La tentative actuelle de fonder une superpuissance européenne, en attisant la peur de l’effondrement du système financier et en violant collectivement les traités européens, aura les mêmes conséquences catastrophiques que la fondation du Reich allemand par Bismarck et sa politique du sang et du fer. Les méthodes prémodernes de Bismarck avaient, à courte vue, du succès, mais elles étaient en contradiction avec les exigences et les revendications d’une société moderne et d’une culture civique qui devraient assurer « la liberté, l’égalité et l’autonomie » (Immanuel Kant) des citoyens.
Malheureusement, aujourd’hui, nous pouvons constater le même vice de forme des méthodes politiques. A cause « des exigences trop grandes sur le devant de la scène » (Peter Sloterdijk), nos gouvernements européens, dans la lutte contre la crise des dettes souveraines et bancaires, retombent dans ces méthodes politiques prémodernes que nous croyions avoir surmontées depuis longtemps et remplacées par une politique étrangère libérale.
En Allemagne, nous avons bien un ministre des Affaires étrangères libéral, mais nulle part on ne distingue une politique européenne libérale qui soit à la hauteur des exigences et revendications actuelles d’une société moderne et d’une culture civique. Pour nous, il ne s’agit pas de parler de la peur de la liberté d’Angela Merkel qui mène, depuis le printemps 2010, une politique européenne portant atteinte au droit et à la liberté. Il s’agit plutôt de la peur avec laquelle, en ce moment, partout en Europe, au cours de la lutte contre la crise des dettes, les Etats et les banques mènent une politique liberticide.
La peur a toujours été mauvaise conseillère, mais depuis toujours, elle a été utilisée pour faire de la politique. Celui qui n’a pas de scrupules d’abuser des angoisses de ses contemporains et qui réussit en plus à mettre les médias de son côté, celui-là parvient, dans des moments où les hommes s’inquiètent, à imposer ses intérêts particuliers aux frais de la collectivité. Et c’est à cause de cela que la peur de l’effondrement de notre système financier entier représente le plus grand obstacle pour lutter contre la crise des dettes souveraines et bancaires, et la réalisation politique d’un ordre monétaire d’après les règles de l’économie de marché.
C’est en automne 2008 qu’on a commencé à s’inquiéter et c’est cette peur-là qui a été responsable de toutes les décisions prises dans la lutte contre la crise financière. C’est donc cette peur qui met en danger l’économie de marché et l’Etat de droit en Europe, beaucoup plus qu’un effondrement réel de notre système financier ne pourrait le faire ; car celui qui a peur se laisse beaucoup plus facilement impressionner par le chantage. Depuis toujours, la peur et le chantage vont de pair.
Par la décision du G20 de novembre 2008, de ne laisser aucune banque importante faire faillite et par la fausse manœuvre de nos banques centrales et de nos gouvernements, nos grandes banques endettées ont reçu en cadeau un potentiel de chantage qui a mené à l’exonération de la responsabilité des banques qui contredit tous les principes de droit et de l’économie de marché.
Au printemps 2010, nos banques endettées utilisèrent ce potentiel de chantage dans le cas de la Grèce. Ensuite, elles firent de même en s’appuyant sur la Commission européenne et la Banque centrale européenne (BCE) ainsi que sur ces gouvernements européens qui depuis toujours voulaient une Europe centralisatrice et planifiée, pour amener les autres gouvernements européens et leurs parlements à commettre l’infraction collective du droit primaire européen, et à la clause No-Bail-Out. Pour les banques, ce fut une affaire lucrative : acheter des emprunts d’Etat d’un Etat européen endetté à 7, 12 ou 20 pourcent et se refinancer auprès de la Banque centrale européenne à 1, à 1,25 ou 1,5 pourcent. Si les autres Etats de l’UE ne garantissent pas la solvabilité de l’Etat endetté et insolvable, nous allons rendre attentif aux conséquences et faire valoir notre potentiel de chantage.
Ce potentiel de chantage consiste dans la menace que les secteurs des banques et des finances et les opérations financières s’effondreraient entièrement, au cas où une banque importante pour le système devait annoncer sa faillite et déclencherait ainsi un effet domino. Ce potentiel de chantage est tellement puissant que l’Irlande, pour sauver ses banques, s’est retrouvée dans le piège du surendettement.
On tombe dans le piège de la confusion en mettant sur pied d’égalité l’effondrement de notre système bancaire endetté et l’effondrement global des opérations financières parce que, dans nos sociétés occidentales apeurées, nous avons perdu la faculté de réfléchir systématiquement. Mais si nous suivons la proposition de Walter Eucken de considérer la médiation des intérêts particuliers avec l’intérêt général comme un devoir d’ordre politique, ce point de vue ordo-libéral nous amènerait à séparer l’intérêt particulier des banques, qui consiste à être sauvé de la faillite et en cela à être privilégié, de l’intérêt général consistant à maintenir les opérations financières. La distinction analytique entre les faillites des banques et le maintien des opérations financières d’un côté, et l’orientation correspondante à l’intérêt général qui est le maintien des opérations financières de l’autre côté nous permet de reconnaître comment on peut infirmer le potentiel de chantage des banques par un scénario simple.
En premier lieu, la décision du G20 de ne laisser aucune banque faire faillite doit être révisée.
En deuxième lieu : les gouvernements répondent au chantage des banques de demander à un tribunal la permission d’entamer une procédure d’insolvabilité : s’il vous plaît ! Une économie de marché sans juge d’insolvabilité n’est pas une économie de marché. Les banques sont soumises aux mêmes lois que toutes les autres entreprises.
En troisième lieu : l’Etat garantit les dépôts d’épargne des particuliers auprès d’une banque insolvable, ainsi que les crédits des entreprises que cette banque insolvable a accordés. Particulièrement les obligations financières de la banque insolvable auprès d’autres banques qui ne concernent pas les comptes des clients de l’autre banque, mais qui vont directement à l’autre banque, ne sont pas couvertes par l’Etat.
En quatrième lieu : l’administrateur d’une procédure d’insolvabilité reprend la direction de la banque d’affaires insolvable et veille à ce que tous les paiements pour lesquels il y a une garantie de l’Etat soient effectués de façon correcte. Selon la coutume en vigueur, le refinancement de ces paiements est pris en charge par la banque centrale.
En suivant ces quatre éléments de base du scénario d’une opération de liquidation d’une banque, on maintient les transactions financières car : par la seule demande d’insolvabilité d’une banque, les ordinateurs ne sont pas éteints et les employés ne sont pas limogés. La demande d’insolvabilité d’une banque entraîne la procédure juridique d’insolvabilité.
Les transactions financières ne sont pas stoppées par la procédure d’insolvabilité. Même l’effet domino, si souvent évoqué et engendrant la peur de la chute d’autres banques ne se produirait pas. Il n’y aura pas de ruée vers les banques, si l’Etat reprend la garantie pour certains paiements et si le scénario décrit est expliqué par les médias de façon compréhensible, de sorte que les gens n’aient plus peur d’une procédure d’insolvabilité de la Deutsche Bank ou de la Hypo Real Estate.
Ce scénario exclut la couverture par l’Etat de toutes les obligations de paiements de la banque insolvable. Surtout, il ne garantit pas des obligations de paiement envers d’autres banques, ni bien sûr les obligations de paiements envers les clients de cette banque.
Cette reprise des obligations de paiement envers une banque insolvable A peut naturellement entraîner une autre banque B à se déclarer insolvable. Mais, les quatre éléments de base s’appliquent aussi envers la banque B. Les paiements des comptes des clients de la banque B à d’autres banques peuvent ainsi être effectués et les crédits que la banque B a accordés à l’économie réelle continuent à être couverts et ne peuvent pas être résiliés.
Les transactions financières ne vont pas s’arrêter par l’insolvabilité de la banque B, mais elles vont être contrôlées et maintenues par l’administrateur de la procédure d’insolvabilité. L’insolvabilité des banques A et B pourrait bien entendu contraindre d’autres banques à entamer une procédure d’insolvabilité. Dans ce cas, le scénario esquissé pourrait entraîner le système des banques de réserve surendettées à devoir s’exécuter, sans que les transactions financières s’effondrent.
Il est même possible qu’il y ait un effet positif de domino qui contraindrait d’autres Etats, à cause de l’interdépendance des finances, à copier ce scénario d’une exécution contrôlée de banques surendettées, tout en maintenant les transactions financières. De plus, les obligations financières sans nantissement entre les banques et de grandes parties de la masse monétaire et de crédits créés dans le néant lors de transactions interbancaires passées, retomberaient dans le néant.
Les banques, anciennement endettées, juridiquement rétablies, pourraient ensuite être vendues à des particuliers. Nous pourrions mettre fin au système de vente boule de neige du système des banques de réserves endettées qui nous domine tous. Nous pourrions créer un nouvel ordre monétaire qui correspondrait à des principes de l’économie de marché et de l’Etat de droit, sans qu’un effondrement des transactions financières doive se produire. Comme on pourrait ainsi affaiblir le potentiel de chantage des banques, une politique d’ordre économique serait de nouveau possible. L’Europe est sur la voie du centralisme politique.
L’Europe unie a été rêvée par ses pères fondateurs comme un havre de la liberté contre toutes formes de dictature, de contraintes et d’économie planifiée. L’Europe d’aujourd’hui est en route vers l’économie monétaire planifiée et le centralisme politique, parce que nous acceptons, par peur, qu’on nous fasse chanter par l’effondrement de notre système financier.
Les pères fondateurs de l’Europe voulaient une Europe du droit et de l’Etat de droit. Les gouvernements actuels de la zone euro, la commission européenne et la Banque centrale européenne, portent de façon répétée et collective atteinte à la loi, bien que la commission européenne ainsi que les gouvernements nationaux soient obligés à veiller sur les traités et à la protection du droit. Ils abusent de la peur de l’effondrement du système financier pour, à l’aide d’une infraction collective du droit de la clause no-bail-out des traités européens, fonder une superpuissance européenne, en camouflant verbalement cette usurpation sous l’appellation de solidarité européenne.
Il y a des alternatives aux actes illégaux et à l’économie planifiée des gouvernements européens et de la commission européenne. L’économie planifiée et l’infraction du droit ne sont pas sans alternative. Nous devons avoir le courage de penser les alternatives, de choisir et de les réaliser avec courage. Surtout, nous devons commencer à combattre la peur attisée sous ses multiples formes.