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La présidence française de l’Union européenne captive des lobbies ?

Dans un rapport publié le 20 décembre, deux ONG craignent que la présidence française du Conseil de l’Union européenne ne soit biaisée, à la fois par l’élection présidentielle à venir et par des « liaisons dangereuses » avec les lobbies économiques.

 

Alors que la France s’apprête à présider le Conseil de l’Union européenne (UE) à partir du 1er janvier 2022, l’Observatoire des multinationales et l’ONG Corporate Europe Observatory ont publié, le 20 décembre, un rapport intitulé « Une présidence sous influence » aussi dense qu’acide sur les liens entre le gouvernement français et les grandes entreprises, pointant « des liaisons dangereuses ». Selon les deux organisations, la présidence française de cette institution serait doublement biaisée, à la fois en raison de la tenue de l’élection présidentielle dans l’Hexagone, mais surtout en raison d’un poids considérable des intérêts privés dans les futures décisions européennes.

 

 

Une plateforme pour la campagne de Macron ?

Parmi les mises en garde, le rapport souligne que, malgré les promesses officielles, « la présidence française [...] sera affectée par les élections nationales en France », relevant « des liens étroits entre le programme de la présidence française et le programme d’Emmanuel Macron pour sa réélection », notamment sur la promotion du nucléaire et la défense des entreprises des secteurs technologiques et industriels.

Cette proximité a déjà été illustrée par le choix de la France de ne pas rompre avec la pratique consistant à recourir à des sponsors privés pour sa présidence du Conseil de l’UE : les constructeurs Renault et Stellantis ont ainsi été retenus pour fournir gratuitement des véhicules électriques et hybrides aux délégations de ministres européens pendant six mois, alors que plusieurs décisions importantes toucheront au secteur automobile dans la période à venir, sur fond de transition écologique et d’abandon progressif des véhicules thermiques traditionnels, envisagé d’ici à 2035. Les mesures prises au niveau européen face au défi climatique vont aussi avoir un impact sur de puissants intérêts français dans le secteur de l’énergie (EDF, TotalEnergies, Engie), de l’aéronautique (Airbus, Safran, Thales, Dassault) et du transport maritime (CMA-CGM), soit « précisément les entreprises qui apparaissent dans la nouvelle liste des rendez-vous de lobbying de la représentation française à Bruxelles », note le rapport, qui précise au passage les montants qui seraient consacrés par chaque entreprise au lobbying auprès de l’UE (un peu moins d’un million d’euros pour Stellantis, 2,5 millions pour TotalEnergies, par exemple).

 

Deux réunions avec la société civile contre 28 avec les lobbies

Le partenariat avec Renault et Stellantis n’est cependant, selon l’Observatoire des multinationales, que « la manifestation la plus visible de l’influence plus profonde des grandes entreprises sur la présidence française de l’UE et ses priorités ». Une influence préparée en amont, « bien avant que la présidence française de l’UE soit même discutée au Parlement », notent les auteurs. Ceux-ci ont fait les comptes : sur les 38 réunions de lobbying divulguées par le représentant de la France à Bruxelles, « 28 étaient avec des entreprises ou des lobbies industriels, contre seulement deux réunions avec la société civile ».

L’influence des multinationales s’appuie aussi sur la porosité entre les secteurs public et privé : le rapport évoque un système de « portes tournantes », qui permet des allers-retours sur des postes à responsabilité, avec des opportunités de carrière offertes par la représentation française à Bruxelles, comme par les ministères concernés à Paris, à la faveur de leur proximité avec les grandes entreprises. Parmi les « nombreux exemples [...] problématiques », le rapport cite le cas d’un conseiller énergie à la représentation française à Bruxelles précédemment employé de TotalEnergies, ceux d’anciens conseillers en énergie devenus lobbyistes pour Engie et Arianespace, ou encore l’exemple d’anciens conseillers sur les questions financières travaillant désormais pour la Société générale ou la Fédération bancaire française.

À noter également le parcours de Nicolas Jégou, ancien conseiller technique d’Emmanuel Macron sur l’Europe de 2017 à 2021, désormais directeur de cabinet du patron d’Euronext, opérateur paneuropéen de bourse. Selon le rapport, ces « portes tournantes » permettent aux lobbyistes des grandes entreprises d’accéder facilement aux processus décisionnels et « favorisent la confusion entre l’intérêt public et les intérêts privés des entreprises françaises », même si « les dirigeants français nient même qu’il y ait là un problème ».

 

 

En outre, la présence d’un autre Français à la Commission n’est pas anodine : « Thierry Breton – désigné par Emmanuel Macron, et le premier PDG à devenir directement commissaire européen [au marché intérieur] – soutient activement les orientations politiques du gouvernement français », tout en ayant « rencontré les grandes entreprises françaises à de nombreuses reprises depuis le début de son mandat », rappellent les deux organisations.

 

« Foi aveugle en la libéralisation et le secteur privé »

La pression des entreprises conduirait aussi le gouvernement français, au nom du climat, à « faire pression pour augmenter le soutien et les financements publics allant à des secteurs industriels controversés, y compris le nucléaire ». Ce d’autant plus qu’Emmanuel Macron a confirmé son intention de relancer et développer l’atome dans l’Hexagone. De plus, au moment où l’Union débat de la taxonomie verte (c’est-à-dire la liste des énergies jugées « propres »), Emmanuel Macron a noué « une alliance cynique avec des pays de l’Europe de l’Est tels que la Pologne et la Hongrie », soulignent les auteurs, afin de militer pour l’inclusion du gaz et du nucléaire dans ce classement.

Dans un autre secteur essentiel, celui du numérique, l’UE continuera à avancer sur deux textes de régulation importants (« Digital Services Act » pour les services et « Digital Markets Act » pour les marchés) au cours de la présidence française. Mais, si le gouvernement français s’est prononcé à plusieurs reprises pour un encadrement des géants du numérique américains, le rapport note qu’« il semble surtout vouloir leur adjoindre des champions européens, au lieu de s’attaquer aux problèmes fondamentaux que posent leurs pratiques en matière de vie privée, de libertés, de privatisation et des droits des travailleurs ». Sans oublier que « malgré ses discours, le gouvernement français reste assez proche des GAFAM [Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft] », puisqu’il a conclu de nombreux partenariats avec des entreprises comme Microsoft et Amazon, y compris dans les domaines sensibles des données de santé ou de la gestion des fonds de relance. Les auteurs signalent d’ailleurs que le lobby français du numérique, Numeum, a reçu un label officiel « présidence française de l’UE », dans la perspective d’un événement co-organisé avec le lobby français des entreprises de la santé en mars 2022 sur « l’e-santé ». Enfin, le rapport note que le secrétaire d’État aux Affaires européennes, Clément Beaune, a rencontré le directeur général de Facebook France en octobre 2021.

Plus globalement, le slogan choisi pour la présidence française du Conseil de l’UE (« relance, puissance, appartenance ») ne convainc pas les auteurs, qui doutent de la pertinence des moyens employés pour aller vers l’« autonomie stratégique » que défend le gouvernement français au niveau de l’UE. Selon eux, « la vision de la souveraineté défendue par le gouvernement français semble reposer sur l’hypothèse que les intérêts des champions industriels européens recoupent forcément les intérêts des autres acteurs économiques européens, et par là ceux des citoyens européens, en une sorte de version élargie de la théorie du ruissellement ». Une théorie économique contestée, qui porte le risque de voir s’« accroître encore davantage les financements publics et le soutien politique accordés à une poignée de grandes multinationales », sans aucune contrepartie ou condition. Une politique davantage guidée par « la foi aveugle en la libéralisation et le secteur privé », qui ne permettra pas d’atteindre les buts fixés et qui se fera « au détriment des PME et des coopératives », affirme le rapport.

À côté du rôle attendu des lobbys de la défense et de l’agriculture, les auteurs n’oublient pas la proximité du gouvernement français avec le Medef, particulièrement sur les questions d’imposition. Ainsi, la position de l’exécutif sur les règles de transparence fiscale de l’UE était-elle selon eux « basée sur un document rédigé par le principal expert fiscal du Medef et avait été élaborée en lien avec plusieurs lobbys industriels ». Ces mêmes lobbys économiques ont intérêt à la poursuite de la privatisation des services publics, que « les gouvernements français ont silencieusement accepté, voire encouragé », souligne le rapport, avec le risque de voir s’étendre le phénomène à la santé et aux soins : plusieurs groupes privés, déjà en charge d’hôpitaux et de maisons de retraite, sont en pleine expansion en Europe, certains d’entre eux étant français (Korian, Orpéa, DomusVi). Les rapporteurs s’inquiètent d’ailleurs de l’absence de nouvelles orientations en matière de santé : « le gouvernement français promeut une "Europe de la santé", mais ne semble pas avoir tiré les leçons de la pandémie [...] en ce qui concerne le pouvoir démesuré des laboratoires pharmaceutiques ou les investissements nécessaires dans les systèmes publics », regrettent-ils.

 

Manque de transparence

Très critiques à l’égard du gouvernement français, les auteurs constatent un écart entre de « belles paroles sur la démocratie », et la réalité. « La vision de la "souveraineté" promue par Emmanuel Macron [...] semble se résumer à maintenir les affaires du Conseil européen aussi secrètes que possible », déplorent-ils. Signe de ce manque de transparence selon eux, la représentation permanente française n’a jamais répondu à une demande de documents (résumés de réunions internes et externes, rapports et mémos) relatifs à la préparation de la présidence française de l’UE, pourtant formulée en avril 2021.

Les deux organisations plaident pour une refonte complète des règles de fonctionnement du Conseil européen, en rendant accessibles aux citoyens le contenu des rencontres avec les lobbies, et en mettant tout en œuvre pour éviter les conflits d’intérêts parmi les fonctionnaires qui participent à ces travaux. En ajoutant que « plus que des règles, ce qu’il faut, c’est une volonté politique d’associer véritablement les citoyens européens au Conseil et à ses décisions politiques. Jusqu’à présent, la France n’a pas fait preuve d’une telle volonté », constatent-ils. Parmi les rares réactions politiques, l’eurodéputée Manon Aubry (LFI) a jugé le rapport « accablant », estimant sur Twitter que le gouvernement « laisse les lobbies dicter les priorités » de la présidence française de l’UE.

 

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