Le débat en séance publique à l’Assemblée sur la loi Travail devrait occuper les esprits, avec ses près de 5 000 amendements déposés. Dans la ferveur de l’affrontement idéologique qui agite déjà les protagonistes, une question est passée à l’as : celle de la constitutionnalité de la loi elle-même. Celle-ci ne devrait pas manquer de soulever quelques questions.
L’inversion de la hiérarchie des normes au cœur du problème
L’essentiel de la difficulté tourne autour de la question de la hiérarchie des normes et de son inversion.
Juridiquement, le concept est séduisant, sauf pour ceux qui y voient une grande défaite de l’État jacobin. Dans la pratique, l’inversion de la hiérarchie des normes permet de différencier le droit du travail selon les entreprises. Elle amenuise le rôle de la loi et introduit une sorte de « localisme » de la norme : les règles applicables aux salariés sont décidées au niveau de l’entreprise lorsque la loi autorise ces dérogations.
Assez logiquement, la constitutionnalité de cette différenciation suppose une universalité ! Autrement dit, la Constitution exige, au titre du principe d’égalité, que toutes les entreprises puissent déroger à la loi et non une partie seulement d’entre elles.
Dans le cas contraire, on peut douter que le juge constitutionnel valide la loi. Ce serait en effet une sérieuse rupture d’égalité que d’autoriser seulement certaines entreprises à déroger à la loi.
La question de l’accord collectif
C’est pourtant ce que la loi Travail s’apprête à faire en posant le principe selon lequel seul un accord collectif majoritaire permettra de déroger à une liste limitative de normes légales. Ce qui pose problème n’est pas le principe de l’accord majoritaire, mais bien le principe de l’accord lui-même.
Il suppose en effet que l’entreprise soit équipée pour négocier un accord. Cette restriction soulève deux problèmes.
D’une part, elle met en avant la question des entreprises où aucun délégué syndical n’est désigné, et aucun salarié n’a présenté sa candidature pour être délégué du personnel. Dans ce cas de figure, l’entreprise est pénalisée par rapport aux autres : elle se trouve incapable de remplir la condition formelle prévue par la loi pour déroger.
D’autre part, l’ensemble des entreprises qui n’atteignent pas le seuil nécessaire pour disposer d’un élu du personnel se trouve de fait exclu du dispositif. Les très petites entreprises, faute d’institutions représentatives du personnel compte tenu de sa taille, n’ont en effet aucune capacité à négocier des accords collectifs.
Si la loi ne prévoit pas d’accès à la dérogation par décision unilatérale, la situation de ces très petites entreprises (moins de dix salariés) sera simple : elles seront mécaniquement dans l’impossibilité de bénéficier de la loi. Voilà qui s’appelle une rupture d’égalité qui ne devrait pas passer le cap du Conseil Constitutionnel.
Le cas emblématique du forfait-jour
Prenons au hasard le cas très emblématique du forfait-jour. En l’état, celui-ci est réservé aux entreprises qui négocient un accord collectif ou aux branches où cet accord existe. Cette situation inconfortable a justifié que la loi Travail propose la possibilité de recourir à cette formule de calcul du temps de travail par décision unilatérale de l’employeur.
Finalement, le gouvernement a retiré cette possibilité du texte, ce qui limite dorénavant le recours au forfait-jour aux seules entreprises capables de négocier un accord, ou aux branches disposant d’un accord spécifique sur ce sujet. On mesure d’emblée la rupture d’égalité que cette restriction introduit. Si un accord de branche n’est pas signé, les très petites entreprises ne peuvent donc recourir au forfait-jour.