Il faut reconnaître une belle constance à The Economist dans la dénonciation de la panne de l’ascenseur social aux Etats-Unis et en Grande Bretagne. En effet, contrairement aux idées préconçues, les pays d’Europe continentale et scandinave donnent plus de chances à leurs citoyens.
Vers une nouvelle aristocratie ?
Dans les premières pages de l’édition du 9 février, qui fait suite à bien d’autres papiers, l’hebdomadaire des élites mondialisées souligne en effet, qu’il faut « réparer les barreaux de l’échelle ». Non sans ironie, il souligne que « le top 1% a vu ses revenus augmenter du fait de la valeur qu’une économie globalisée donne aux personnes les plus intelligentes. Une aristocratie (…) a été remplacée par une élite éduquée dans les écoles de commerce, qui se marie entre elle et qui dépense son argent sagement en cours de chinois et en abonnements à The Economist pour ses enfants ».
L’hebdomadaire britannique soutient que cela affaiblit l’égalité des chances et souligne qu’aujourd’hui, les Etats-Unis sont moins mobiles que l’Europe continentale et que l’écart de niveau dans les tests scolaires entre les enfants des 10% des ménages les plus riches et des 10% les moins riches a augmenté de 30 à 40% en 25 ans. The Economist voit deux raisons essentielles : un manque de dépense dans l’école primaire et le coût trop élevé des universités étasuniennes.
Dans un papier publié sur son site Internet, The Economist souligne le rôle des inégalités dans le manque de mobilité sociale en montrant la corrélation qui existe entre les deux dans le classement des pays. Mais même si l’ascenseur social fonctionne mieux en France que de l’autre côté de l’Atlantique ou de la Manche, il faut souligner également qu’il se grippe puisque 9% des élèves de classes préparatoires étaient issus de milieux défavorisés en 2007, contre 29% il y a 20 ans.
Les raisons de cette crise
Dans « L’Amérique que nous voulons », Paul Krugman citait un exemple extrêmement parlant qui montrait que les mauvais élèves issus de familles riches avaient autant de chance d’accéder à l’université que les bons élèves issus des classes populaires. Même s’il est naturel que les parents puissent aider leurs enfants, quand l’argent devient beaucoup plus important que le travail, on peut quand même se dire que le rêve américain a un problème, à savoir qu’il n’est plus qu’un rêve.
Et la raison principale de cette panne de l’ascenseur social est simple : la montée des inégalités, comme le notait déjà Paul Krugman dans son livre de 2008, ou The Economist en citant une étude de l’OCDE. En clair, plus les inégalités sont importantes, plus l’ascenseur social est en panne, plus la société se stratifie avec des plafonds de verre extrêmement solides entre strates. Il devient de plus en plus difficile, même pour les élèves méritants, de sortir de leur condition sociale.
Il faut dire que l’augmentation des inégalités a été colossale. Raymond Lévy, président de Renault il y a 20 ans, gagnait 150 000 euros par an. Carlos Ghosn a touché 12,7 millions en 2012, presque 100 fois plus. Pire, les bas revenus ont tendance à stagner, voir à baisser. Et cette explosion des inégalités diminue la mixité sociale, notamment avec l’explosion des prix de l’immobilier, qui pousse à une homogénéisation géographique en fonction des moyens, diminuant la mixité à l’école.
Le fait que les personnes méritantes puissent progresser dans l’échelle sociale est un acquis essentiel de nos sociétés modernes. C’est pourquoi le grippage de notre ascenseur social est très dangereux : outre une crispation à l’égard des plus riches (affaire Depardieu), il est porteur de graves conflits.