Ça ne sera pas pour cette fois. Ceux, dont votre serviteur, qui envisageaient la possibilité d’une offensive générale russe contre l’empire se sont trompés. Dans ce schéma, l’or noir n’était qu’un prétexte visant à ruiner une partie de l’establishment oléo-financier américain en représailles des sanctions provocatrices de Washington. Or, l’accord trouvé ce week-end semble montrer qu’il ne s’agissait finalement « que » de pétrole et de parts de marché.
Insistons tout de même sur le semble, car il peut y avoir en réalité des lectures très différentes de ce qui s’est passé. Les analystes, même les meilleurs, ne sont pas d’accord entre eux, et le brouillard nimbe de mystère les récents événements. Pour notre part, contentons-nous d’expliciter les trois hypothèses principales :
• Fiasco russe
À première vue, et certains articles le claironnent, Moscou s’est complètement raté dans cette histoire. Trump s’est targué d’avoir « convaincu » Russes et Saoudiens de réduire drastiquement leur production tandis que les États-Unis passeraient entre les gouttes.
De fait, la Russie va maintenant réduire sa production journalière de 2,5 millions de barils, soit quatre fois plus que la réduction proposée par l’OPEP début mars et alors refusée par le Kremlin. L’ours reviendrait ainsi aux niveaux de... 2003 !
Andrey Kortunov, directeur du Russian International Affairs Council, think tank pourtant lié à l’État, ne mâche pas ses mots : « C’était une erreur stratégique que nous allons payer très cher. Cela ressemble à une victoire américaine et la Russie est encore plus perdante que l’Arabie saoudite. » Un trader interrogé en rajoute une couche : « C’est la plus grande défaite russe depuis le début des années 2000. Nous avons perdu nos marchés et il sera très difficile de les récupérer. »
Diantre... Comment la direction russe a-t-elle pu se vautrer de la sorte ? Quelles en seraient les raisons ? Selon un officiel, elle « n’a pas du tout anticipé les conséquences catastrophiques du coronavirus et la chute vertigineuse des prix ». Pourtant, nous avons montré à plusieurs reprises que l’ours était, au contraire, parfaitement au courant. Il doit y avoir autre chose...
Ce retournement de veste serait-il lié à l’abandon de Sanders à la candidature démocrate ? Avec un Biden férocement russophobe, un Donaldinho réélu serait un moindre mal pour le Kremlin, d’où la volonté de ne plus le mettre en difficulté avec l’effondrement des cours de l’or noir, donc du schiste US.
Poutine a-t-il été une nouvelle fois trop mou du genou, choisissant la voie de la miséricorde nunuche consistant à faire passer le bien général et celui de ses ennemis avant les intérêt stratégiques de son pays ?
• Accord équilibré
D’autres voix sont beaucoup plus mesurées sur le « ratage » russe. Elles s’appuient principalement sur les chiffres et les faits : le coronavirus a créé un trou d’air d’une trentaine de millions de barils par jour, et ce n’est pas la réduction de 10 millions décidée ce week-end qui y changera quelque chose. Malgré les quotas, le prix du pétrole restera très bas et ruinera quand même une partie du schiste états-unien, secteur surendetté.
Nous touchons là un point très important : la « victoire » médiatique américaine n’en est en réalité pas une. Si Washington ne peut légalement contrôler ses producteurs privés, c’est le marché qui le fera. Plusieurs observateurs tablent sur une réduction forcée de la production US de l’ordre de 2 millions de barils par jour, chiffre qui n’est pas très éloigné de la Russie ou de l’Arabie saoudite.
Nous serions donc en présence d’un accord général entre les gros bras pétroliers de la planète qui, sous des formes diverses (qui l’État, qui le marché), réduiraient tous leur production.
• Tss tss, et les sanctions ?
Point absent de toutes les analyses, les sanctions impériales sont pourtant dans la tête de beaucoup. Si Moscou a finalement décidé de ne pas déclarer la guerre à l’empire, ce que nous disions par ailleurs tient toujours, jusqu’à preuve du contraire :
Poutine ne donnant jamais rien gratuitement (sauf à Erdoğan serait-on tentés de dire), il n’acceptera de fermer les vannes qu’en échange d’importantes concessions américaines.
À moins que Vladimirovitch ne soit en train de nous faire une poutinade vrillée (hypothèse évoquée en début de billet), les sanctions ont dû être abordées dans l’avalanche des conversations téléphoniques qui viennent d’avoir lieu entre la Maison-Blanche et le Kremlin.
Multiplication des gestes de bonne volonté du côté russe (quotas pétroliers, aide médicale) en échange d’un allègement des sanctions américaines (Nord Stream II ?) et, plus généralement, un reset général des relations. Celui dont rêvait Trump quand il a été élu et qu’il a l’occasion ou jamais, en ces temps troublés, de mettre en œuvre.
Les prochaines semaines nous en diront plus...