La dramatique escalade de l’hostilité du Premier ministre conservateur britannique Theresa May envers la Russie cette semaine provoque aussi des conséquences domestiques. Jeremy Corbyn, le populaire dirigeant du parti travailliste, est en train de devenir une victime de cette politique de type nouvelle guerre froide.
- « Corbyn, le laquais du Kremlin », « la marionnette de Poutine »
May, qui était jusqu’à présent attaquée pour sa débâcle au sujet du Brexit, s’est soudainement trouvée soutenue pour son programme de nouvelle guerre froide à l’égard de la Russie au sein de son propre parti conservateur – mais aussi par des législateurs de l’opposition, du côté travailliste du parlement.
Alors que May a été chaudement applaudie pour ses attaques rhétoriques contre la Russie, le dirigeant travailliste, Jeremy Corbyn, a fait l’objet d’un chahut vicieux de la part de tous les partis de la Chambre des communes, dont de nombreux députés de son propre parti.
L’annonce par May que son gouvernement allait expulser 23 diplomates russes pour la « tentative de meurtre » d’un ancien espion du Kremlin vivant en exil en Grande-Bretagne a été très bien reçue à la Chambre des Communes.
Ces expulsions sont la plus grande sanction diplomatique que la Grande-Bretagne ait imposée à Moscou depuis 30 ans. Moscou s’est engagée à prendre des mesures réciproques dans les semaines à venir, les relations bilatérales s’effondrant en une spirale descendante.
Cette initiative britannique a été dénoncée par la Russie comme un « acte hostile sans précédent » et une violation des relations interétatiques normales.
La réponse russe semble assez raisonnable, étant donné que l’attaque présumée contre Sergueï Skripal, 66 ans, et sa fille, le 4 mars à Salisbury, est loin d’être prouvée. La décision britannique d’accuser directement Moscou pour cette tentative de meurtre repose sur des affirmations non vérifiées au sujet d’un poison datant de l’ère soviétique, ainsi que sur des hypothèses non étayées.
Mais ce climat hystérique de guerre froide, engendré par les politiciens britanniques et les médias grand public qui s’en prennent aussi à la Russie, est tel que quiconque ne fait que simplement remettre en question l’absence de procédure régulière est immédiatement mis au pilori et traité de « prorusse ».
C’est ce qui s’est passé lorsque Jeremy Corbyn s’est levé, à la Chambre des communes cette semaine, et a osé demander au Premier ministre des « preuves » que la toxine présumée de l’époque soviétique était bien liée aux actions de l’État russe.
Corbyn a également demandé si les autorités britanniques fourniraient les échantillons de toxines présumées aux enquêteurs russes afin qu’ils puissent procéder à leur propre évaluation indépendante – une procédure prescrite par le traité international de 1997 connu sous le nom de Convention sur les armes chimiques.
Bref, ce que le chef du Parti travailliste demande n’est tout simplement que l’application de la loi. Il s’agit d’une approche rationnelle et fondée sur des données probantes. Ce qui, pourrait-on penser, est un minimum raisonnable et prudent, surtout en raison du danger actuel de conflit militaire catastrophique qui éclaterait à un moment où les tensions géopolitiques entre les États de l’OTAN dirigés par les États-Unis et la Russie sont déjà vives.
« Notre réponse doit être décisive, proportionnée et fondée sur des preuves claires » a déclaré M. Corbyn, qui a également refusé de condamner la Russie, étant donné l’absence de preuves incriminantes à ce stade – moins de deux semaines après l’empoisonnement des Skripals.
Mais le chef travailliste pouvait difficilement se faire entendre à cause des railleries et des « honte, honte » criées des bancs conservateurs.
« Vous êtes une honte pour votre parti » a même crié une ministre conservatrice, Claire Perry, en excitant la foule autour d’elle.
Les médias britanniques ont emboîté le pas, accélérant l’offensive de type guerre froide contre Corbyn. The Sun, journal très orienté à droite, qui, la semaine dernière, appelait à une action militaire contre la Russie, a fait sa une avec le titre : « La marionnette de Poutine ».