas à la mesure de la tragédie que connaisse des pays comme la Grèce, l’Espagne et le Portugal. Ces réponses sont dérisoires par rapport aux problèmes posés dans l’immédiat. L’effondrement du crédit paralyse de manière croissante des secteurs qui pouvaient encore produire et exporter. Dans le cas de la Grèce, il engendre même la démonétarisation partielle de l’économie. C’est un phénomène qui a déjà été observé en Russie de 1995 à 1998 alors qu’étaient appliquées mutatis mutandis des politiques comparables . La démonétarisation, qui est aussi liée au phénomène de manque de confiance dans la capacité de paiements de ses clients (pour une banque ou une entreprise) et qui de ce point de vue est directement liée avec l’effondrement de l’économie , a entraîné une contraction brutale des ressources fiscales, qui a abouti à la crise de l’été 1998, avec un défaut sur la dette souveraine et une dévaluation massive.
Les politiques d’austérité, par leur ampleur et leur violence, ont aussi fait basculer ces pays dans des logiques de récession puis de dépression, qui conduisent d’ailleurs à accroître ces mêmes politiques, en provoquant des effets toujours plus destructeurs. Il faut signaler que, ici aussi, une comparaison avec la Russie s’impose dans la mesure où on est en présence des mêmes erreurs, fondées sur les mêmes théories, en ce qui concerne les effets présumés des politiques d’austérité. À croire que les économistes n’ont rien appris et tout oublié . La zone Euro est en train de vivre le même scénario que la Russie en 1997-1998. Mais c’est un scénario dont la fin est écrite.