La Russie a récemment envoyé deux bombardiers nucléaires au Venezuela.
Ce développement soudain se produit à l’issue de la visite du président Maduro à Moscou, où il a pu sécuriser l’équivalent de 6 milliards de dollars d’investissement dans ses industries pétrolière et aurifère, ainsi que la livraison par la Russie de 600 000 tonnes de blé pour son peuple.
Et dans le contexte où les USA annoncent leur retrait du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI), signé en 1987, sous le prétexte – et sans preuve – que la Russie en violerait les termes : l’envoi de ces avions par Moscou pourrait bien constituer une réponse asymétrique à Washington, et pourrait présager d’une systématisation de ce type de déplacements aériens à l’avenir, après le retrait étasunien de l’accord prévu dans le courant de l’année prochaine.
Mike Pompeo, le Secrétaire d’État, s’est montré si révolté par cet envoi qu’il n’a pu s’empêcher d’attaquer hypocritement la Russie sur Twitter, coupable d’« envoyer des bombardier à l’autre bout de la planète », oubliant totalement au passage que son propre pays dispose de bien plus que deux bombardiers nucléaires à l’autre bout de la planète. Il est allé encore plus loin, lançant une diatribe selon laquelle « Les peuples russes et vénézuéliens devraient voir ce qui se passe vraiment : deux gouvernements corrompus gaspillant des fonds publics, et étouffant toute liberté alors que leurs peuples souffrent », comme si l’envoi de ces deux avions constituait une opération militaire hors de prix, ruinant la Russie et comme si le peuple vénézuélien se retrouvait en état d’occupation étrangère.
Bien au contraire, envoyer ces deux avions représente une part insignifiante du budget militaire russe, et vise à protéger la souveraineté du Venezuela, qui subit de plein fouet les menaces de Guerre hybride fomentées par les USA ; c’est bien pour cette raison, et parce que Moscou a su jouer ce coup en réponse asymétrique au retrait de Washington du traité FNI, que Pompeo a pété un plomb et s’est mis à envoyer ses tweets. Quoi qu’on puisse penser du gouvernement vénézuélien assiégé, ce coup ne lui a rien coûté, et n’a rien à voir avec une réduction supposée des libertés publiques dans le pays.
Pompeo a carrément sonné l’alarme, parce qu’il a lui-même peur des implications stratégiques de voir la Russie envoyer régulièrement des bombardiers nucléaires dans l’hémisphère Ouest, chose que son pays est incapable d’empêcher, sauf à réussir à renverser le gouvernement démocratiquement élu et légitime du Venezuela. Ce renversement est de moins en moins probable, les autorités du pays recevant des aides financières conséquentes de la part de leurs partenaires russe et chinois : si ces aides sont bien gérées, elles pourront profiter à la population du pays. Dans la situation présente, le coup de sang de Pompeo est à interpréter comme un cri de désespoir, après la prise de « judo » géopolitique réalisée ici par le président Poutine.
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L’envoi par la Russie de conseillers financiers au Venezuela
s’apparente à un « renforcement de régime »
La Russie a envoyé des conseillers financiers au Venezuela, à la demande de Caracas. L’équipe russe est arrivée dans la capitale du pays le lendemain d’une délégation chinoise, si bien que certains observateurs se demandent si les deux grandes puissances coordonnent leurs efforts pour sauver l’économie de leur partenaire commun en Amérique latine.
Les deux pays ont intérêt à voir les dernières réformes du président Maduro, lancées pour protéger la stabilité du gouvernement élu démocratiquement et légitime : c’est lui qui garantit le remboursement des prêts que les deux pays lui ont accordé ces deux dernières années, et qui assure la bonne tenue des contrats de partenariat également signés avec eux dans le domaine énergétique.
Un changement de régime soutenu par l’Amérique pourrait installer au pouvoir des « autorités » qui reviendraient sur ces engagements, et chercheraient des « vides juridiques » afin de ne pas les honorer. C’est sous cet angle que l’on peut comprendre l’assistance qu’apportent la Chine et la Russie au Venezuela par l’envoi de conseillers financiers, dans une perspective de « renforcement de régime ».
Aucun des deux grands pays ne présente la volonté, ni les capacités militaires, de défendre physiquement le Venezuela des assauts de guerre hybride que subit ce pays depuis quelques années : les deux pays apportent un soutien asymétrique, au travers de missions de conseil qui tâchent d’adresser les problèmes sources d’une opposition anti-gouvernementale légitime, qui se voit exploitée par des acteurs étrangers dans des buts de Révolution de couleur. L’économie du Venezuela s’est vue minée par une combinaison d’ingérences structurelles depuis les USA, et de faux-pas réalisés par le gouvernement du pays, et il appartient à l’État vénézuélien de rectifier ces derniers. La meilleure chose qui pourrait se passer à présent serait que les conseils financiers russes et chinois contribuent à stabiliser l’économie du Venezuela, et créent les conditions pour que les nombreux exilés, partis dans les pays voisins au plus fort de la crise de guerre hybride, reprennent le chemin du pays.
Alors que la victoire de Bolsonaro au Brésil se profilait, les deux grandes puissances avaient vu monter le niveau d’urgence d’accorder une assistance et des conseils au Venezuela, par crainte de voir leur partenaire fictif des BRICS envahir le pays, de mèche avec la Colombie, sous prétexte d’une « intervention humanitaire » qui aurait répondu à la crise de migrants tant affichée. Le président élu du Brésil a nié projeter une telle opération, mais la possibilité existe que lui-même et ses généraux ne changent d’avis après son investiture début 2019, une petite fenêtre d’opportunité de deux mois est donc ouverte pour la Russie et la Chine pour préempter ce scénario, ce qu’elles font de manière indirecte en envoyant les conseillers dont elles disposent. Cela pourrait ne pas suffire à contre-carrer ce possible événement, mais elles peuvent au moins ainsi rendre le Venezuela plus robuste économiquement en prévision du jour où il devrait y faire face.