Il y a un an, la société financière LSK déposait le bilan après avoir été condamnée à rembourser un de ses créanciers. Une plainte a été engagée en France par un investisseur ayant souscrit des actions quelques jours avant le naufrage. Il met en cause la responsabilité de Thierry Leyne, mais aussi de DSK.
Dominique Strauss-Kahn, l’ancien directeur général du FMI, est de retour sur la scène médiatique. Si l’homme a survécu jusqu’à présent à ses ennuis judiciaires, ceux-ci se prolongent dans le dossier de la société financière LSK, dont il était le président. À Paris, une plainte pénale est pendante devant le Parquet. À Luxembourg, les lignes pourraient bouger dans le courant de l’automne, avec une nouvelle assignation pour faute de gestion, qui s’ajoute à une première procédure pour… absence de gestion dans le chef des dirigeants de LSK. À notre connaissance, il n’y a pas (encore) eu de plainte pénale au Grand-Duché.
DSK livre des avis sur tout ou presque : la Grèce, la politique du gouvernement de Manuel Valls, dont il aurait dit dans un forum avec des blogueurs début septembre qu’il « navigue à vue », le parti socialiste, décrit comme « un astre mort », ou le couple franco-allemand, jugé « trop faible ». Il est plus silencieux sur son aventure luxembourgeoise avec Leyne Strauss-Kahn (LSK), liquidée il y a un an avec un passif atteignant les 100 millions d’euros. La liste des créanciers, que Paperjam a pu consulter, est impressionnante et met en exergue beaucoup de « petits » investisseurs, en France, en Belgique et principalement en Israël. Certains ont fait appel à un avocat pour effectuer leurs déclarations de créances, ce qui laisse supposer leurs intentions d’aller plus loin dans la procédure s’ils ne devaient pas recouvrer leurs fonds.
En attendant, c’est au niveau du procureur de la République à Paris que l’attention se concentre. On attend en effet de connaître le sort que le Parquet va réserver à la plainte pour escroquerie et abus de biens sociaux que l’homme d’affaires français Jean-François Ott (il a fait fortune dans l’immobilier avec sa société Orco Property, basée initialement au Luxembourg) et sa société chypriote Roxannia Enterprises Company Ltd ont engagée fin juin 2015 à l’encontre des anciens dirigeants de LSK. Quatre dirigeants sont visés dans la plainte (qui cite d’ailleurs des articles de Paperjam.lu sur l’affaire) : DSK, qui fut le président du conseil d’administration de LSK et en démissionna quelques jours avant le suicide du fondateur Thierry Leyne, Michel Jollant, qui lui succéda et eut la direction opérationnelle du groupe au Luxembourg, Philippe Hervé, associé historique de Leyne, et Céline Moulineau, qui fut jusqu’à la fin l’assistante de Thierry Leyne.
Valorisation de départ à 50,24 millions
Jean-François Ott a investi en juillet 2014 à un prix très largement surestimé un montant de 500.000 euros dans une augmentation de capital de LSK, alors que le groupe était déjà au bord du gouffre. Sa plainte détaille la chronologie d’un naufrage financier lorsque Thierry Leyne et DSK s’associent en 2013 et que LSK, présentée comme une banque d’affaires en devenir, fait son entrée à la Bourse de Paris avec une valorisation de 50,24 millions d’euros.
Lorsqu’il rentre dans le capital de la société luxembourgeoise (il détenait 20,23% du capital et Leyne 30,23%), l’ancien directeur du FMI souscrit par l’intermédiaire de sa société au Maroc, Parnasse International, 412.000 actions au prix de 0,25 euro l’action pour un montant de 103.000 euros. « Le prix très réduit de souscription valorisait LSK à environ 2 millions d’euros seulement, une décote incroyable de 25 fois par rapport à la cotation boursière et un discount gigantesque par rapport à l’actif net reporté fin 2012 », signale l’avocat de Ott, Me Mathieu Croizet.
Lorsque les discussions s’ouvrent entre DSK, Leyne et Ott, la société LSK remet à ce dernier plusieurs documents qui mentiront sur son bulletin de santé. L’un d’eux valorise la société luxembourgeoise à 32,5 millions d’euros, alors que techniquement, elle était déjà en état de cessation de paiement. Rien pourtant ne mentionne les réserves du réviseur Ernst & Young le 2 octobre 2013, ni sa démission le 13 décembre suivant. Ce n’est d’ailleurs qu’en juillet 2014 que le réviseur sera officiellement remplacé.
La plainte du 29 juin évoque des « évaluations complètement surévaluées d’un certain nombre de participations » et signale que ces évaluations n’auraient jamais « pu/dû être validées par un commissaire aux comptes et/ou un réviseur ». Les participations auraient dû être évaluées dans une hypothèse de liquidation et non, comme cela fut fait, sous l’option de la continuité d’exploitation, poursuit l’avocat.
Le business plan de LSK (non consolidé) pour 2013, 2014 et suivantes, qui fut présenté à l’investisseur, se révéla tout aussi trompeur. Le document date du 3 juin 2014 et fut établi par Michel Jollant, le directeur général. Preuve pour le plaignant qu’on ne peut pas imputer la tromperie sur les chiffres de LSK « au seul feu Thierry Leyne ».
Un document intéressant capitalise l’implication de DSK dans la société financière en termes de plus-value (5,7 millions d’euros pour 2014) : « Il paraît approprié de refléter la valeur présente de cette implication future. Afin de refléter ceci, la valeur des bénéfices nets des conseils économiques et de la gestion du fonds d’investissement pour la prochaine année a été capitalisée. » Sur la base d’une documentation « truquée » et « mensongère », Jean-François Ott souscrit 500.000 euros pour un prix de 5,70 euros l’action. Dans un mail du 16 juillet 2014 à son « cher Jeff » (diminutif du prénom de Jean-François Ott), Thierry Leyne lui indique qu’il bénéficie d’une option de vente sur ses titres LSK achetés à 5,70 euros l’unité au prix d’exercice de 7 euros à la fin octobre 2014. C’est le moment que le fondateur de la société luxembourgeoise choisira pour se défenestrer d’une tour de Tel-Aviv. Il avait tant promis !
Prix surestimé
Difficile dans ces circonstances de plaider l’ignorance, comme les dirigeants de LSK l’ont fait après la mort le 23 octobre 2014 de Thierry Leyne, en lui attribuant la responsabilité des engagements excessifs du groupe et en feignant de découvrir l’ampleur de l’endettement. « Les administrateurs et notamment Jollant, Strauss-Kahn et Leyne (…), note l’avocat Croizet, ont validé cet investissement qui confinait à l’escroquerie puisque réalisé à un prix complètement surestimé eu égard, premièrement, aux réserves du réviseur sur la véracité des comptes (…) et, deuxièmement, au prix auquel monsieur Strauss-Kahn avait lui-même récemment investi dans la société. »
Quelques jours après la mort de son associé et sa démission de la présidence du conseil d’administration de LSK, qui l’avait précédée, DSK assurait n’avoir découvert les difficultés financières que tardivement et avoir pris dès lors « ses distances » avec Leyne. La plainte de Ott balaie les arguments de l’ex-patron du FMI auquel il reproche de ne jamais avoir émis « le moindre commentaire » sur les difficultés du groupe financier et cautionné ainsi « par son silence, les agissements du groupe ». Le 1er octobre 2014, Roxannia reçoit livraison de ses titres LSK. Un mois plus tard, la société dépose le bilan. Sa faillite fut prononcée le 7 novembre par le Tribunal de Luxembourg siégeant en matière commerciale. La date de cessation de paiement est fixée au 7 mai 2014, six mois en arrière, comme le veut la législation, alors que le business plan qui présentait élogieusement la société luxembourgeoise avait été confectionné le 3 juin 2014. Les vrais chiffres tombent alors : une perte de 17 millions d’euros en 2013 et un passif avoisinant les 100 millions d’euros.
Pour l’homme d’affaires français, il est « manifeste » que Leyne, Jollant, DSK et Moulineau du groupe LSK ont participé « directement ou indirectement à une fraude de grande ampleur » et que leurs agissements sont « incontestablement équipollents à des manœuvres frauduleuses ».
Ott, à travers sa société Roxannia, étant devenu actionnaire de LSK, n’a pas pu introduire de déclaration de créances dans le cadre des faillites des différentes entités du groupe. Il a fait le choix de la juridiction française, plutôt qu’une saisie des juges luxembourgeois, en raison de la résidence des anciens dirigeants en France.