Il est une considération simple à faire, c’est que l’unité de la raison fait défaut aux opposants syriens, soit qu’ils tombent dans la trahison des intérêts nationaux, sans lesquels il n’est point de discipline, soit qu’ils restent – faute bien plus grave et commune à d’autres pays arabes – dans un attentisme égoïste ; tout comme des gens attendraient la dévastation d’un ouragan, pour aller ramasser les fruits du verger voisin !
Dans les deux cas, il y a une perte de la réalité et une incapacité marquée à être au niveau de l’impératif technique, qui commande la vie actuelle. La réaction enfantine des opposants, fort nombreux, comme des candidats au pouvoir soutenus, qu’ils le sachent ou non, par des puissances étrangères, a été d’espérer que leur numéro sorte dans la corbeille de la loterie tirée au Qatar, à Londres ou au Département d’Etat – dont Paris, sous Juppé ou Fabius, n’est qu’une annexe !
Cette paralysie volontaire est qualifiée dans le discours politique tenu par Bachar al-Assad, le plus important depuis des mois, non de crise de régime, mais d’assauts contre le pays : nous sommes dans un type d’agression nouveau, qui est un mélange de révolution colorée et d’invasion terroriste étrangère, où la Syrie sert de terrain d’expérience à ce qui se produirait, à plus large échelle, non pas en Iran, hypothétiquement, mais sur de plus grandes étendues eurasiatiques, par exemple. Sorte d’invasion masquée, par des querelles d’opposants, que l’on accumule, sans souci de cohérence, car le but est l’écrasement du pays, non son « changement de régime », entendu comme changement d’équipe gouvernementale.
C’est ce qui explique la volonté de Bachar de se maintenir, pour sauver l’État syrien, que, déjà, ouvertement, les « takfiris » – « dont la pensée est imposée de l’extérieur » – disent le caractère irreligieux ; ce qui est absurde, car ce serait dire que le pouvoir humain, du maître d’école au père de famille, en passant par celui du directeur de chantier, n’est pas divin, donc impie. Cet argument paresseux, si bien nommé par les anciens logiciens grecs, est celui des anarchies, et il est trop stupide pour rapporter à celui qui l’émet, et seulement profitable au tireur de marionnettes, du genre de celles du théâtre javanais ou du guignol de Lyon !
En tout cas, aucun intellectuel – le terme étant revendiqué, alors qu’il était péjoratif il y a un siècle de cela ! – arabe, en particulier, n’a su, comme le médecin Bachar, qualifier le printemps arabe, dans son discours, de « bulle qui va éclater ». Tout ce qui nous a été présenté sous ce nom mérite, en effet, réflexion. Ce à quoi nous invite cette tête syrienne : la Tunisie en fut le berceau, et le résultat est catastrophique ; l’Égypte, la seconde étape, et nous avons, dans ce nouveau jardin, éclairé d’un soleil nouveau, une fois crevé l’orage de l’Ancien Régime, une fleur merveilleuse, inconnue à ce jour, une sorte d‘OTAN arabe que Nasser eût déracinée, comme de la mauvaise herbe ; et, ensuite, la Libye – avec 150.000 victimes civiles et un regret populaire du système social antérieur ; et cela monte, jusqu’au terme dernier, mais, en fait, la cause finale, à notre sens, de tout ce bain de sang – avec ses manifestants qui tirent sur la foule, pour causer un désordre fatal (cela s’est vu, en Tunisie, et nous a été rapporté, sur des témoignages de paysans, dont, bien sûr, notre élite, qui prend une révolution, pour un tour de loterie, ne tient pas compte) – c’est la décapitation de la Syrie. La victoire, enfin, de celui qui veut entrer à Damas, selon une pieuse tradition eschatologique – laquelle, dans le Christianisme et sous la plume de théologiens, comme le Père Suarez, au 17ème, citant des Pères « grecs » (saint Hyppolite, etc.) serait Jérusalem (Al-Qods), centre de l’Antéchrist) « non pas, métaphoriquement, mais positivement », écrit le Jésuite espagnol !
L’imagination est une ressource, soit, mais seule la raison est un devoir, et Bachar vient de s’exprimer, historiquement – et ceci lui assure, quel que soit son sort personnel, une place considérable, qui est, justement, à l’honneur du fameux système politique qui l’a créé, la pensée ou l’idée vivante, politique de l’État. Il place les Syriens, devant un choix : conserver ou abandonner la Syrie, et appelle les assassins à rejoindre la cage du zoo britannique, auprès du John Bull, qui les nourrit par émirs domestiques interposés.
Ce discours de Bachar sur la patrie et ses ennemis aura une influence régionale d’abord au Liban, où elle isolera les clients de l’Arabie Saoudite, les gens du 14-Mars, car, en politique, il faut agir avec des buts d’unité et d’efficacité nationale et non pas en affairiste ; et si les opposants syriens abandonnaient leur attentisme de chômeurs, allant pointer à la City ou à Doha, et se décidaient, enfin, à mettre leur confiance dans le travail, et non point dans l’assassinat des concurrents ? C’est cette marque d’un pays vers la Raison qui donne naissance à une idée de l’État, et le contraire se voit aussi… comme en France.